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Reportage Covid-19 : à Creil, où la vaccination peine à décoller, soignants et pompiers tentent de "rassurer" des habitants hésitants

Dans l'agglomération de Creil, dans l'Oise, où le taux de vaccination est l'un des plus faibles en France, les non-vaccinés, dont de nombreux jeunes, tardent à recevoir leur injection. Face à la quatrième vague de Covid-19, les autorités espèrent inverser la tendance.

Article rédigé par franceinfo, Paolo Philippe
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un pompier tente de convaincre une femme de se faire vacciner, le 4 août 2021 à Nogent-sur-Oise (Oise). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Phyne et Emely se racontent leur vie au fast-food, dégustent un milk-shake et envoient quelques vannes à leur pote Billy, placide sous sa capuche bleue. Les deux filles sont vaccinées ; pas le troisième. Le jeune homme, que les deux premières ont surnommé "Covid" sur Snapchat après qu'il a été infecté, a "la flemme" de recevoir sa dose. "Je n'ai pas envie, je ne suis pas pressé, et je n'ai pas confiance dans le vaccin. Et puis, certains sur les réseaux disent que ça les a paralysés."

Ses deux amies éclatent de rire, pestent contre les réseaux sociaux où tout le monde croit à tout, selon elles, et invitent leur pote à se faire vacciner. Au moins pour son travail et ses proches. "Peut-être que je le ferai", souffle Billy. Les trois vingtenaires habitent dans la ville de Creil, où le taux de vaccination est l'un des plus bas de l'Hexagone. La communauté d'agglomération, qui rassemble onze communes, dont Creil, et 87 000 habitants, est parmi les dix intercommunalités les moins vaccinées de France (hors outre-mer), qui en compte plus de 1 200. Ici, seulement 41,8% des habitants ont reçu leur première injection, et 33,9% sont totalement vaccinés, selon les dernières données d'Ameli au 25 juillet.

"C'est très précoce de dire qu'on ne vaccine pas"

A une demi-heure en train de Paris, où de nombreux habitants font l'aller-retour chaque jour pour travailler, l'agglomération creilloise est un territoire populaire, ancien bassin industriel parmi les plus pauvres du département et du pays, et dont la population est majoritairement assez jeune – 65% des habitants ont moins de 45 ans. "Il faut comparer ce qui est comparable", balaie Loubina Fazal, adjointe à la mairie de Creil en charge de la santé, dans un coin tranquille de la Faïencerie, salle de spectacle transformée depuis mars en centre de vaccination. Ce mercredi d'août, quelques personnes patientent. Ce n'est pas la foule des grands jours. "On a une population jeune, et on leur a ouvert la vaccination tardivement, rappelle l'élue. Ce n'est pas un problème de vaccination, et c'est très précoce de dire qu'on ne vaccine pas. On aura l'effet dans les prochains mois."

Loubina Fazal, adjointe au maire en charge de la santé, et Haissam Chaker, médecin directeur du centre de vaccination de la Faïencerie, le 4 août 2021 à Creil (Oise). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Le docteur Haissam Chaker, médecin généraliste à Creil et responsable de l'un des trois centres de vaccination de la ville, acquiesce. Et relance d'un tacle à Doctolib, qu'il accuse d'avoir privé les habitants du bassin creillois de vaccins au profit des habitants du département, voire de Paris. Chiffres à l'appui, le médecin s'interroge. Son centre a vacciné plus de 60 000 personnes, dont seulement 10 000 issues de l'agglomération : comment est-ce possible ? Il invoque un centre de vaccination pris d'assaut à son ouverture en mars, les habitants de la capitale ayant sauté sur les créneaux libres, et déplore un algorithme qui ne priorise pas les habitants du coin.

Une population jeune et méfiante

A l'Agence régionale de santé (ARS), on explique la faible couverture vaccinale du bassin creillois par un retard de vaccination chez les jeunes. Les moins de 20 ans y sont trois fois moins vaccinés que dans le reste de l'Oise. Même si Haissam Chaker constate une inversion de la tendance, avec davantage de jeunes se déplaçant jusqu'au centre de vaccination, il évoque les "a priori", les doutes et l'influence néfaste des rumeurs sur les effets supposés du vaccin, celles-là mêmes qui refroidissent Billy et d'autres jeunes croisés dans la ville. "Les jeunes, à force d'écouter les réseaux…" souffle, dépité, le médecin aux cheveux poivre et sel, en expliquant que cette frange de la population n'est pas "convaincue". "Ils y vont parce qu'ils ont besoin [d'être vaccinés] pour sortir", constate-t-il. Et d'insister sur les facteurs socio-économiques qui "se rajoutent".

"Ici, c'est plus défavorisé. Les parents ne sont eux-mêmes pas toujours convaincus, comment voulez-vous qu'ils convainquent leurs enfants ?"

Docteur Haissam Chaker, responsable d'un centre de vaccination à Creil

à franceinfo

Pour faire sauter le pas aux réfractaires, Creil et les communes alentour multiplient en ce moment les actions et les messages. Des médiateurs de lutte anti-Covid de l'ARS et de la Croix-Rouge sillonnent la ville en quête des personnes réticentes, les centres de vaccination ont augmenté leur capacité et les pompiers ont même commencé, début août, à vacciner sans rendez-vous dans les quartiers. Ce mercredi 4 août, l'unité mobile de vaccination des pompiers de l'Oise a posé ses deux tentes et son camion rouge au pied des Rochers, un quartier prioritaire de la ville de Nogent-sur-Oise, sur la route de Beauvais. Objectif : vacciner, vacciner, vacciner.

Un entretien préalable à une vaccination, le 4 août 2021 à Nogent-sur-Oise (Oise). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

"Là, on sent qu'on vient chercher les gens, et il y en a beaucoup qui viennent à contrecœur, alors que dans un centre de vaccination, les gens viennent vers nous", glisse depuis l'intérieur du camion Florence, infirmière volontaire chez les pompiers. Dans la matinée, elle a vacciné Manon et Lucas, deux Creillois de 22 et 23 ans qui ont reçu leur dose sans conviction. Elle se disait méfiante face au vaccin, lui avait peur des piqûres. Les deux l'ont fait pour être "tranquilles et pouvoir aller boire un verre avec le pass sanitaire". Au total, 85 personnes ont reçu une dose ce mercredi.

"J'hésite encore…"

A l'extérieur, le capitaine Eric Buttighoffer passe une partie de son temps à expliquer "avec des mots simples et rassurer". Tassadit, une mère du quartier, passe et accoste le pompier. "J'hésite encore… Je ne suis pas trop médicaments, plus remèdes de grand-mère", dit celle qui attend un "vaccin français". Le capitaine écoute et réplique. "Vous connaissez Ebola ? Le vaccin a été construit de la même manière que pour Ebola", tente-t-il. Tassadit passe son tour pour cette fois. Elle préfère réfléchir encore un peu, sans toutefois fermer la porte : "Mes frères me disent : 'Vaccine-toi'."

"La stratégie collective, elle dépend aussi de la volonté de tous", conclut Eric Buttighoffer, qui voit désormais des gens "pas concernés" se faire vacciner "par obligation" ou "pour voyager". "Ils ont d'autres intérêts que celui de se protéger, sinon ils seraient venus avant." Antonin*, un commerçant de Saint-Maximin croisé un peu plus loin, fait partie des sceptiques : "Les labos disent que les vaccins protègent à 80-90%, et le doute existe", dit celui qui pense qu'on n'aura bientôt "pas le choix avec les restos". Et d'ajouter, entre deux gorgées de café : "Dieu seul sait quand ça finira avec cette maladie." 

Une "ville cluster" dans la défiance

Et la pandémie de Covid-19 empoisonne la ville de Creil depuis février 2020, soit quelques semaines avant la reste de la France. Après le rapatriement des premiers Français de Wuhan, fin janvier 2020, la base aérienne de Creil, située au sud de la ville, avait été soupçonnée d'être responsable des premiers cas de contamination un mois plus tard. Rapidement, d'autres clusters sont apparus dans la ville et les communes voisines, occasionnant des décès, puis la fermeture des écoles et l'isolement au tout début du mois de mars, deux semaines avant le confinement national mis en place le 17 mars.

"Historiquement, Creil est là depuis le début. On a été une ville cluster, et on a été délaissés, regrette Loubina Fazal. Les gens se sentent trahis, étiquetés Covid." De là a pu naître une défiance envers le gouvernement, selon l'adjointe en charge de la santé, accentuée par les récentes annonces d'Emmanuel Macron sur le pass sanitaire. "C'est une mode nationale, et il y a de la défiance comme ailleurs. Les habitants ont l'impression qu'on les oblige" à se faire vacciner. 

Au centre de vaccination de la Faïencerie, où l'on vaccine entre 700 et 800 personnes par jour, on choisit la fatalité. "Les médecins et les équipes, ils donnent dur. On ne peut pas faire mieux…" concède le docteur Chaker, qui plaisante : "Si ! On peut tourner dans la ville avec des haut-parleurs…" Avant d'en arriver là, le médecin donne rendez-vous à la rentrée et veut croire qu'"on va atteindre la moyenne nationale". Et d'ajouter, au cas où : "Vous écrirez dans votre papier que la vaccination est accessible à tous les jeunes sans rendez-vous."

* Le prénom a été modifié

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