: Reportage "C'est un tournant de la médecine" : un traitement en une seule injection permet d'espérer la guérison des malades atteints de drépanocytose
Une avancée médicale majeure. Même les médecins les plus prudents évoquent désormais le mot "guérison" pour la maladie génétique la plus fréquente au monde et en France : la drépanocytose dont c'est la journée mondiale le 19 juin. Après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, en France, la Haute autorité de santé devrait autoriser, dans les prochaines semaines, un médicament innovant qui permet en une seule injection d'espérer la guérison.
La drépanocytose touche, en France, 30 000 patients et pourtant, on connaît peu cette maladie. C'est une maladie du sang. Elle s'accompagne de crises qui font atrocement souffrir. Cathy Aristil a été diagnostiquée il y a 20 ans. Elle s'est récemment cassé le nez et explique qu'une fracture, c'est moins douloureux qu'une crise de drépanocytose : "Ce sont des douleurs extrêmement intenses. Ça peut faire mal aux os. Ça peut faire mal au niveau des muscles, au niveau du thorax, à la tête, partout où vous avez des articulations, des os et des muscles. Des fois, la douleur est tellement intense qu'on ne peut plus bouger et ça implique des hospitalisations à répétition."
"Les effets sont suffisamment spectaculaires"
Pour calmer une crise, un simple paracétamol ne suffit pas. Il faut de la morphine ou des opioïdes. La drépanocytose affecte l'espérance de vie : 40 ans en moyenne. Elle touche majoritairement des personnes à la peau noire. Il existait, jusqu'ici, une possibilité de guérison : une greffe de moelle osseuse, mais il fallait trouver un frère ou une sœur compatible.
Désormais, il y a ce médicament : le Casgevy. Une thérapie génique qui pourrait tout changer, explique le professeur Pablo Bartolucci, spécialiste de la drépanocytose : "C'est clairement un tournant de la médecine. Les résultats sont très prometteurs. Avec un recul de 18 mois, il y a 94% de patients qui n'ont pas fait de crise. C'est peut-être et probablement une guérison. Je dis simplement que, pour vraiment parler de guérison, il va falloir attendre cinq ans. Là les effets sont suffisamment spectaculaires pour que ce soit un énorme espoir pour les patients." L'équipe du professeur Bartolucci à l'hôpital Mondor de Créteil est prête. Elle proposera ce traitement à certains patients, pas les plus gravement atteints ou les moins touchés par la maladie, mais ceux qui se trouvent dans un entre-deux, et qui ne peuvent bénéficier de greffe car n'ont pas de donneur compatible.
Des séances avec une psychologue pour préparer les patients à guérir
La particularité de ce traitement, c'est que c'est une thérapie génique qui utilise une technique de pointe : une thérapie génique qui utilise les ciseaux moléculaires Crispr Cas9. Un procédé récompensé par l'académie Nobel en 2020. Ce serait la première fois qu'on l'autoriserait en France. Les médecins prélèvent des cellules souches du malade, les envoient dans un laboratoire en Ecosse. Là-bas, les cellules sont modifiées grâce à la technique des ciseaux moléculaires. Ensuite elles sont réinjectées au patient.
Ce procédé permet de parler donc de guérison à tel point que l'hôpital Mondor a prévu pour les patients qui vont en bénéficier des séances avec une psychologue. Des séances pour se préparer à guérir, explique Cathy Aristil qui est patiente experte et travaille avec l'hôpital : "Le patient se doit d'avoir un accompagnement parce qu'on a un attrait identitaire à la douleur et à la souffrance puisqu'on a vécu toute notre vie avec. On a aussi une mémoire traumatique de la douleur et là, arriver un jour sans douleur aucune, ça doit être quelque chose d'assez exceptionnelle et d'assez troublant. Parce que c'est un nouveau monde, une nouvelle expérience, on n'a pas été habitués. On a aussi peut-être des résidus psychologiques donc oui, il faudrait apprendre à se réadapter à cette vie un peu plus normale."
Comme la plupart des thérapies géniques, celle-ci coûte très cher. Autour de deux millions d'euros pour ce médicament commercialisé par Vertex Pharmaceuticals, un laboratoire privé basé aux Etats-Unis. Avec 30 000 malades en France, même si tous ne sont pas éligibles, cela soulève des questions pour les finances de notre système de santé, puisque le coût du traitement sera pris en charge par l'Assurance-maladie. Et que dire des patients en Afrique, le traitement serait inaccessible pour eux.
La France a décidé de fabriquer sa propre thérapie génique
Alors la France cherche une alternative. Dans le cadre d'un consortium, un programme français de thérapie génique a vu le jour, soutenu par l’AFM Téléthon et impliquant l’Inserm Art Thérapie Génique, l’Institut Mondor de Recherche Biomédicale, l’institut Imagine, le Généthon, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et le Red. L’objectif est de développer un traitement par thérapie génique efficace et à moindre coût, explique le chercheur Nicolas Hébert : "On travaille à développer une thérapie génique française qui pourra, on l'espère, être proposée dans un essai clinique aux patients français dans quelques années, d'ici quatre à cinq ans."
"On va essayer de le faire au coût de fabrication, sans faire de marge dessus, précise Nicolas Hébert. C'est l'objectif et la différence qu'il va y avoir avec une industrie pharmaceutique puisque ce sera uniquement institutionnel et on espère pouvoir le proposer à un coût réduit."
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