Pénuries de médicaments : pourquoi la France pourrait de nouveau connaître des problèmes d'approvisionnement cet hiver

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié
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Une boîte d'amoxicilline, l'antibiotique le plus courant, dans une pharmacie de Briançon (Hautes-Alpes), le 20 octobre 2023. (THIBAUT DURAND / HANS LUCAS / AFP)
Les tensions sur le marché mondial des médicaments n'ont pas disparu. Pour y faire face, le gouvernement et l'Agence nationale de sécurité du médicament ont pris plusieurs décisions, mais les pharmaciens restent inquiets.

La France va-t-elle de nouveau connaître une pénurie de médicaments équivalente à celle de l'an dernier ? Au cours de l'hiver 2022-2023, certains produits, comme l'amoxicilline et le paracétamol, avaient connu des soucis d'approvisionnement plus ou moins longs. Ces tensions s'étaient avérées particulièrement problématiques fin 2022 et début 2023 dans un contexte de triple épidémie de Covid-19, de grippe et de bronchiolite.

A l'origine du problème : l'inadéquation entre un nombre de producteurs resserrés et une demande mondiale grandissante. Les fabricants pharmaceutiques ont par ailleurs délocalisé leurs productions en Inde et en Chine, où les coûts sont moins élevés, rendant le reste du monde dépendant de ces pays. La guerre en Ukraine a aussi perturbé la chaîne du médicament, Kiev produisant un certain nombre de composants nécessaires à l'emballage des médicaments.

Alors que l'automne est bien entamé, les pharmaciens sont de nouveau préoccupés. "On sait que, pendant l'hiver, nos demandes vont se concentrer sur la même classe de médicaments, notamment le paracétamol et les antibiotiques, qui sont des molécules pour lesquelles on connaît déjà des tensions", détaille Bruno Maleine, le représentant des officines au sein de l'Ordre national des pharmaciens. "On voit bien que l'histoire a de fortes chances de se répéter", estime aussi Gabrielle Gross, présidente du Syndicat des pharmaciens de l'Ain, dans Le Progrès. Grégory Tempremant, président de l'Union régionale des professionnels de santé des pharmaciens d'officine, estime même dans La Voix du Nord, que la situation risque d'être "pire" que l'an dernier.

Le ministère reconnaît des "disparités" selon les pharmacies

Leur inquiétude est-elle légitime ? Plus de 3 700 médicaments ont connu des pénuries ou des tensions d'approvisionnement en 2022 en France et le chiffre risque d'augmenter en 2023, avec 3 500 déclarations de rupture ou risque de rupture à la fin du mois d'août, selon l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). A la date du 18 octobre, les pharmacies étaient déjà à flux tendus sur plusieurs médicaments majeurs de l'hiver, selon un recensement de l'ANSM. Les stocks de certaines formes d'amoxicilline, de paracétamol, de prednisolone ou de fluticasone étaient ainsi inférieurs à sept jours, voire à trois jours, contre un stock de plus de sept jours dans une situation considérée comme normale.

Les autorités de santé se veulent néanmoins rassurantes. "Si on se focalise sur les molécules que l'on utilise pendant les pathologies hivernales, (...) on est dans des situations où les stocks sont là, au niveau des industriels", a souligné Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'ANSM, le 4 octobre sur franceinfo. D'après le recensement effectué par l'ANSM au 18 octobre, le salbutamol était en effet le seul médicament de l'hiver pour lequel le stock des industriels était en deçà de la normale. En revanche, Christelle Ratignier-Carbonneil a reconnu "des disparités d'accès au niveau des officines" sur certaines molécules, notamment sur l'amoxicilline, l'antibiotique le plus courant. Même son de cloche du côté d'Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, qui a pointé sur France Inter les "sur-stocks" réalisés par certaines "grosses pharmacies".

Des mesures vraiment "adaptées" pour répondre à la situation ?

Pour faire face à ce problème, le ministre de la Santé a annoncé "la décision de redonner à ceux qui font la répartition la responsabilité que toutes les pharmacies, y compris les plus petites, aient accès à ces stocks". Sur demande du gouvernement, l'ANSM a également établi un plan de préparation des épidémies hivernales, dévoilé début octobre. En fonction de l'évolution des données épidémiologiques, des données d'approvisionnement et des remontées des soignants sur le terrain, l'agence sanitaire pourra être amenée à importer des médicaments, limiter les exportations à l'étranger des molécules produites en France, voire à autoriser les préparations magistrales – des médicaments préparés sur mesure en officine pour les besoins spécifiques d'un patient. Cette mesure, qui avait déjà été autorisée l'hiver dernier, sera étendue cette année aux pharmacies hospitalières si besoin, a annoncé Aurélien Rousseau dans Les Echos.

En août, le ministre a également décidé une augmentation de 10% du prix de l'amoxicilline, contre la garantie de la part des industriels de disposer de stocks suffisants. Puis en septembre, l'exécutif a aussi fait connaître son intention de rendre obligatoire la vente de certains antibiotiques à l'unité, pour éviter la déperdition de doses chez les particuliers. Enfin, Aurélien Rousseau a rappelé sur France Inter que le gouvernement s'attaquait aux problèmes des pénuries en "relocalisant en France la production de 25 médicaments stratégiques" et en travaillant à la meilleure disponibilité de "450 médicaments essentiels".

L'Union européenne s'est aussi saisie du sujet. La Commission a dévoilé, fin octobre, son plan pour remédier aux pénuries, annonçant notamment le lancement d'un mécanisme européen de solidarité volontaire en matière de médicaments, dès octobre. Parmi les autres mesures dévoilées, on trouve aussi l'autorisation de dérogations réglementaires à partir de 2024, par exemple en prolongeant la durée de conservation de certaines molécules ou l'acquisition de stocks conjoints à l'UE pour l'hiver prochain.

"Difficile de savoir si ces mesures seront suffisantes pour passer l'hiver, car on n'a pas encore assez de recul."

Bruno Maleine, représentant des officines à l'Ordre national des pharmaciens

à franceinfo

Parmi les pistes encore à creuser, il estime, comme de nombreux observateurs, qu'il "faut s'interroger sur la rentabilité" des médicaments pour les industriels... c'est-à-dire leur prix.

Le pharmacien pointe par ailleurs que la vente à l'unité n'est pour l'instant pas "adaptée" à la façon dont sont conçus les médicaments. "Il y a une seule notice dans la boîte, et le nom, le dosage du médicament et le numéro de lot ne figurent pas à l'arrière de chaque comprimé... Passer à la vente à l'unité veut dire repenser le mode de distribution du médicament depuis sa fabrication." Quant à la réindustrialisation de la production, "c'est sur le long terme que ça se jouera". 

Malgré les mesures mises en place, la survenue de difficultés majeures cet hiver dépendra donc surtout de l'intensité des épidémies. Pour tenter d'en limiter l'importance, le gouvernement a lancé une campagne de vaccination conjointe contre le Covid-19 et la grippe fin octobre. L'exécutif a aussi commandé 200 000 doses du nouveau traitement préventif contre les formes graves de la bronchiolite. Mais le vaccin est depuis quasiment introuvable en France. Une pénurie de plus.

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