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Mission Rosetta : vingt ans de travail pour trois jours de fébrilité

Article rédigé par Jéromine Santo-Gammaire
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Michel Cabane dans le laboratoire du Latmos à Guyancourt, dans les Yvelines (78). (JEROMINE SANTO GAMMAIRE/FRANCETV INFO)

Voilà plus de deux semaines que le robot Philae s'est posé sur la comète Tchouri. Dans les bureaux et laboratoires, les 500 chercheurs européens analysent désormais les données recueillies. Récit de cette mission hors-norme par l'un d'entre eux.

La tête dans les étoiles, mais les pieds sur terre. Le soir où le robot Philae, lancé depuis la sonde Rosetta, atterrit sur la comète Tchouri, c'est l’aboutissement de vingt et un ans de travail pour Michel Cabane. Mais ce chercheur au Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (Latmos) n’a pas sabré le champagne pour autant. Et alors que les réseaux sociaux étaient en effervescence lors de la descente de la sonde sur la comète à la vitesse d’un mètre par seconde, il s’apprêtait à entrer en conférence de presse au Bourget (Seine-Saint-Denis), en compagnie d’autres chercheurs.

Michel Cabane, âgé de 73 ans, participe au projet depuis ses balbutiements, à la fin des années 1980. Alors membre de la mission Cassini-Huygens, il travaille avec la Nasa sur l’envoi d’une sonde dans l’atmosphère de Titan, une des lunes de Saturne. Cet expert dans l'étude des aérosols apprend par le bouche-à-oreille que l'agence américaine constitue une équipe pour poser une sonde sur une comète. C'est donc tout naturellement que la Nasa lui propose en 1992 de poursuivre leur coopération sur ce nouveau projet, en commun avec l'agence spatiale européenne (Esa).

A la base, deux atterrisseurs devaient être envoyés sur une comète : Champollion, sur lequel travaillait la Nasa et des chercheurs français du Centre national d'études spatiales (Cnes), et Roland (Rosetta Lander), conçu par un consortium européen dirigé par l'Institut Max Planck et l'agence spatiale allemande (DLR).

Comprendre l'apparition de l'eau et de la vie

En 1995, les Américains jettent l'éponge. Les chercheurs français basculent alors sur le projet de l'Esa, qui avait donné deux ans plus tôt son feu vert à la mission Rosetta pour un voyage vers la comète Wirtanen. Roland est rebaptisé Philae, du nom d'une île égyptienne engloutie dans les années 1970, où un obélisque a aidé Jean-François Champollion à résoudre le mystère de l'écriture égyptienne.

L'objectif des Européens est ambitieux : essayer de comprendre la formation et la structure du système solaire, mais aussi l'apparition de l'eau et de la vie sur Terre. A l'inverse de la plupart des astéroïdes, qui sont comme des gros cailloux, les comètes sont des corps actifs : composées en grande partie de glaces, elles diffusent gaz et poussières lorsqu'elles se rapprochent du soleil. Elles se situent, pour la plupart, dans la ceinture de Kuiper, une zone très froide située à 30 fois la distance Terre-Soleil, où se rassemblent les restes de la formation du système solaire, âgés de plusieurs milliards d'années.

"Régulièrement, des comètes sortent de la ceinture et font des allers-retours autour du Soleil, explique Michel Cabane. Leurs voyages durent de quelques dizaines d'années à plusieurs siècles. A chaque passage, elles perdent près d'un mètre d'épaisseur, jusqu'à ce qu'elles se désagrègent entièrement." Avec Rosetta, c'est la première fois que l'homme pose un robot sur une comète.

Un réservoir d'hélium indestructible

Mais en 1995, Philae est encore loin de Tchouri. Michel Cabane se creuse les méninges avec les équipes du Max Planck Institute pour concrétiser leur rêve. Ils sont une quinzaine de personnes (un chef de projet, des ingénieurs thermiques, électroniques, informatiques, des mécaniciens...) à se réunir régulièrement dans un des blocs du centre de recherche situé à proximité de Lindau, un petit village du sud de l'Allemagne.

"Il fallait déterminer quelles mesures on allait réaliser sur place, de quel matériel on aurait besoin et quelle équipe d'ingénieurs s'en chargerait, tout en se demandant si les financements seraient suffisants", énumère Michel Cabane.

Pour mener à bien sa mission, Rosetta compte onze instruments de mesure en plus de son atterrisseur. Leurs missions : sonder la composition du noyau, analyser la masse et la constitution des grains de poussière, l'atmosphère ou encore la température de la comète. Chaque instrument mobilise de nombreuses équipes de chercheurs.

Michel Cabane et plusieurs de ses confrères du Latmos sont chargés de travailler sur Cosac, le "nez" de Philae, en coopération avec l'équipe du laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques (Lisa). Pendant dix ans, les deux labos français s'efforcent de concevoir un réservoir d'hélium indestructible, qui doit "renifler" puis analyser des gaz qui composent la comète. 

"Il faut être fanatique pour attendre les résultats pendant dix ans"

Dans l'obscurité de leurs laboratoires, le Lisa et le Latmos testent les différents instruments de Philae dont ils sont responsables. Les ingénieurs soumettent le réservoir qu'ils ont conçu à une forte pression et l'augmentent progressivement pour s'assurer qu'il n'éclate pas. "On teste chaque élément séparément, puis certaines parties assemblées, et enfin l'ensemble du système", précise le chercheur. Le matériel doit résister aux chocs violents, aux vibrations du vol, au vide, aux variations de température... Sans oublier, bien sûr, qu'il doit être opérationnel après un voyage de dix ans dans l'espace.

 

Modélisation du Cosac, l'instrument de Philae destiné à analyser la composition de l'atmosphère de la comète. (JEROMINE SANTO GAMMAIRE/FRANCETV INFO)

Entre le lancement officiel du projet en 1993 et la réception des premiers résultats obtenus par Philae, le 12 novembre 2014, plus de vingt années se sont écoulées. "Il faut être fanatique pour attendre des résultats pendant dix ans, sourit Michel Cabane. Il y a l’excitation. C’est un peu comme une gestation : on conçoit un enfant, et on a le résultat de ce qu’il est devenu vingt ans plus tard…"

Le lancement de la sonde doit avoir lieu en janvier 2003. Objectif : la comète Wirtanen. Mais le 11 décembre 2002, le lanceur Ariane 5, qui doit être utilisé pour Rosetta, rencontre un dysfonctionnement. En se connectant à sa messagerie, Michel Cabane découvre le mail d'un collègue l'informant que la mission pourrait être retardée. L'information officielle tombe quelques jours plus tard : Wirtanen est désormais trop loin pour être atteinte.

"La sonde est tellement loin qu'on oublie qu'elle existe"

La période est stressante pour les chercheurs. A l'Esa, il faut dénicher une nouvelle comète qui aurait une trajectoire compatible avec la mission Rosetta. Les chercheurs trépignent, pressés de partir, ils craignent que le retard ne se prolonge. La sonde entame finalement son voyage un an plus tard, le 2 mars 2004. La nouvelle cible : la comète Tchourioumov-Guérassimenko, surnommée Tchouri.

Les sept premières années de voyage se déroulent sans encombres majeurs pour Rosetta. En 2011, la sonde doit entrer en hibernation : elle est tellement éloignée du Soleil que ses panneaux solaires ne fournissent plus suffisamment d'énergie pour assurer la veille des instruments. Le 8 juin, dans la salle de contrôle de Darmstadt, en Allemagne, les ingénieurs placent les différents interrupteurs en position "off". Rosetta continue son voyage. Un seul logiciel reste opérationnel pour maintenir à bonne température les composants.

Pendant plusieurs mois, les réunions entre chercheurs se raréfient. "A un moment donné, la sonde est tellement loin qu’on oublie presque qu’elle existe", confie Michel Cabane. En attendant des nouvelles de Rosetta, le chercheur français et ses collègues tentent de recréer en laboratoire les conditions de vol de la sonde pour parer les problèmes qu'elle pourrait rencontrer durant son voyage. Et puis, Michel Cabane se plonge dans ses autres projets : Curiosity, Titan, Exomars... 

Michel Cabane montre le fonctionnement du chromatographe en phase gazeuse du laboratoire de recherche et développement du Latmos, à Guyancourt (78). (JEROMINE SANTO GAMMAIRE/FRANCETV INFO)

Réveil en douceur et atterrissages mouvementés

Le 20 janvier 2014, la sonde s’est rapprochée du Soleil et les équipes européennes espèrent pouvoir la réveiller. L'hibernation est une grande première. "On prenait le risque que certains instruments ne se réveillent jamais", concède Michel Cabane. Les chercheurs envoient un signal à Rosetta. Juste un peu de courant électrique pour voir si elle répond correctement. Avec un léger retard, elle réagit. La nouvelle est accueillie comme une première victoire. "Cela signifiait qu’on aurait au moins quelque chose." Un à un, les instruments sont activés et testés.

Tout fonctionne, tout s’enchaîne. Le 6 août, la sonde arrive à côté de la comète. Philae est larguée le 12 novembre au matin et se pose peu après 17 heures. Mais tout ne se passe pas comme prévu. "On a eu deux atterrissages pour le prix d’un, sourit le chercheur. Au début, c’était confus, on ne savait plus ce qu’il se passait. On a appris que Philae avait rebondi à un kilomètre de hauteur. On était un peu perplexes puisqu’on pensait que le sol était très poreux et sans doute assez mou ! Et puis, plus tard, on a su que le robot s’était posé de façon bancale et qu’un de ses pieds ne touchait pas le sol. On ne savait pas s’il allait pouvoir effectuer ses mesures."

Des données à décortiquer pendant des années

A 500 millions de kilomètres de la Terre, les chercheurs ne peuvent pas communiquer en temps réel avec Philae et les informations mettent 28 minutes à leur parvenir. Il est donc indispensable de planifier toute activité de l’appareil. "Tous les ordres sont déjà programmés dans la machine, détaille Michel Cabane. On n’en crée pas de nouveaux, on peut juste dire à Philae qu’on veut qu’il exécute celui-ci avant celui-là et changer les paramètres, comme par exemple la température de chauffe des gaz."

Réceptionnées en Australie, les données sont immédiatement transmises à Toulouse et en Allemagne à Cologne et Darmstadt, où se trouvent les principaux centres de recherche associés à la mission. Le responsable les communique aux sous-responsables qui les répartissent ensuite dans les différentes équipes. "On reçoit d'abord des 'paquets de données' en langage binaire, qui ne ressemblent à rien, relate le chercheur. La lecture n'est pas immédiate. On les transforme en données techniques qui retranscrivent ce qui a été mesuré par les différents appareils. On les regroupe, on les met en forme."

"Maintenant, on a des données scientifiques qu’il faut décortiquer afin de comprendre", poursuit le chercheur français. Car si Rosetta termine sa mission en 2015, le traitement des données recueillies par le robot peut prendre des années. "On mène des expériences en laboratoire pour comparer les résultats obtenus avec ce qu’on pensait trouver", décrypte Michel Cabane. 

Bientôt de premiers résultats publiés dans un magazine

Une fois par semaine, Michel Cabane a une vidéoconférence d’environ une heure avec ses supérieurs et les autres membres de son équipe pour partager les résultats de leurs études et décider ensemble de la suite. Comme ses confrères, le chercheur français est très attentif à ne laisser fuiter aucune information. Dans son bureau du centre de Guyancourt (Yvelines), il agite devant notre nez la précieuse feuille de résultats, tout en prenant garde à ce que le détail reste invisible à nos yeux. Une partie sera bientôt publiée dans un magazine spécialisé, promet-il.

Même si de nombreuses données doivent encore être analysées, des informations commencent tout de même à circuler. Philae aurait ainsi trouvé des molécules organiques complexes sur la comète, des éléments nécessaires à la formation de la vie. Ainsi, Cosac aurait "reniflé" du carbone, une information confirmée par l'Agence spatiale allemande, comme le raconte Futura-sciences. Le "nez" de Michel Cabane et de son équipe a donc rempli sa mission.

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