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Ebola : pourquoi le sérum expérimental injecté à deux Américains fait polémique

La décision d'utiliser un médicament expérimental pour soigner deux Américains infectés par le virus Ebola, tandis que près d'un millier d'Africains ont déjà succombé à l'épidémie, divise la communauté scientifique.

Article rédigé par franceinfo
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L'Américain Kent Brantly, contaminé par le virus Ebola lors d'une mission humanitaire au Liberia, le 30 juillet 2014. (JONI BYKER / SAMARITAN'S PURSE / AFP)

"Les conditions d'une urgence de santé publique de portée mondiale sont réunies." Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'épidémie de fièvre hémorragique Ebola est la plus grave en quatre décennies. L'institution appelle donc, vendredi 8 août, à "une réponse internationale coordonnée" pour faire face à l'épidémie, qui a fait près de 1 000 morts dans quatre pays d'Afrique de l'Ouest. 

Le virus Ebola se transmet par contact direct avec le sang, les liquides biologiques ou les tissus de personnes ou d'animaux infectés. Il provoque une fièvre caractérisée par des hémorragies, vomissements et diarrhées. Son taux de mortalité varie de 25 à 90%. Face à l'ampleur de l'épidémie, les appels aux moyens extraordinaires se multiplient. Mais l'éventuelle utilisation de traitements encore expérimentaux fait polémique.

Un traitement expérimental jamais testé sur l'homme

A l'heure actuelle, il n'existe aucun traitement ni vaccin validé contre Ebola. Mais deux Américains infectés par le virus lors d'une mission humanitaire au Liberia se sont vus proposés un "sérum secret", selon CNN (en anglais). Baptisé ZMapp, ce traitement est expérimental. "Il s'agit d'un traitement à base d’anticorps monoclonaux, c'est-à-dire de molécules dirigées spécifiquement contre une autre molécule et permettant sa destruction par le système immunitaire", précise Le Monde.fr. Mapp Biopharmaceutical, une entreprise californienne qui l'a mis au point en le testant sur des souris et des singes, a indiqué disposer d'un faible stock de son sérum. Il ne peut, de toute façon, pas être commercialisé, faute d'essai sur l'homme. 

Trois fioles de ce sérum ont été envoyées au Libéria et les deux Américains malades ont accepté de prendre le risque d'un traitement expérimental, selon CNN. Sur l'un des deux patients, le traitement aurait eu un effet spectaculaire : son état se serait amélioré seulement une heure après la prise du sérum. Depuis, il a été rapatrié aux Etats-Unis. Pris en charge par une unité spécialisée en maladies infectieuses, son état semble satisfaisant : il a même pu marcher. 

"Au vu des connaissances actuelles sur le fonctionnement des anticorps neutralisants, j’ai du mal à comprendre comment un rétablissement aussi rapide a pu se produire", explique le docteur Sylvain Baize de l'Institut Pasteur, interrogé par La Croix. Il invite à la prudence : "Ce n’est pas à partir de seulement deux cas qu’on peut conclure à l’efficacité de ce traitement qui, en outre, ne semble pas pouvoir être produit aujourd’hui à une large échelle."

Des questions d'éthique

L'usage de ce traitement expérimental pose des questions éthiques. Pourquoi des malades africains ne sont-il pas cobayes à leur tour ? La question divise le monde médical et certains pointent le risque d'effets secondaires ou tout simplement le risque pour la vie des patients. "Une situation épidémique ne me semble pas être un cadre adapté pour mettre en place des essais cliniques de large ampleur", estime le médecin dans La Croix. "Aujourd’hui, il ne semble pas éthique de proposer une molécule, dont on ne connaît rien des effets secondaires, à des patients qui, dans 40% des cas, vont guérir naturellement", dit-il.

A contrario, trois experts du virus Ebola, dont le professeur belge Peter Piot qui avait co-découvert le virus en 1976, ont plaidé pour que le traitement soit mis à disposition du plus grand nombre. "Cette épidémie va durer sans doute plusieurs mois. Si elle se déroulait en Europe, le débat sur l'usage 'compassionnel' de traitements n'ayant pas encore été complètement validés aurait déjà été ouvert. Nous y avons eu recours par le passé", expliquent ces chercheurs dans une tribune publiée par le Wall Street Journal (article payant, en anglais). "Les pays africains où sévit l'épidémie actuelle devraient bénéficier de la même opportunité", estiment-ils. "Une fois l'épidémie terminée, il n'y aura plus d'efforts d'investissement dans la recherche sur les traitements et les vaccins" et à la prochaine épidémie, "rien ne se sera passé".

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