Vaccination contre le Covid-19 : quatre questions sur le choix du Royaume-Uni d'allonger le délai entre les deux injections
Outre-Manche, les deux doses de vaccin peuvent désormais être administrées jusqu'à trois mois d'écart, alors que les fabricants ont réalisé leurs études en se basant sur un délai de trois à quatre semaines. Londres mise sur un effet de masse pour freiner l'épidémie, mais cette stratégie suscite quelques interrogations.
La décision britannique a de quoi surprendre. Alors que la campagne de vaccination bat son plein outre-Manche, le régulateur britannique a donné son feu vert, mercredi 30 décembre, au vaccin développé par AstraZeneca et l'université d'Oxford, en offrant même la possibilité d'administrer la seconde dose jusqu'à 12 semaines après la première. Ce délai revu à la hausse a reçu un avis favorable d'un comité consultatif d'experts indépendants, alors que le fabricant britannique prévoit un intervalle de quatre semaines dans son protocole.
Le vaccin de Pfizer et BioNTech, déjà commercialisé depuis décembre, est également concerné par ces délais allongés : jusqu'à trois mois entre la première et la deuxième injection, selon ce que prévoit le protocole national révisé. Initialement, cette durée était de 21 jours, avec une simple tolérance à 28 jours "pour des raisons opérationnelles", expliquait l'agence publique de santé (document en anglais). Franceinfo vous explique ce changement de cap en répondant à quatre questions.
1Pourquoi le Royaume-Uni a-t-il décidé d'allonger le délai entre les deux injections ?
"Cela nous permettra de vacciner plus de gens [avec une première dose], et aussi de les vacciner plus vite", a justifié le Premier ministre, Boris Johnson, dont le pays est aujourd'hui livré à un variant galopant du Sars-CoV-2. Selon lui, mieux vaut une dose que pas de dose du tout. L'objectif est ici de donner un coup de frein à l'épidémie avec un "premier round" à grande échelle. Mais si le Royaume-Uni caracole en tête de nombreux classements, avec déjà près d'un million de personnes concernées depuis le début de la campagne vaccinale, le 8 décembre, la pénurie commence tout de même à poindre, ce qui suscite des interrogations sur les capacités du pays à garantir le "second round" pour la population.
Afin d'obtenir du temps pour sécuriser les approvisionnements, les experts britanniques ont donc choisi d'étendre le délai entre les deux injections. Ils assurent que le vaccin d'AstraZeneca offre une protection pendant au moins trois mois, à partir du 22e jour suivant la première injection.
Le choix du délai entre deux doses est un point important des essais cliniques – il est traditionnellement déterminé lors de la phase 1 – et plusieurs hypothèses ont d'ailleurs été testées par Pfizer et BioNTech, selon le protocole publié par les fabricants (PDF en anglais). Autant dire que la décision des autorités britanniques a été fraîchement accueillie par le groupe pharmaceutique américain. Dans un communiqué, ce dernier rappelle qu'il n'existe "aucune donnée pour démontrer que la protection après la première dose [de son vaccin] est maintenue après 21 jours".
2Y a-t-il des données sur l'efficacité d'une seule dose du vaccin contre le coronavirus ?
Outre la durée de la protection après une simple dose, se pose la question de l'efficacité de cette seule première dose contre le virus. Dans le cas du vaccin de Pfizer et BioNTech, celle-ci est estimée à 52%, selon la dernière étude en date parue dans le New England Journal of Medicine (article en anglais), et même à 70% selon le fabricant. Ce taux atteint 91% dans la semaine qui suit l'administration de la seconde dose et 95% ensuite. A ce stade, il est difficile de savoir si l'efficacité du vaccin atteint de tels résultats avec une seconde injection plus tardive.
Outre-Manche, cette décision suscite également des inquiétudes pour les personnes les plus vulnérables au virus. "Il est clairement injuste d'essayer maintenant de reporter les rendez-vous de dizaines de milliers de nos patients les plus à risque", s'est notamment indigné dans un communiqué (en anglais) la British Medical Association. Le syndicat ajoute que la réinscription de patients dans trois mois va causer "d'importants problèmes logistiques" et réclame "une justification scientifiquement validée" de la nouvelle approche gouvernementale.
Les médecins-chefs du pays de Galles, d'Irlande du Nord, d'Ecosse et d'Angleterre semblent quant à eux avoir tranché le débat. Dans un courrier adressé aux professionnels de santé (contenu en anglais), jeudi, ils estiment que la première dose est surtout importante pour l'efficacité, et la seconde pour la durée de la protection.
"Un modèle où l'on peut vacciner deux fois plus de personnes dans les deux à trois prochains mois est évidemment bien plus préférable en matière de santé publique que celui où l'on vaccine la moitié du nombre mais avec une protection légèrement supérieure."
Les médecins-chefs du pays de Galles, d'Irlande du Nord, d'Ecosse et d'Angleterredans une lettre ouverte aux professionnels de santé
3Le Royaume-Uni va-t-il "mélanger" les doses de vaccins ?
Un autre point a également été adopté, plus discrètement. Le Royaume-Uni autorise désormais (PDF en anglais) – à titre exceptionnel, en cas de pénurie ou si le vaccin utilisé lors de la première dose est inconnu – le recours à une seconde dose issue d'un autre vaccin que celui employé lors de la première injection. Tout en déconseillant un tel recours, les autorités britanniques justifient leur choix en soulignant les similitudes entre le vaccin à ARN de Pfizer et celui à vecteur viral d'AstraZeneca, qui visent tous deux à déclencher la production de l'antigène (la protéine S) dans les cellules de la personne vaccinée.
Certes, certains vaccins sont parfois interchangeables, mais rien n'indique qu'il en soit de même avec ces produits dirigés contre le Covid-19. "Il n'y a pas la moindre donnée sur ce point", a d'ailleurs réagi John Moore, professeur d'immunologie à l'université américaine de Cornell, dans le New York Times (article en anglais). Selon lui, les responsables britanniques semblent "avoir complètement abandonné la science et essaient juste de trouver une porte de sortie dans ce bazar". Cette approche vaccinale hybride est "prématurée", juge également Saad Omer, expert des vaccins à l'université de Yale, également cité dans le quotidien américain.
4La France va-t-elle adopter la même stratégie ou respecter les protocoles ?
Le cas du Royaume-Uni n'est pas isolé. Thomas Mertens, président de la Commission permanente de vaccination allemande (Stiko), estime que la protection est déjà bonne après la première dose, rapporte le Frankfurter Allgemeine Zeitung (article en allemand). "Si vous donnez la deuxième vaccination plus tard, vous pourriez en fait doubler les capacités de vaccination avec les premiers lots", explique-t-il, tout en évoquant une "décision difficile". Au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux a décidé d'utiliser tous les stocks au fur et à mesure de leur livraison. Confiantes dans la solidité des futurs approvisionnements, les autorités estiment qu'il n'est "plus nécessaire de conserver la seconde dose en réserve".
Pour le moment, en revanche, il n'est pas question en France de modifier les protocoles utilisés lors des essais cliniques. Contacté par franceinfo, le ministère de la Santé a bien précisé qu'il allait respecter les préconisations de Pfizer et BioNTech, avec deux doses administrées à trois semaines d'intervalle. Après l'injection d'une première dose à un patient, la seconde lui est en quelque sorte "réservée" dans un centre de stockage pendant trois semaines. Cela permet de garantir la vaccination complète du patient, même en cas d'une éventuelle rupture d'approvisionnement.
Alors que les Etats européens semblent engagés dans une course contre la montre qui vire parfois à la compétition, il convient peut-être de rappeler qu'une vaccination n'est complète qu'après l'administration de deux doses, selon un protocole bien défini. Au Royaume-Uni, de futures livraisons massives vont peut-être permettre de clore ces débats. A compter de la mi-janvier, selon une information du Times (article en anglais pour les abonnés), Londres pourrait recevoir deux millions de doses du vaccin d'AstraZeneca chaque semaine.
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