: Enquête Maire condamné, président de la métropole bientôt jugé : les affaires qui empoisonnent la ville de Nîmes
Le président de la communauté d’agglomération de Nîmes, Franck Proust, sera jugé en juillet dans une affaire de favoritisme. Le maire Jean-Paul Fournier avait déjà été condamné pour prise illégale d’intérêt. Enquête sur une ville qui ne parvient pas à échapper aux affaires.
"Par rapport à l'argent public, ce n'était pas une bonne gestion. Soit c'était de l'incompétence soit il y avait des intérêts cachés." Devant les enquêteurs du service régional de police judiciaire de Montpellier, Jean-Paul L. résume les irrégularités dont il a été témoin au sein de la Senim, une société d’économie mixte basée à Nîmes, et chargée depuis les années 80 de grands projets d’aménagement urbain dans la capitale gardoise et la communauté d’agglomération.
Après 15 ans d’enquête, la justice doit juger en juillet 2021 cinq personnes pour favoritisme et trafic d’influence. Parmi elles, des chefs d’entreprises et Franck Proust, ancien député européen et actuel président de la communauté d’agglomération de Nîmes.
Un élu tire la sonnette d’alarme
Les faits remontent à 2003-2006. L’affaire démarre avec un signalement au parquet de Nîmes d’un ancien directeur de la Senim. Jean-Paul L. arrive à ce poste en janvier 2005 et très vite, il constate des problèmes dans la gestion de la société et écrit au procureur. Il pointe les nombreux marchés qui ont été passés avec des entreprises de la région sans recourir à des appels d’offres. L’autre point concerne un terrain vendu à un marchand de biens, alors que la Senim avait l’habitude de vendre directement les terrains aux commerces cherchant à s’implanter.
En 2007, à l’occasion d’un conseil municipal, l’adjoint au maire chargé des finances, Yvan Lachaud (aujourd’hui rival politique de Franck Proust) refuse d’entériner le compte rendu d’activité de la société d’économie mixte "devant l’incapacité de la Senim à fournir des bilans sincères". L’élu saisit la chambre régionale des comptes qui transmettra un signalement au parquet sur de possibles faits de favoritisme et de trafic d’influence.
Les enquêteurs récoltent de nombreux témoignages concernant les marchés publics. Au cours de la procédure, que la cellule investigation de Radio France a pu consulter, une ancienne directrice juridique décrit les pressions qu’elle dit avoir reçues dans le cadre de ses relations avec les chefs d’entreprises : "On demandait de choisir celui-là plutôt que celui-là, ou de faire un prix plus bas à celui-ci. C'étaient des pressions des élus en faveur de leurs connaissances. (…) Cela pouvait être un coup de téléphone, ou une directive donnée par le directeur, mais qui l'avait certainement eu d'un élu." Les différents protagonistes se rejettent la responsabilité sur l’absence d’appels d’offres dans le cadre d’un projet d'aménagement de la gare de Nîmes.
Une mise en concurrence truquée
Mais les policiers découvrent également que même lorsqu’il existait une mise en concurrence, des chefs d’entreprise auraient truqué. Un patron raconte aux enquêteurs comment un concurrent a réussi à obtenir un marché en lui demandant de produire un devis de complaisance (très élevé, pour être écarté) : "C'est un devis avec le prix qui m'a été imposé. En fait, c'est une couverture. Je n'ai jamais eu accès au dossier de cet appel d'offres ni à un quelconque plan. C'est Monsieur P. de la société F. qui m 'a dit qu'il fallait lui faire un devis à ce prix-là pour le couvrir. J'ai su que la société J. avait également fait un devis en couverture."
Franck Proust devra aussi répondre d’accusations de trafic d’influence dans le cadre de la vente d’un terrain à un intermédiaire. La Senim vendait directement ses terrains aux commerces qui souhaitaient s’installer. Mais lors d’une opération immobilière, la société d’économie mixte a d’abord vendu un terrain à un intermédiaire, qui l’a ensuite revendu. Or, cet intermédiaire est une connaissance de Franck Proust. Il lui avait loué un local de campagne en 2001, et avait fait un don à la campagne du candidat. La juge d’instruction parle donc dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal d’un "acte de corruption".
Franck Proust se défend vigoureusement de ces accusations. Il répond : "On n'est pas dans un cas de détournement de fonds, on n'est pas dans un cas où il y a un avantage personnel à l'élu. Là, on est sur un vice de procédure entre une relation d'un président d'une société d'économie mixte, la ville, et un partenaire privé. Donc, c'est très technique. En plus, les cadres législatifs évoluent. C'est la raison pour laquelle j'attends avec impatience ce passage au mois de juillet pour aller m'expliquer avec mes avocats et qu’il y ait une véritable confrontation, une explication pédagogique devant le tribunal."
Le maire de Nîmes déjà condamné
Aujourd’hui, Franck Proust préside la communauté d’agglomération de Nîmes. Le maire de la ville depuis 2001, Jean-Paul Fournier, a quant à lui été condamné en 2009, puis en appel en 2010, pour prise illégale d’intérêt dans l’affaire dite du "Diamant noir", du nom d’une impasse nîmoise dans laquelle le maire possédait un terrain. Neuf jours seulement après la vente de cette parcelle, des travaux de raccordement au réseau d’eau potable de la ville étaient votés lors d’un conseil d’agglomération présidé par... le propriétaire du terrain.
Un ancien adjoint de Jean-Paul Fournier a lui aussi croisé le chemin de la justice. Alain Caugy, qui présidait la commission d’appel d’offres (CAO) de la ville, a été condamné en 2012 à quatre ans et demi de prison ferme pour "corruption, trafic d’influence et favoritisme" dans deux affaires de marchés truqués.
Amazon : une opportunité pour des élus gardois
Plus récemment, en janvier 2021, le procureur de Nîmes a ouvert une information judiciaire pour "prise illégale d’intérêt", à la suite d'une délibération votée au conseil municipal de Fournès, près du pont du Gard. En 2018, le conseil municipal valide l’arrivée d’un centre logistique d’Amazon sur un terrain de de 38 000 mètres carrés. Des habitants opposés au projet cherchent alors à savoir qui sont les propriétaires des terrains pour tenter de leur faire une contre-proposition, voire de racheter une des parcelles afin de bloquer l’installation de l’entreprise. Les noms qui apparaissent sur les documents obtenus par les habitants étonnent. "On s'aperçoit que des élus ont des terrains, de manière directe et indirecte", raconte Gérard Tornay, un des habitants opposés au projet. Des parcelles sont détenues par l’actuel maire et par des proches de conseillers municipaux.
Alertée, la préfecture écrit au maire à propos de la validité des délibérations auxquelles ont participé les trois élus : "S’il y a un lien de parenté entre les propriétaires des parcelles et des conseillers municipaux ayant participé aux débats et/ou aux votes, les délibérations du conseil municipal susvisées sont entachées d’illégalité."
En 2019, le conseil municipal revote les délibérations, mais en l’absence des trois élus concernés. Le projet reste donc sur les rails, il reste tout de même la question de l’infraction initiale présumée sur laquelle un juge d’instruction enquête.
Sollicité, l’actuel maire de Fournès n’a pas souhaité répondre à nos questions. Interrogée par nos confrères de France 2, sa prédécesseure à la mairie déclarait : "Quand vous avez un projet qui vous porte sur la table des emplois et des ressources fiscales, où est-ce que vous voyez le conflit d'intérêts ? Il faut être tordu pour imaginer qu'on s'investit dans une commune pour faire gagner de l'argent à ses parents." Rappelons que les personnes mises en cause dans cette affaire sont présumées innocentes.
Les spécificités du Gard
Depuis 20 ans, les affaires se sont succédé dans le département. "Effectivement, il y en a beaucoup, et toutes tendances politiques confondues, explique Hocine Rouagdia, chroniqueur judiciaire pour le quotidien régional Midi libre. On en a parlé pas mal à un moment donné, parce qu'elles concernaient la mairie de Nîmes. Mais au niveau départemental, il y a aussi eu l'affaire des routes du conseil général, les affaires Pradille ou les affaires Baumet. Ces dossiers-là ne sont pas si vieux. (…) On en voit dans plein de communes du Gard."
Cette accumulation aurait une explication. "En dépit du niveau de pauvreté de ce département, il y a de l'argent qui circule. Et comme partout sur l'arc méditerranéen, une forte pression démographique, et des projets en étroite relation avec les compétences des élus, et tout simplement, la complexité de la vie administrative ouvre des failles", analyse Éric Maurel, procureur de la République à Nîmes. Il met cependant en garde contre toute généralisation d’un phénomène minoritaire : "En ces temps, où certains individus cherchent à développer l'antiparlementarisme, et à porter atteinte au pacte républicain, il convient d'être très prudent sur le discours que l'on tient. La grande majorité des décideurs publics et politiques est honnête. Mais comme dans toute communauté, certains d'entre eux, parfois, peuvent déraper."
Les statistiques confirment cette vision des choses : d'un point de vue pénal, sur les 576 000 élus locaux qui officient à l'heure actuelle en France, il n'y a que 300 condamnations en moyenne par an ; 0,2 % des élus sont poursuivis et condamnés. La quasi-totalité des élus locaux ne seront jamais mis en cause pour des atteintes à la probité.
L’enjeu de la formation des élus
Parfois, les manquements constatés peuvent relever d’erreurs dues à une méconnaissance des règles. "Il n'y a pas d'examen d'entrée pour être élu, se désole Raymond Avrillier, militant écologiste grenoblois et formateur d’élus. Ce n’est que tout récemment qu’a été rendue obligatoire une formation pour les élus qui ont une délégation de pouvoirs, les adjoints, et les conseillers délégués." L'obligation de formation est entrée en vigueur en 2020 pour les communes de de plus de 3 500 habitants, et en 2021 pour les départements et les régions. "La formation des élus est restée embryonnaire", rappelle un très récent rapport de l’inspection générale de l’administration.
Des lois votées ces dernières années ont cependant renforcé les dispositifs de transparence et de prévention de la corruption au sein des collectivités. C'est le cas de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique, de celle de 2015 sur l’exercice du mandat local, ou encore de la loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique. Deux de ces lois ont été votées suite à des scandales politico-financiers (l’affaire Cahuzac et l’affaire Fillon).
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