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Témoignages Bons élèves avant la pandémie, des lycéens racontent leur décrochage : "Moi qui aimais tant aller en cours, je n'y arrive plus"

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
En raison de la pandémie de Covid-19, les lycéens doivent suivre leurs cours en ligne, à la maison, jusqu'à une reprise en demi-jauge le 3 mai 2021. (RACHEL COTTE / HANS LUCAS)

Ils terminent une deuxième année scolaire rendue chaotique par le Covid-19 et les mesures sanitaires, entre cours au lycée et à la maison. De quoi entamer leur motivation, faire chuter leurs notes et provoquer angoisses ou phobie scolaire. 

"Depuis la rentrée de septembre, je vis au jour le jour", souffle Shirelle, 18 ans, en terminale sport-étude dans un lycée de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Avec la pandémie de Covid-19, la jeune fille n'arrive plus à s'accrocher à ses projets d'avenir ni à se projeter dans quoi ce que soit. Comme elle, plus de deux millions de lycéens jonglent depuis des mois entre cours à la maison, retours en classe et une liste sans fin de devoirs à rendre. L'enchaînement des couvre-feux et autres confinements a également mis en suspens leur vie sociale naissante.

Ces contraintes sanitaires ont aggravé la situation d'élèves déjà en rupture scolaire. Le ministère de l'Education nationale rapporte à franceinfo que, pour l'année 2020, "le corps enseignant a perdu de vue 10% des élèves en collèges et lycées et 18% des élèves en lycées professionnels." Mais elles fragilisent aussi des élèves qui jusque-là n'avaient pas rencontré de difficultés particulières. Parmi eux, Shirelle, Pauline*, Isaure, Emilie, Rose et Thibaut*. Crises d'angoisse, anxiété ou encore insomnies sont apparues chez ces adolescents en perte de repères. Ils ont répondu à l'appel à témoignages de franceinfo et décrivent, à l'occasion de la reprise des cours en demi-jauge lundi 3 mai, un tableau bien sombre dans lequel ils vivent depuis plusieurs mois.  

"Nos vies se résument à travailler, dormir, travailler"

C'est un cercle infernal qui semble s'être abattu sur ces adolescents. "Entre confinement et déconfinement, entre période de stress puis de relâchement, je suis dans une instabilité permanente", souligne Shirelle. Cette sportive de haut niveau en tir à l'arc a perdu toute motivation loin de la salle d'entraînement qu'elle fréquentait jusqu'à six heures par jour. Jusqu'à fin septembre 2020, elle n'avait aucun problème avec "le niveau des cours, les devoirs et les attentes des professeurs". Mais les protocoles sanitaires renforcés ont changé la donne. "Je n'ai plus d'entraînements ni de compétitions pour canaliser toute mon énergie", déplore-telle. Un trop-plein qu'elle a reporté sur ses études, jusqu'à complètement dérailler. "J'ai décroché dans certaines matières. Je n'en pouvais plus. Nos vies se résument à travailler, dormir, travailler..."

Loin du lycée, il faut pourtant garder le rythme malgré les problèmes de connexion et les caméras ou les micros qui tombent en panne. "Déjà, en temps normal, à notre âge c'est compliqué de se concentrer en cours", reconnaît Rose, 18 ans, en terminale dans un lycée parisien. Depuis que ses cours sont en visio, elle a dû redoubler d'efforts pour rattraper ses notes qui étaient "satisfaisantes" jusqu'à présent. "Mais se concentrer en étant chez nous c'est encore plus compliqué", concède la jeune fille. 

"Il y a tant de sollicitations tout autour de nous." 

Rose, lycéenne de 18 ans

à franceinfo

Pour Rose, les huit heures de cours par jour se sont transformées en quelques heures de visioconférence par semaine et un temps de travail personnel qui a fondu comme neige au soleil. "Notre chance de réussir est beaucoup plus réduite dans ces conditions" , souligne la jeune fille qui se "ba[t] le plus possible pour rester dans la course" malgré des notes qui baissent en "maths, physique et chimie".  

Difficile alors de trouver la motivation pour faire ses devoirs quand on n'est plus surveillé ou quand le professeur envoie la correction seulement quelques heures après. Le décrochage devient un vrai risque pour ces élèves qui jusque-là avaient réussi à maintenir le cap. "Le 'bon élève', en temps normal, investit sa scolarité avec un suivi de ses notes et de son parcours, décrypte pour franceinfo Mathilde Muneaux, psychologue spécialisée en neuropsychologie. Aujourd'hui, il ne peut plus le faire car c'est l'incertitude totale quant à la suite, il ne peut plus construire son parcours comme il le souhaite, ce qui est très déstabilisant pour lui". 

Phobie scolaire et insomnie

Pour certains, ce décrochage soudain s'accompagne de crises d'angoisse. "Dès que je pense au futur ou que je dois réaliser quelque chose dans un moment proche je bloque, je n'arrive plus à respirer", décrit Pauline*,17 ans, tétanisée à l'idée de passer le bac de français. Elève en première dans un lycée de l'Yonne, elle ne sait même plus si elle préfère être en distanciel et ou en présentiel. Le confinement de novembre 2020 a été fatal pour cette lycéenne qui enchaînait avec facilité les bonnes notes. "Je n'ai plus aucune motivation, je n'arrive plus à me mettre au travail, à me concentrer, ce qui me stresse énormément" , souffle la jeune fille qui est suivie par une sophrologue. 

"Le fait de ne plus pouvoir se projeter est anxiogène pour les élèves, sans oublier que c'est épuisant, d'un point de vue psychique, de ne pas savoir, d'être dans une instabilité permanente."

Mathilde Muneaux, psychologue

à franceinfo

La phobie scolaire a aussi gagné Isaure, 18 ans, en terminale dans un lycée parisien. "Moi qui aimais tant aller en cours, je n'y arrive plus", avoue la jeune fille qui a même envisagé de tout arrêter. "Je me voyais perdre tous mes acquis, je ne contrôlais plus rien", décrit celle qui avait "toutes les cartes en main" pour suivre sa scolarité avec sérénité. Depuis quelque temps, un psychiatre l'aide a gérer ses crises d'angoisse. Quant à Emilie, 18 ans et en terminale "art et étude" à Lyon, ce sont ses nuits qui sont devenues compliquées. Souffrant d'insomnie, elle a développé des troubles de la concentration. Elle qui était parmi les meilleures de sa classe a l'impression d'avoir "complètement décroché" : "Je pense tous les jours à mes notes qui ont chuté et ça m'angoisse."

"Les contraintes sanitaires sont plus dévastatrices" 

"L'origine des maux dont souffrent ces lycéens ce n'est pas l'épidémie, souligne la psychologue Mathilde Muneaux, car ils ne sont pas une population à risque". "Ce sont les contraintes sanitaires qui sont bien plus dévastatrices que l'épidémie en elle-même", remarque-t-elle. 

Depuis le deuxième confinement, en novembre 2020, elle voit arriver dans son cabinet à Château-Arnoux-Saint-Auban (Alpes-de-Haute-Provence) des élèves qu'elle n'avait jamais eus avant la crise sanitaire. "La non-mixité des groupes dans la cour, le port du masque constant, la fermeture des clubs et des associations sportives dans les lycées privent les jeunes de relations sociales à un âge où c'est important pour leur développement", rappelle la psychologue. Les restrictions sanitaires ont coupé court à toute forme de retrouvailles, qui étaient autant de bouffées d'oxygène pour Emilie

"Je vis très mal ce manque de vie sociale, nos vies sont devenues fades, sans goût."

Emilie, lycéenne de 18 ans

à franceinfo

Derrière un masque, difficile pour l'apprentie comédienne Emilie de déceler les mimiques, ces indices paraverbaux si chers aux adolescents. Ou encore de percevoir les intonations de la voix. Terminées également, les trois heures quotidiennes de théâtre au lycée. "Au début, on a tenté de jouer avec les masques mais c'était très compliqué pour le jeu, on n'arrivait pas à voir la réceptivité des autres", se souvient la jeune fille. Jusqu'ici elle a réussi à limiter les dégâts, mais ses notes sont en "chute libre".

C'est aussi la fin des révisions entre copines au café du coin pour Shirelle. "Se retrouver, c'était une récompense pour tout le boulot qu'on donne", souffle-t-elle, nostalgique. Dans ce climat anxiogène, elle n'ose même plus sortir s'aérer, de peur d'un contrôle des forces de l'ordre.

"Ça m'a fait du bien d'en parler"

Alors que faire quand l'élève sent qu'il décroche ? Ne pas hésiter à demander de l'aide, comme l'a fait Thibaut, 16 ans et en terminale dans un lycée de l'Isère. Un matin, il est allé frapper à la porte de l'infimière scolaire. "Ça m'a fait du bien d'en parler, j'ai eu l'impression d'être moins seul quand on m'a dit que d'autres décrochaient aussi", reconnaît le jeune homme qui a deux ans d'avance dans son parcours scolaire. Il visait la mention "très bien" au bac en juin, maintenant il ne lui reste plus qu'"à limiter la casse". Face à son désarroi, l'infimière scolaire et la conseillère principale d'éducation lui ont proposé de revenir tous les matins au lycée quand il était en distanciel. Un aménagement qui devrait l'aider à dissiper ses nausées matinales et à remonter ses notes.

Dans cette période d'incertitude, "il est nécessaire de ne pas banaliser la souffrance dont fait état l'adolescent", rappelle la psychologue Mathilde Muneaux.

"Il est important que les parents comprennent que c'est très dur, ce que vivent leurs jeunes : flicage, désintérêt de la part des professeurs, incertitude quant à leur futur, ils ont de vraies raisons de se plaindre."

Mathilde Muneaux, psychologue

à franceinfo

Du côté du personnel éducatif, on s'inquiète aussi de la recrudescence du nombre de décrocheurs "conjoncturels". Comme cette conseillère principale d'orientation, en poste dans un lycée francilien, qui a monté un projet sur le décrochage scolaire avec des professeurs de son établissement. "Début février, nous avons ciblé des élèves qui avaient une grosse chute de notes et un début d'absentéisme", décrit la professionnelle de l'éducation, qui souhaite rester anonyme. "Nous leur avons proposé de rencontrer la psychologue de l'Education nationale, nous avons mis en place des tutorats avec eux et nous essayons de les voir régulièrement pour les motiver à nouveau". Mais elle reconnaît que ces actions ne touchent que 12 élèves sur les 1 300 que compte son établissement. "Nous avons du mal à développer à grande échelle, alors nous bricolons depuis un an et c'est au bon vouloir de chacun."

Le gouvernement a récemment annoncé la mise en place d'un forfait de 10 séances chez un psychologue de ville pour les enfants de 3 à 17 ans affectés par la crise. Mais la psychologue Mathilde Muneaux est dubitative quant à l'efficacité de ces séances. "Une demi-heure, c'est trop court. Aucun psychologue ne travaille sur cette durée, cela ne servira à rien."

En attendant le retour en cours le 3 mai en demi-jauge, Shirelle, elle, tente de se motiver en vue des épreuves du baccalauréat, qui sont maintenues en l'état pour l'instant. "Mais c'est difficile de réviser quand on ne sait même pas si dans trois semaines on sera de nouveau confinés ou pas", lâche la jeune fille. 

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

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