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Covid-19 : le Royaume-Uni fait "un saut dans l'inconnu" en allongeant le délai entre les deux injections du vaccin, selon un infectiologue français

Alors que des tensions pourraient surgir sur le circuit d'approvisionnement des vaccins contre le Covid-19, Londres a décidé de repousser la date de la deuxième injection afin que davantage de personnes puissent bénéficier d'une première dose. Cette stratégie ne convainc pas Paul Loubet, médecin au CHU de Nîmes.

Article rédigé par Fabien Magnenou - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des personnes patientent dans la file d'attente d'un centre de vaccination à Londres (Royaume-Uni), le 30 décembre 2020. (JUSTIN TALLIS / AFP)

Le Royaume-Uni a décidé d'allonger jusqu'à trois mois le délai entre les deux injections nécessaires des vaccins contre le Covid-19, alors que les protocoles établis par les différents laboratoires prévoient de trois à quatre semaines (respectivement pour le vaccin de Pfizer et BioNTech et pour celui d'AstraZeneca et l'université d'Oxford). Cette décision a été prise pour anticiper les éventuelles tensions d'approvisionnement et maintenir le rythme de la campagne vaccinale britannique. "Cette idée ne me serait pas venue à l'esprit", réagit Paul Loubet, médecin au service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Nîmes (Gard), qui rappelle l'importance de suivre les protocoles des essais cliniques.

Franceinfo : Différer l'injection de la seconde dose pour vacciner davantage de personnes, cela vous surprend ?

Paul Loubet : Le Royaume-Uni veut allonger le délai afin d'utiliser les secondes doses prévues pour réaliser une première injection à d'autres personnes. Cela ne veut pas dire que l'intérêt de la seconde dose est remis en cause, mais il est quand même étonnant d'utiliser un tel schéma vaccinal. C'est un saut dans l'inconnu car nous n'avons pas suffisamment de recul pour savoir si une seule dose est aussi efficace que deux, notamment en matière de durée de protection. Personnellement, cette idée ne me serait pas venue à l'esprit.

L'efficacité est-elle bonne après une dose ?

Pour le vaccin de Pfizer et BioNTech, par exemple, l'efficacité est de 52% au douzième jour. Pour celui de Moderna, les données montrent que l'efficacité après une dose est presque aussi importante qu'après deux doses. Mais cette question est assez complexe et il faut consulter des données qui figurent parfois dans les dossiers de demande d'autorisation de mise sur le marché. Par ailleurs, les données sont parfois difficiles à comparer entre les vaccins. La mesure de l'efficacité après la première dose, par exemple, n'est pas mesurée le même jour dans les essais, selon les fabricants.

En quoi cette seconde dose est-elle si importante ?

Si les demandes d'autorisation de mise sur le marché ont été déposées pour un schéma avec deux doses, c'est qu'il y a un intérêt de la deuxième dose. Nous savons qu'il y a une protection individuelle après la première dose, dont l'efficacité est probablement un peu en dessous de l'efficacité après deux doses. Mais si on veut venir à bout de l'épidémie à long terme, il faut une efficacité durable. Et pour obtenir une durée de protection prolongée, il faut deux doses de vaccin. Sinon, il faudrait vacciner simultanément l'intégralité des Français, ce qui est concrètement infaisable.

En vaccinant davantage de monde tout de suite, même avec une dose, le Royaume-Uni pourrait-il freiner l'épidémie ?

Ce coup de frein est hypothétique, car il faudrait pouvoir vacciner énormément de personnes avec une seule dose, dans un laps de temps très court. Le Royaume-Uni connaît un début de vaccination plus efficace que le nôtre, mais je ne suis pas sûr qu'ils aient suffisamment de doses et une logistique derrière qui permette de le faire. S'ils veulent utiliser toutes les deuxièmes doses disponibles pour en faire des premières doses dans l'espoir de réduire les hospitalisations et les passages en réanimation, il faut alors l'administrer à toutes les personnes à risque (plus de 65 ans et personnes avec des comorbidités), soit des millions de personnes.

Quelle est la part d'inconnu pour les Britanniques concernés ?

Les Britanniques ne vont pas perdre le bénéfice de la seconde dose administrée plus tard que prévu, mais il y aura sans doute un petit laps de temps où ils seront moins protégés. Ce délai maximal de trois mois est sorti d'on ne sait pas trop où. Cette proposition, d'ailleurs, ne vient pas des laboratoires pharmaceutiques.

L'Allemagne commence à évoquer cette possibilité...

Il n'y a pas assez de recul. Il vaut donc mieux s'en tenir aux recommandations plutôt que de s'éparpiller en vaccinant le plus de monde possible, au risque de perdre des gens en route et de ne pas réaliser la seconde dose. Par ailleurs, mettre le plus de personnes possible à égalité avec une dose peut se faire au détriment de ceux qui devaient avoir la seconde dose dans les temps.

Est-ce que c'est lié au nouveau variant du Sars-CoV-2, à la crainte d'une nouvelle hausse des contaminations, au reconfinement en urgence avant les fêtes ? Est-ce qu'il y a un peu de panique ? En tout cas, c'est un pari sur quelque chose qu'on ne connaît pas trop. En France, en fonction des doses disponibles et des réassorts prévus, nous distribuerons les premières doses si l'on sait que la deuxième est disponible. Quand celles-ci seront administrées, les deuxièmes seront réservées au niveau des pharmacies.

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