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Le monde médical divisé après la diffusion d'une liste de soignants de couleur

L'indignation de la Licra a déclenché la colère de nombreux internautes, revendiquant le fait de choisir qui les soigne.

Article rédigé par franceinfo - Marie Maheux
Radio France
Publié Mis à jour
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La Licra annonce, sur son compte Twitter, avoir contacté le ministre de la Santé. (CAPTURE D'ECRAN TWITTER / FRANCEINFO)

Deux publications ont attiré l'attention de la Licra (la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme). Elles proviennent du compte Twitter baptisé Globule noir, qui se présente comme un groupe de soignants racisés, c'est-à-dire de couleur. Il s'agit d'une liste de gynécologues noirs en Île-de-France et d'une petite annonce d'une patiente, qui cherche une infirmière à domicile racisée sur Paris. Depuis que la Licra a médiatisé le compte il y a une semaine, il a été supprimé mais le problème reste entier pour des internautes, qui affirment que ces listes sont nécessaires.

La liberté de choix d'un praticien revendiquée

La première raison invoquée est celle du racisme que des patients disent avoir subi de la part de soignants blancs. C'est le cas de Roxane, qui est Ivoirienne. Elle a 21 ans quand elle se rend pour la première fois chez un gynécologue. "J'étais un peu stressée et il n'était pas très délicat dans ses gestes. C'était un peu compliqué, se remémore la jeune femme. Je lui ai dit que je voulais avoir une prescription pour la pilule et il a eu cette remarque : 'Ça m'étonne, d'habitude les Africaines elles aiment bien accoucher pour les allocs'. Et il rigolait, apparemment pour lui c'était une blague. Moi j'était super choquée."  Depuis, Roxane a décidé de se tourner vers des gynécologues noirs dont les noms se transmettent sur les réseaux sociaux.

Deuxième raison invoquée par les internautes : la connaissance de certaines spécificités. Pour éviter des souffrances inutiles, dans le cas d'Audrey et de sa famille : "Au moment des opérations chirurgicales, nous ne supportions absolument pas le fil pour recoudre. Il y a un chirurgien en particulier qui m'a confirmé que les peaux noires étaient très très très difficiles pour la cicatrisation."

Il nous a fallu des années et un certain nombre de gros problèmes de cicatrisation pour comprendre qu'en fait il y avait un problème.

Audrey

à franceinfo

Un dernier point ressort de ces témoignages, le besoin d'être en confiance avec son soignant. "Je comprends aisément qu'il y ait des gens qui se disent qu'on va être peut-être plus à l'aise avec quelqu'un qui va nous comprendre parce qu'on a la même couleur. C'est des choses qui se font en 'off' et qui continueront tant que des soignants sont discriminants", témoigne Naïma.

De nombreux internautes font remarquer que le choix d’un praticien en fonction de certains critères est monnaie courante depuis longtemps : des femmes qui préfèrent une femme gynécologue parce qu'elles se sentent plus à l'aise, des personnes gays ou transgenres qui ont recours à des annuaires de praticiens LGBT-friendly, mais aussi des personnes en surpoids qui se transmettent le contact de médecins ne faisant pas de remarques désobligeantes.

Le monde médical en émoi

Le monde médical réagit avec de très fortes divergences à cette polémique. En France, selon le Code de la Santé publique, le malade peut choisir librement son praticien. Mais ce qui a choqué le Conseil national de l'Ordre des médecins et celui des infirmiers qui ont sorti un communiqué mardi 11 août, c'est la constitution "d'annuaire de santé communautaires". "L'Ordre des médecins est tout à fait opposé à la tenue d'annuaire de professionnels de santé communautaires, justifie son vice-président Jean-Marcel Mourgues, parce que cela contrevient à la non-discrimantion édicté dans l'article 7 de son code de déontologie, aux valeurs fondamentales de l'humanisme médical et au socle d'une République et de ses valeur laïques. S'il y a discriminations, il faut les signaler et, le cas échéant, que ces médecins soient sanctionnés."

Mais même le corps médical est divisé. Le syndicat des jeunes médecins généralistes est plutôt favorable à l'établissement de telles listes, comme l'explique son président, Benoît Blaes : "Ce qui pose problème c'est qu'il y a des patients et des patientes qui se sentent discriminés en santé et que ce problème n'est pas réglé par les institutions qui devraient le régler. Toutes les initiatives extérieures qui visent à y répondre, on les défend parce qu'au moins elles proposent d'avancer sur le problème du racisme en santé."

Contacté par franceinfo, le cabinet du ministre de la Santé, Olivier Véran, se dit choqué par l'établissement de ces listes et compte sur l'Ordre des médecins pour faire respecter les règles de déontologie de la profession.

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