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Vidéo "Affaires sensibles". Les écoutes de la République : des "grandes oreilles" avides de petites indiscrétions

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Article rédigé par France 2
France Télévisions

C'est l'un des grands scandales de la Ve République, qui laisse une tache sur le premier septennat de François Mitterrand : les écoutes de l'Elysée. Le 13 décembre, le magazine "Affaires sensibles" raconte comment, pour protéger de lourds secrets du chef de l'Etat, certains principes démocratiques ont été enfreints. Pour des résultats pas toujours très pertinents…

C'est l'un des plus grands scandales de la présidence de François Mitterrand, sur lequel revient le 13 décembre 2021 le magazine "Affaires sensibles", coproduit par France Télévisions, France Inter et l’INA d'après l'émission originale de France Inter. De 1982 à 1996, tous ceux qui auraient pu révéler au grand jour les secrets du chef de l'Etat (l'existence de Mazarine, née de sa liaison avec Anne Pingeot, mais aussi le cancer qui finira par l'emporter), ont été placés sur écoute. L'enregistrement de milliers de conversations a été ordonné, sans aucune base légale, par une cellule antiterroriste installée rue de l'Elysée. Responsables politiques, comédiens, écrivains… des centaines de personnes à priori sans rapport direct avec le terrorisme ont été écoutées, comme l'actrice Carole Bouquet ou le journaliste Hervé Brusini.

"A ce moment-là, tout le monde est écouté", se remémore Laurent Hallier, le frère de l'écrivain, lequel fut une des cibles de prédilection de la cellule. Même "le café principal de Jean-Edern, La Closerie des Lilas, était sur écoute, raconte-t-il. Donc vous voyez le nombre de gens… C'est des centaines d'écoutes. Et comme on ne sait pas ce qui intéresse, le centre des écoutes note l'intégralité de ce qu'ils entendent. Aussi bien la commande au boucher que les planifications de vacances".

Jean-Edern Hallier (alias "Kid") et ses provocations

Dans les synthèses de ces écoutes datées de février 1986, dont les journalistes du magazine ont pu filmer des copies, Jean-Edern Hallier est surnommé "Kid". On y lit par exemple : "Kid annule son dîner de samedi soir, car son père s'est cassé deux côtes. Puis il parle d'un nouveau mouvement littéraire qui s'appellerait 'les Aristos libertaires'...." Ou encore : "Kid ne peut pas donner rendez-vous à La Closerie, car il est en froid avec eux pour des raisons de dettes." 

Pourquoi la moindre de ses conversations téléphoniques est-elle scriptée par les agents du GIC (le Groupement interministériel de contrôle, chargé de centraliser les demandes d'autorisation pour la mise en œuvre de techniques de renseignement, et installé dans le sous-sol des Invalides), qui transmettent ensuite leurs synthèses à la cellule de la rue de l'Elysée ? C'est que l'écrivain est considéré comme une menace après s'être livré à l'une des provocations dont il a le secret... Ulcéré de n'avoir obtenu, malgré son soutien affiché au candidat Mitterrand, ni poste de prestige ni l'effacement d'une considérable ardoise fiscale, Jean-Edern Hallier s'est mué en pamphlétaire furieux. Il travaille à un manuscrit haineux où il dévoile les secrets du président : Mazarine, son cancer, son passé vichyste…

Empêché de publication, l'auteur verse dans la paranoïa. Il imagine une riposte qu'il annonce sur un plateau de télévision, dans l'émission "Apostrophes" de Bernard Pivot. "Et nous songeons à enlever un certain enfant de président de la République", lance-t-il au détour d'une conversation. La menace est prise très au sérieux, et dès lors, les écoutes se multiplient.

Edwy Plenel (alias "Benêt") et ses enquêtes qui embarrassent l'Elysée

Une autre cible de prédilection des "grandes oreilles" de l'Elysée est un journaliste – une des promesses de campagne du candidat Mitterrand était pourtant de les protéger des écoutes dites "administratives". C'est celui qui a révélé en une du Monde le scandale des "Irlandais de Vincennes", accusés à tort d'avoir commis l'attentat antisémite de la rue des Rosiers, en 1982.

Coutumier d'enquêtes qui embarrassent l'Elysée (sur le Rainbow Warrior, ce navire de Greenpeace coulé par les services secrets français, ou l'affaire Farewell, nom de code d'une mission d'espionnage par un agent double soviétique), Edwy Plenel est devenu la bête noire du pouvoir. Dans les transcriptions, il apparaît sous le nom de code "Bene" (ou "Benêt") : "Bene et Marion [un journaliste du Canard enchaîné] se rendent dans un sauna." "Benêt est au journal. Il s'en va à son débat à Mantes-la-Jolie." 

"Le plus scandaleux dans les écoutes, c'est le fait qu'ils notent toutes sortes de choses sur la vie privée."

Edwy Plenel, journaliste "écouté" de 1985 à 1986

dans "Affaires sensibles"

Les hommes du GIC dissèquent son emploi du temps, mais ils consignent aussi des détails bien plus intimes : le numéro de téléphone et le digicode du domicile de ses parents, "des conversations avec la baby-sitter de [s]a fille, le numéro de téléphone du nouveau studio de [s]on beau-fils…" raconte Edwy Plenel. Les "grandes oreilles" savent tout de sa vie privée, jusqu'à l'identité de celle avec qui il a, explique-t-il, une brève aventure extraconjugale à l'été 1985… 

Extrait de "Les écoutes de la République", une enquête d’Emilie Lançon, Jérémy Frey et Jérôme Prouvost, à voir le 13 décembre 2021 dans "Affaires sensibles", un magazine présenté par Fabrice Drouelle et coproduit par France Télévisions, France Inter et l’INA d'après l'émission originale de France Inter.

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