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Pilule abortive : cinq questions sur les tensions d'approvisionnement en misoprostol, médicament utilisé pour une grande majorité des IVG en France

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des pilules de misoprostol à Rockville (Etats-Unis), le 13 avril 2023. (ANNA MONEYMAKER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
L'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament a alerté mardi sur des pénuries. Le gouvernement se veut pour sa part rassurant.

"Il est inacceptable qu'un médicament aussi important soit indisponible, ne serait-ce qu'une semaine." L'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds) a alerté, dans son dernier rapport mardi 18 avril, sur des pénuries de misoprostol, une pilule abortive utilisée pour une grande majorité des interruptions volontaires de grossesse (IVG) en France. Toutefois, le ministre de la Santé, François Braun, a démenti ce constat, mercredi sur RMC. Une situation qui soulève plusieurs questions auxquelles franceinfo répond. 

1 De quelles pilules parle-t-on ? 

L'IVG médicamenteuse consiste à prendre successivement deux médicaments : la mifépristone puis, 36 à 48 heures après, le misoprostol, nécessaire à l'expulsion de l'embryon. En France, deux spécialités à base de misoprostol sont autorisées dans les IVG médicamenteuses. Le Gymiso et le MisoOne sont commercialisées par le laboratoire Nordic Pharma, dont les capitaux appartiennent principalement aux Américains.

2 Quelles régions sont touchées ? 

D'après l'OTMeds, qui avait déjà sonné l'alarme il y a plusieurs semaines, plusieurs zones ont été touchées par les pénuries. Le misoprostol a ainsi été ou est encore difficile, voire impossible à trouver, à Lille début avril, à Versailles (Yvelines), à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), a-t-il rapporté.

"Nous avons reçu récemment de nouveaux témoignages indiquant qu'il n'est pas disponible non plus en Occitanie ou dans certaines pharmacies parisiennes", a déclaré mardi Pauline Londeix, cofondatrice de cet observatoire.

3 A quoi sont dues ces difficultés ?

L'OTMeds donne plusieurs pistes d'explication. Il note d'abord que "le misoprostol est sous brevets, il n'y a pas de génériques, ni de produits équivalents". Sa production se retrouve très concentrée (en nombre de détenteurs et de sites de production), ce qui rend "la chaîne d'approvisionnement vulnérable".

"Un nombre restreint d'usines et d'exploitants exposent encore plus la fabrication et la commercialisation des produits aux menaces et pressions des groupes anti-IVG", ajoute l'OTMeds. Or, début avril, un juge fédéral au Texas a retiré l'autorisation de mise sur le marché de la mifépristone.

"Si vous avez des sites diversifiés, des appels à boycott ou des menaces sont possibles, mais vous avez plus de possibilités de résister", confirme auprès de Libération Jérôme Martin, cofondateur d'OTMeds. Ce dernier évoque le risque de voir "les capitaux américains" alloués au médicament "éventuellement baisser".

Dans un communiqué, le Haut Conseil à l'égalité (HCE) s'est également inquiété mardi que "la production des deux médicaments utilisés pour les avortements médicamenteux" soit "dans les mains d'un seul producteur, le groupe Nordic Pharma dont une partie conséquente des capitaux est américaine".

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a quant à elle confirmé mardi avoir été informée en fin d'année 2022 par Nordic Pharma de retards de fabrication pour Gymiso. "Ce retard a entraîné une perturbation de la couverture des besoins en Gymiso, estimée à hauteur de 20%, qui a conduit à un report d'utilisation vers MisoOne auquel est venu s'ajouter un retard d'approvisionnement en matière première pour ce dernier", a-t-elle détaillé.

4 Pourquoi cette situation inquiète ?

En France, deux tiers des IVG sont médicamenteuses, selon des chiffres du ministère de la Santé (PDF). "L'accès à l'avortement risque d'être fortement limité, portant une grave atteinte aux droits sexuels et reproductifs des femmes", déplore le HCE. Au-delà de la pénurie, l'OTMeds s'inquiète que la recherche de solution "détourne le temps des soignants et plonge dans l'angoisse les personnes qui ont besoin d'un accès rapide".

Interrogé sur le sujet, le ministre de la Santé s'est toutefois voulu rassurant mercredi, sur RMC. L'accès à ce médicament est "possible partout", a assuré François Braun. Soulignant "une tension" mais "pas de pénurie", il a précisé que si on ne le trouvait pas en pharmacie, les centres qui pratiquent les IVG en ont toujours eu à disposition. "Il y a maintenant trois mois de stocks." 

"Une pénurie ne signifie pas nécessairement une absence totale et définitive d'un produit de santé sur l'ensemble du territoire", a répondu l'OTMeds, "mais peut être : soit son contingentement, soit une indisponibilité de fait sur un territoire donné". "Il est inacceptable qu'un médicament aussi important soit indisponible, ne serait-ce qu'une semaine. C'est ce qui est arrivé et qui arrive encore avec cette pilule", martèle l'observatoire.

5 Qu'est-ce qui est fait pour y remédier ?

Dans ce contexte de "forte tension", l'agence du médicament souligne avoir mis en place un "contingentement" pour gérer au mieux les stocks disponibles, avec une interdiction de vente et d'exportation des médicaments par les grossistes vers l'étranger. Cette mesure "doit être appliquée et respectée jusqu’à la remise à disposition normale du médicament, permettant un approvisionnement continu et approprié du marché national", stipule sur son site l'organisme.

"Ces tensions sont en voie d'être résolues avec la distribution de plusieurs dizaines de milliers de boîtes de Gymiso la semaine dernière et de MisoOne à partir de cette semaine", assure désormais l'ANSM. En parallèle, "afin de consolider" les approvisionnements, "une importation de la spécialité MisoOne italienne est également en cours".

Les inquiétudes sur l'approvisionnement ont provoqué de vives réactions. Des figures politiques comme Sandrine Rousseau (EELV) ou Laurence Rossignol (PS) ont demandé au gouvernement d'agir en urgence pour "garantir ce droit des femmes". La semaine dernière, le Planning familial s'était aussi ému de la situation, appelant à des mesures "pour que l'accès à l'IVG ne soit pas restreint".

A son tour, le Haut Conseil à l'égalité a demandé au gouvernement français de "relocaliser" la fabrication de la pilule abortive. Il souhaite que la France "retrouve rapidement sa souveraineté en matière de production de pilule abortive".

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