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Chiens, chats, singes, poissons... Les animaux et l'espace, une histoire qui finit mal (en général)

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10 min
En 1964, Félicette fut le premier chat envoyé dans l'espace, à bord d'une fusée française Véronique AGI 47. (AFP)

Il y a soixante ans, l'URSS envoyait dans l'espace la chienne Laïka, qui devenait ainsi le premier être vivant placé en orbite autour de la Terre. L'occasion de rappeler que les animaux ont toujours été associés aux programmes spatiaux, pour le meilleur et pour le pire.

Pauvre Laïka. Il y a soixante ans, le 3 novembre 1957, cette petite chienne décollait pour un voyage sans retour, à bord d'un Spoutnik 2 soviétique. "Je lui ai demandé de nous pardonner et j'ai pleuré en la caressant une dernière fois", se souvient encore la biologiste russe Adilia Kotovskaïa. Après neuf tours de la Terre, la température à l'intérieur de la capsule s'est mise à augmenter pour dépasser les 40 °C, faute de protection suffisante contre les radiations solaires.

A en croire la version officielle, Laïka devait rester en vie entre huit et dix jours, et trouver la mort "grâce" à un poison administré avec sa nourriture, pour lui éviter une mort douloureuse. Il faudra attendre les années 1980 pour apprendre la vérité : la chienne est en fait morte au bout de quelques heures à cause de la chaleur et de déshydratation. "L'URSS a choisi un chien car c'était l'animal le plus connu de l'école physiologique soviétique", explique Michel Viso, responsable des programmes d'exobiologie au Cnes, contacté par franceinfo.

La chienne Laïka dans une capsule pressurisée, à Moscou, avant son départ dans le Spoutnik, en 1957. (RIA NOVOSTI / AFP)

Maigre consolation : Laïka reste à jamais comme le premier être vivant à avoir été placé en orbite autour de la Terre. Surtout, elle a prouvé qu'un être vivant pouvait survivre en apesanteur. En 1947 déjà, des mouches drosophiles avaient été propulsées dans une fusée V2 puis ramenées en vie, dans le cadre d'une étude sur les effets des rayonnements à haute altitude sur les organismes vivants. Au début des années 1950, des rats, des souris et des lapins avaient également effectué des vols en ballon.

Chiens soviétiques et singes américains

Les Etats-Unis, eux, ont préféré réaliser des tests sur des singes, rappelle Slate, pour leurs similitudes physiologiques avec l'homme. Entre 1948 et 1951, la Nasa fait ainsi décoller au total six singes rhésus, avec des résultats à chaque fois malheureux. Albert I meurt de suffocation pendant le voyage. Albert II parvient à atteindre l'espace, mais il meurt dans le crash de sa capsule, lié à un défaut de parachute. Albert VI (ou Yorick) est le premier de la série à survivre, explique la Nasa (en anglais), après un séjour à 72 km d'altitude. Mais il meurt peu de temps après, signale Space.com (en anglais), sans doute en raison d'un stress thermique.

Côté russe, les chiens Tsygan et Dezik deviennent les premiers survivants d'un vol suborbital (dont la vitesse n'est pas suffisante pour entrer en orbite), après avoir atteint 100 km d'altitude en 1951. Après de nombreux autres tests, l'URSS passe ensuite aux vols orbitaux. Avec Laïka, donc, puis avec les chiens Belka et Strelka, premiers à rentrer vivants d'un tel périple. Leur mission est effectuée en août 1960, quelques mois avant le premier vol habité du Soviétique Youri Gagarine, le 12 avril 1961. La renommée des deux animaux est telle que des timbres sont imprimés à leur effigie et que la légende est encore vivace, avec un film d'animation en 3D sorti récemment en Russie.

La Nasa, elle, poursuit ses travaux avec des singes. En 1957, Miss Baker est la première à survivre à un vol spatial. Puis vient le tour du programme Mercury, avec Ham, capturé au Cameroun puis transféré et entraîné en Floride. Bardé de capteurs et enfermé dans une capsule pressurisée, il s'envole en 1961 depuis la base de Cap Canaveral pour un vol en apesanteur de sept minutes, à 250 kilomètres d'altitude.

Quelques mois plus tard, c'est au tour du singe Enos, cette fois pour un voyage en orbite autour de la Terre. Lors des tests cognitifs réalisés pendant le vol, le système de contrôle électronique connaît un dysfonctionnement et l'animal reçoit des dizaines de secousses électriques, alors même qu'il répond correctement aux questions répétées à l'entraînement. Après trois heures de voyage et deux orbites autour de la Terre, il est repêché dans l'océan Atlantique et meurt six mois plus tard de dysenterie.

"Le conditionnement des singes se fondait alors sur la punition et non la récompense", précise Michel Viso. A l'occasion d'un programme avec des singes rhésus, en 1985, ce dernier a renversé la logique, en s'appuyant sur un système de récompense, à l'aide de bonbons ou de jus de fruit. "Quand ils répondaient trop bien, il fallait d'ailleurs arrêter le test, car ils grossissaient", se souvient-il, tout en ajoutant que la condition d'animal expérimental "n'est en aucun cas enviable".

Le rat Hector, un héros français

Et la France dans tout ça ? Dans un premier temps, en 1961, elle se contente d'envoyer des rats. Hector est ainsi entraîné dans une centrifugeuse au Centre d'études et de recherche de la médecine astronautique, avec six autres compagnons. Il dispose d'une combinaison spatiale, conçue à l'aide de ressorts fixant "un bâti métallique", explique un document de l'époque. Hector décolle à bord d'une fusée Véronique, avec des électrodes implantées dans le cerveau. Après cinq minutes d'apesanteur, à 200 km d'altitude, il revient sain et sauf. Deux autres "ratonautes" suivront les traces du petit rongeur : Castor et Pollux.

Premier voyageur "français" de l'espace, le rat Hector a atteint une altitude de 150 kilomètres en 1961. (AFP)

Electrodes, centrifugeuse... Rebelote deux ans plus tard, cette fois avec un chat. Sélectionnée la veille du décollage, Félicette reste encore aujourd'hui le seul félin envoyé dans l'espace. Sa mission fut bien plus modeste que celle assignée à Laïka. La chatte n'a pas été placée en orbite, mais a effectué un simple aller-retour suborbital de dix minutes, depuis la base d'Hammaguir, dans le Sahara, dont la moitié en apesanteur. Elle ne fut baptisée qu'après son retour, écrit Patrick Roberts, sur son site consacré aux chats célèbres, car les membres de l'équipe ne devaient pas s'attacher aux animaux.

En 1964, Félicette fut le premier chat envoyé dans l'espace, à bord d'une fusée française Véronique AGI 47. (AFP)

La suite est plus triste. Peu après, un autre chat ne survécut pas au décollage. Quant à Félicette, elle fut euthanasiée quelques mois plus tard, pour que les données collectées par les électrodes puissent être analysées. Reste encore le mythe. Récemment, un Londonien a ouvert une cagnotte en ligne (en anglais), afin de récolter des fonds pour ériger, à Paris, une statue de cette chatte. Il reste deux semaines pour y contribuer. Pour être tout à fait complet, il faut encore citer la guenon Martine, et ses sept minutes de non-pesanteur en 1967.

Poissons et araignées à bord de la mission Skylab

Malgré leur rôle crucial dans la compétition spatiale, ces pionniers animaux sont parfois tombés dans l'oubli. "Le jour où Youri Gagarine a volé, on a oublié Laïka, et le jour où Neil Armstrong a posé sur le pied sur la Lune, on a oublié Ham." Mais pourquoi envoyer ces animaux dans l'espace ? "Avec la multiplication des vols spatiaux et l'allongement de la durée des séjours, on a observé des modifications physiologiques chez l'astronaute, répond Michel Viso. Or celui-ci n'est pas le cobaye idéal, car il n'est pas possible de mener les mêmes examens approfondis sur l'organisme." Par ailleurs, d'autres animaux ont été envoyés pour les besoins de la recherche fondamentale : gerbilles, méduses ou même œufs de crapaud.

En 1973, le premier poisson – un choquemort – est envoyé dans l'espace, à bord d'un vol de la mission Spacelab (en anglais). Les chercheurs veulent alors savoir si des poissons peuvent être désorientés en apesanteur, alors qu'ils ont déjà l'habitude d'évoluer en trois dimensions sous l'eau. Les deux petits spécimens nagent d'abord en looping dans leur aquarium. Sur Terre, ils étaient en effet habitués à la présence du Soleil au-dessus de l'eau. Là, comme leur aquarium flotte et tourne, ils ont tendance à nager le dos systématiquement tourné aux sources lumineuses de la capsule. Au bout de quatre jours, toutefois, plus de looping, explique cette étude (en anglais) : les petits choquemorts nagent comme des poissons dans l'eau.

Deux araignées, Arabella et Anita, sont également du voyage. Là encore, les deux spécimens éprouvent quelques difficultés d'adaptation, et ne parviennent à tisser une toile digne de ce nom qu'après quelques tentatives, selon les conclusions de l'étude menée à l'époque (en anglais). Pour la petite histoire, les deux araignées sont mortes de déshydratation.

La première tentative d'Arabella n'a pas été convaincante. (NASA)

L'année suivante, les Russes envoient des tortues dans l'espace pendant quatre-vingt-dix jours, ce qui constitue, encore aujourd'hui, la plus longue mission animale dans l'espace. Ces reptiles étaient déjà envoyés depuis plusieurs années pour tester leur adapation. Lors de la mission Zond 5 de 1968, déjà, les chercheurs avaient observé que les deux tortues étudiées avaient perdu 10% de leur masse corporelle (en anglais). Elles avaient toutefois conservé leur appétit tout au long de leur semaine d'un périple autour de la Lune, avant d'être retrouvées en vie dans l'océan Indien.

Ces expériences préparent les missions au long cours

Les expériences visant à éprouver la résistance des animaux sont toujours d'actualité, car un nombre croissant de pays s'engagent désormais dans des programmes spatiaux. L'Iran, par exemple, a envoyé un singe à 120 km d'altitude, en janvier 2013. Les autorités ont assuré que l'animal avait bien été récupéré en vie, mais le doute subsiste toujours sur cette version. Pourquoi envoyer un singe pour ce type connu de vols ? "Les équipes doivent apprendre à gérer un système de support de vie et montrer à l'extérieur qu'elles le maîtrisent", estime Michel Viso.

Ce singe a été présenté lors d'une conférence de presse à Téhéran (Iran), le 28 janvier 2013. Il est censé avoir dépassé l'atmosphère terrestre, mais certains observateurs ont pointé des différences physiques avec l'animal présenté avant le décollage. (BORNA GHASSEMI / ISNA)

Les chercheurs explorent désormais d'autres pistes et s'interrogent par exemple sur les capacités des êtres vivants à se reproduire en apesanteur. Des pleurodèles, sortes de salamandres, ont réussi à naître à bord de la Station spatiale internationale, en 1996 et 1998, et leur progéniture a connu le même succès de retour sur Terre, explique une étude française. Mais les animaux continuent de mourir pour la science, comme ces geckos astronautes, envoyés pour une étude sur la reproduction. En 2004, les scientifiques avaient perdu le contact avec le satellite Foton-M4, cinq jours après un décollage depuis la base de Baïkonour.

Les scientifiques veulent également étudier les conséquences de longs séjours sur les humains, notamment sur Mars ou sur la Lune. En 2013, dans le cadre d'une mission d'un mois, l’Institut des problèmes biomédicaux de Moscou a donc fait décoller une fusée Soyouz avec 45 souris, 8 gerbilles de Mongolie, 15 lézards, 20 escargots et divers autres organismes vivants. Au dernier moment, une partie des souris avaient dû être remplacées par un groupe de doublures, après une bagarre qui avait causé la mort de l’un des animaux.

La Nasa a également envoyé vingt souris (en anglais) à bord de la Station spatiale internationale, en 2015, afin de mener des études sur l'atrophie musculaire et la perte osseuse subies par les astronautes. Ces études, toutefois, ne sont pas si fréquentes, car "il n'y a pas de quoi maintenir des mammifères très longtemps dans les bâtis expérimentaux de l'ISS", explique Michel Viso.

Et si les voyages orbitaux offraient enfin une chance aux animaux ? Cette année, des petites souris sont nées en laboratoire après une insémination de sperme conservé neuf mois à bord de l'ISS, malgré l'irradation. Selon certains chercheurs, des espèces pourraient ainsi être sauvegardées en cas de cataclysme sur Terre. L'espace a décidément tout de l'arche de Noé.

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