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En images "Tout ce que vous voyez est réel" : on vous explique comment sont fabriqués les clichés du télescope James Webb

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La galaxie de la nĂ©buleuse d'Orion prise par le tĂ©lescope James Webb. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Franceinfo a interrogé l'astrophysicien Olivier Berné et l'ingénieure Amélie Canin, tous deux chargés de traduire les informations récoltées par les instruments du télescope en une image accessible au grand public. Ils nous détaillent toutes les étapes du processus.

Elles fascinent et elles Ă©merveillent. Les images du tĂ©lescope James Webb, le plus puissant observatoire spatial envoyĂ© dans l'espace, font rĂȘver. NĂ©buleuses, galaxies, planĂštes ou exoplanĂštes... Elles donnent Ă  voir des recoins de l'univers avec une finesse inĂ©galĂ©e. Franceinfo revient en dĂ©tails sur la façon dont sont composĂ©es ces images saisissantes qui Ă  chaque fois font le tour du monde.

La dĂ©marche va ĂȘtre illustrĂ©e avec l'image de la nĂ©buleuse d'Orion, qui a Ă©tĂ© publiĂ©e le 12 septembre. Cette zone est "l'une des rĂ©gions les plus iconiques du ciel", d'aprĂšs Eric Lagadec, le prĂ©sident de la SociĂ©tĂ© française d'astronomie et d'astrophysique. La nĂ©buleuse d'Orion, qui se situe Ă  environ 1 400 annĂ©es-lumiĂšres de le Terre, est la pouponniĂšre d'Ă©toiles la plus riche et la plus proche de notre systĂšme solaire.

Image du tĂ©lescope spatial James Webb montrant la rĂ©gion interne de la nĂ©buleuse d'Orion. (NASA/ESA/CSA/PDRs4All ERS/SALOME FUENMAYOR)

Récolter des images brutes

Cette image est le fruit d'un travail codirigĂ© par Olivier BernĂ©, astrophysicien Ă  l'Institut de recherche en astrophysique et planĂ©tologie (Irap) de Toulouse. Il est le co-responsable de l'un des 13 projets scientifiques prioritaires du tĂ©lescope James Webb – et le seul projet prioritaire français. Le rĂ©sultat visible ci-dessus est le fruit de trois heures d'observation dans la nuit du 10 au 11 septembre, avec l'instrument NIRCam du tĂ©lescope, prĂ©cise Olivier BernĂ©.

Au total, quelque 280 images ont été récoltées. Elles sont réparties sur les 4 détecteurs de l'instrument, et sur un ensemble de 14 filtres, des dispositifs qui sélectionnent les couleurs, chacun s'intéressant à une partie du domaine spectral de la lumiÚre observée. Les images directement obtenues lors de cette premiÚre étape n'ont strictement rien à avoir avec le résultat publié.

"Les images brutes sont dominées par le bruit."

Olivier Berné, astrophysicien à l'Irap

Ă  franceinfo

Ce "bruit" n'a rien de sonore : il s'agit en fait de parasites sur l'image. "C'est un bruit systĂ©matique", souligne Olivier BernĂ©. Il est principalement liĂ© Ă  l'instrument lui-mĂȘme, qui – par son fonctionnement – perturbe la capture visuelle qu'il rĂ©alise. Voici un aperçu de l'une de ces images. Elle ressemble davantage Ă  une mauvaise photocopie qu'Ă  une magnifique nĂ©buleuse colorĂ©e.

Image brute de la nébuleuse d'Orionpour le filtre F187N de l'un des quatre detecteurs de l'instrument NIRCam, qui est l'un des instruments du téléscope spatial James Webb. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Nettoyer ce qui les parasite

En l'Ă©tat, l'image est illisible. "Ce bruit doit ĂȘtre soustrait. C'est quelque chose de classique en astronomie que l'on maĂźtrise trĂšs bien", assure Olivier BernĂ©. Le nettoyage se produit lors d'opĂ©rations qui se font via des programmes informatiques. Le processus peut ĂȘtre totalement ou partiellement automatisĂ© par une chaĂźne de traitement du Space Telescope Science Institute, de la Nasa, qui se trouve Ă  Baltimore (Etats-Unis).

Tout en utilisant les algorithmes de nettoyage de l'agence spatiale américaine, l'équipe d'Olivier Berné a préféré garder la main pour obtenir un résultat plus fin et plus proche de leurs attentes. "C'est la différence entre celui qui prend sa voiture, qui roule avec, et celui qui ouvre le capot pour changer des réglages et optimiser les performances", illustre Amélie Canin, ingénieure dans l'équipe d'Olivier Berné, qui prépare cette observation à temps plein depuis dix-huit mois.

Voici à quoi ressemble l'image ci-dessus allégée de ce fameux bruit. L'image est un peu plus dégagée que la version brute. Difficile encore de deviner la nébuleuse d'Orion, mais l'image gagne en netteté et des étoiles sont révélées.

Image de la nébuleuse d'Orionpour le filtre F187N de l'un des quatre detecteurs de l'instrument NIRCam, un instrument du téléscope spatial James Webb, une fois le bruit soustrait de l'image brute. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Unifier la luminosité

Ce premier traitement est appliqué à chaque image. Elles sont ensuite calibrées, c'est-à-dire unifiées, en terme d'intensité et de luminosité. Mais, à ce stade, chacune de ces images n'est qu'un fragment de l'image d'ensemble de la nébuleuse : elles sont divisées en quatre.

Planche montrant des images de la nébuleuse d'Orion, correspondant aux 4 détecteurs, de l'instrument NIRCam du téléscope James Webb, avant leur combinaison. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Assembler les images produites

C'est alors le moment d'assembler le tout pour obtenir une vue globale. "On combine les différentes images pour créer une image d'ensemble. Là, nous avons l'image exploitable", explique Amélie Canin. Une image "exploitable", certes, mais dans des nuances de gris. Voici l'image assemblée de la nébuleuse d'Orion, pour un seul filtre.

Image "finale" de la nébuleuse d'Orion, prise par l'instrument NIRCam du téléscope James Webb, pour le filtreF187N. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Une image pour un filtre ne correspond pas à une seule pose. "On prend une séquence de poses et on les additionne pour avoir une image la plus nette possible", explique Olivier Berné.

"L'intĂ©rĂȘt est de complĂ©ter les Ă©ventuels dĂ©fauts sur une image ou une autre."

Amélie Canin, ingénieure

Ă  franceinfo

Au total, quatorze images comme celles-ci ont Ă©tĂ© produites, correspondant aux 14 filtres de l'instrument NIRCam. Les Ă©lĂ©ments qui ressortent ne sont pas les mĂȘmes, selon les filtres, comme l'illustre la planche ci-dessous. De gauche Ă  droite, elle montre la nĂ©buleuse d'Orion avec les filtres f187n, f277w et f335m.

Planche de trois images de la nĂ©buleuse d'Orion, prise avec l'instrument NIRCam. La premiĂšre correpond au filtre f187n, la seconde au filtre f277w et la troisiĂšme au filtre f335m. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

Coloriser le tout avec un graphiste 

Si ces images sont prĂȘtes Ă  ĂȘtre utilisĂ©es, elles restent en noir et blanc. C'est alors que la couleur est introduite. Le tĂ©lescope James Webb observe l'univers dans l'infrarouge. Il distingue des Ă©lĂ©ments que l'Ɠil humain ne peut dĂ©celer. Si en rĂ©alitĂ© les couleurs de l'image ne ressemblent pas Ă  ce que nous pourrions voir Ă  l'Ɠil nu (si toutefois nous Ă©tions assez proches de la nĂ©buleuse d'Orion), les images produites par le tĂ©lescope reprĂ©sentent une "traduction d'un message du mieux que l'on peut", avance Olivier BernĂ©.

La colorisation marque "le début de la partie artistique", remarque l'astrophysicien. ProblÚme : elle n'est pas à la portée de tous. Les scientifiques disposent d'un outil pour produire des compositions simples. Voici un exemple de ce que cela peut donner, avec trois filtres (rouge : f335m, vert : f277w, et bleu : f335m). Cette composition a été réalisée par Amélie Canin pour les besoins de cet article.

Exemple rudimentaire d'image colorisée de la nébuleuse d'Orion, combinant trois filtres de l'instrument NIRCam du téléscope James Webb. (NASA / ESA / CSA / PDRS4ALL TEAM / AMELIE CANIN)

"On constate que combiner simplement les images ne permet pas d'avoir la belle image finale."

Amélie Canin, ingénieure

Ă  franceinfo

C'est pourquoi il vaut mieux recourir Ă  un graphiste. Pour ce travail, Olivier BernĂ© a fait appel aux services de la VĂ©nĂ©zuĂ©lienne SalomĂ© Fuenmayor, prĂ©sente Ă  Toulouse. "Elle s'Ă©tait entraĂźnĂ©e auparavant sur des images de James Webb pour se faire la main", relĂšve-t-il "On a choisi de tout faire en interne, et ce n'est pas forcĂ©ment courant. Faire une observation comme ça, dans la nuit, et livrer des images quelques heures ensuite, c'est quelque chose d'extrĂȘmement rare", souligne Olivier BernĂ©.

"Etre avec notre graphiste nous a permis d'aller plus vite et d'avoir un avis sur cette partie artistique du processus."

Olivier Berné, astrophysicien

Ă  franceinfo

Pour des raisons techniques et de délai, quatre images ont été mises de cÎté. "On lui a transmis 10 images et on lui a laissé les mains libres avec assez peu de contraintes", souligne l'astrophysicien. Salomé Fuenmayor a commencé par aligner manuellement toutes les images car elles ne le sont pas forcément. Ensuite, "elle a colorisé chaque couche en adoptant un code couleur, selon notre demande. Les fréquences basses se trouvent dans le rouge. Les couleurs les plus bleues correspondent aux plus hautes fréquences, comme dans le spectre électromagnétique", explique Olivier Berné. Et de nuancer : "Mais c'est Salomé qui a choisi la couleur détaillée et l'ajustement du niveau de contraste et de saturation pour faire la composition colorée finale."

"La dimension artistique joue... mais aussi une dimension scientifique."

Olivier Berné, astrophysicien à l'Irap

Ă  franceinfo

AprÚs environ huit heures de travail en flux tendu, toute l'équipe s'est accordée sur l'image qu'elle trouvait la plus belle. Celle-ci a été extraite. Puis cette image, qui cumule dix couches, a subi un ultime travail d'ajustement d'ensemble, donnant le cliché qui a été publié. Face aux critiques qui évoquent parfois un travail d'embellissement exagéré, Olivier Berné rétorque qu'"il n'y a pas de trucage".

"Tout ce que nous voyons dans l'image est réel. Toutes les étoiles, tous les nuages, toutes les structures, tous les filaments, tous les globules... Tout est là. Nous n'avons rien créé."

Olivier Berné, astrophysicien à l'Irap

Ă  franceinfo

Olivier BernĂ© ne cache pas que 70% Ă  80% de son programme scientifique avec le tĂ©lescope James Webb est dĂ©diĂ© Ă  la spectroscopie, et que l'imagerie n'occupe qu'une place minoritaire. Toutefois, il insiste sur le fait que ces images auront un intĂ©rĂȘt scientifique, pour la recherche. Surtout, il met l'accent sur la nĂ©cessitĂ© d'ouvrir la science. "Nous ne faisons pas cela pour que les scientifiques soient contents avec des rĂ©sultats trĂšs techniques que personne ne comprend", tonne l'astrophysicien. "Le travail scientifique, c'est aussi de communiquer des rĂ©sultats au grand public, Ă  l'ensemble de la sociĂ©tĂ©, juge-t-il. Une image comme celle-lĂ  est dĂ©jĂ  un rĂ©sultat scientifique dans la mesure oĂč nous montrons le cosmos avec un niveau de dĂ©tail inĂ©dit."

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