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Non, Fernando Torres ne risquait pas "d'avaler sa langue"

Un coup violent. Et voilà qu'un sportif tombe, inconscient, sur le terrain. L'un de ses partenaires lui ouvre de force la bouche, "pour l'empêcher d’avaler sa langue", suscitant bientôt l'admiration de la presse sportive. Pour chevaleresque qu’il soit, ce geste n’est absolument pas conseillé… Ni dans cette situation, ni en cas de crise d’épilepsie.
Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
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Chaque année ou presque, la scène se rejoue - parfois devant les caméras - sur un terrain de football : Oleg Goussev (Dynamo Kiev) en 2014, David Ginola en 2016 : violemment heurtés ou victimes d’un arrêt cardiaque, ces joueurs s'effondrent, inconscients. Animé des meilleures intentions du monde, un autre joueur s’échine à lui ouvrir la bouche, y introduit ses doigts, et cherche à maintenir la langue afin que celle-ci ne soit pas "avalée" par la victime.

Dernière occurrence en date : ce 2 mars, au stade de La Corogne, l'attaquant de l'Atlético Madrid Fernando Torres est violemment heurté par le milieu défensif du Deportivo La Corogne, Alex Bargantiños, et tombe à terre. Dans les colonnes du quotidien l’Équipe, le journaliste qui relate le match commente : "le joueur a sûrement été sauvé par l’excellent réflexe du latéral de l’Atlético [de Madrid,] Sime Vrsaljiko, qui l’a empêché d’avaler sa langue".

Dans ce cas comme dans les précédents, si l’intention fut réellement d’empêcher l’ingestion du muscle, disons-le tout net : cela n’avait physiologiquement aucun sens. À moins d’être découpée (et éventuellement préparée avec une sauce madère), difficile d’imaginer comment la langue, fermement arrimée aux cartilages de la mâchoire par divers muscles et le frein lingual [1], pourrait être gobée.

Un seul geste utile : le placement en position latérale de sécurité

L’avalage de langue à proprement parler est un mythe, et la littérature médicale n’en recense aucun cas. En revanche, la langue constitue bien un danger pour la personne inconsciente, si elle est sur le dos : si l’un des muscles de la langue (le génioglosse, qui tire justement langue vers l'avant et vers le bas) se relâche, l’organe peut "s’étaler" au fond de la bouche et obstruer les voies respiratoires [2].

Face à une telle situation, la littérature médicale est unanime. Si une personne est inconsciente, mais respire encore, un geste simple permet de libérer ses voies respiratoires : placer la victime en position latérale de sécurité (PLS), et lui ouvrir la bouche. La langue, inerte, se soumet à la gravité. Le basculement en PLS doit être réalisé sans geste brusque, surtout après un choc violent.

Le mythe de la langue avalée – et son corrolaire selon lequel il faudrait à tout pris plonger ses doigts dans la bouche de la victime pour la sauver – semble connaître une popularité sans frontières, notamment concernant la prise en charge des crises d'épilepsie : des enquêtes menées dans divers pays montrent que des personnes sans formation médicale sont très nombreuses à "savoir" qu’il s’agit là de la conduite correcte à tenir.

Interrogé il y a quelques années par le New York Times sur cette croyance populaire, un responsable de l’Epilepsy Institute de New York expliquait que certaines personnes allaient jusqu’à ouvrir les machoires des victimes à la cuillère ou avec des bâtons sales, au risque d’endommager leur gencive. Quant à ceux qui y vont "avec les doigts", ils s’exposent eux-mêmes à des risques de morsure. Pourtant, comme nous le précisait l’urgentiste Gérald Kierzek à l’occasion d’une précédente affaire de "sauvetage sur pelouse", "[en cas de crise d’épilepsie], il faut simplement attendre que la crise soit passée, puis placer la personne en PLS et lui ouvrir la bouche."

À noter que, dans le cas d'une perte de conscience, d'une crise d'épilepsie ou de toute situation analogue, le risque d'étouffement sera plus probablement lié à l'accumulation de fluides dans la bouche (salive, vomi, sang...). Là encore, le placement en PLS permettra d'éliminer le risque de suffocation.


[1] Structure située sous la langue, qui peut toutefois être supprimée chirurgicalement (frénectomie) afin d’augmenter la mobilité de la langue.

[2] Ce phénomène d’obstruction par la langue est en jeu dans certains syndromes apnées du sommeil.

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