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"Rien de nouveau, pas de règle précise, aucun élément concret..." : les maires critiquent le retour à l'école au moment du déconfinement

A partir du 12 mai, les enfants pourront retourner à l'école maternelle et élémentaire partout en France. Mais les maires attendent encore des réponses précises de la part du gouvernement avant d'ouvrir les portes de leurs établissements. 

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Un agent de la ville de Calais nettoie une classe avec un thermonébulisateur, le 29 avril 2020. (MAXPPP)

"Le retour de nos enfants sur le chemin des écoles est un impératif pédagogique." Le Premier ministre a donné, mardi 28 avril, les grandes lignes de la levée progressive du confinement en commençant par l'école. Après la "prérentrée" du personnel enseignant, lundi 11 mai, les élèves de maternelle et d'élémentaire pourront commencer à revenir en classe, dès le lendemain.

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Cette reprise de l'école soumise à des règles sanitaires strictes relève du défi pour les maires : nettoyage et mise aux normes des classes en un temps record, recrutement et formation de personnel communal ou encore gestion des transports scolaires et des repas sans connaître le nombre d'élèves. Dès le lendemain de l'allocution d'Edouard Philippe, les représentants des associations des maires se sont réunis avec le Premier ministre et d'autres membres du gouvernement pour avoir des précisions, en attendant avec "impatience" les textes réglementaires promis par le ministère de l'Education d'ici à la fin de la semaine. 

"Il y a encore des verrous à faire sauter"

"Il y a enfin un cadre qui se dessine, mais il reste des questions essentielles en suspens", alerte Christophe Bouillon, député de Seine-Maritime et président de l'Association des petites villes de France (APVF) contacté par franceinfo. Avec ses homologues, il a insisté auprès du gouvernement, mercredi 29 avril, sur "les derniers verrous à faire sauter " pour la réouverture des classes.

Parmi ces verrous, la responsabilité uniquement portée par les maires dans le binôme maire-préfet récemment mis en avant par le gouvernement. Car au moindre problème lié au retour d'un enfant à l'école, les parents peuvent se retourner contre leur maire, qui est le seul responsable aux yeux de la loi. "Et c'est un vrai frein, déplore Christophe Bouillon. Devant ce risque, certains maires préfèrent prendre des arrêtés pour maintenir les classes fermées après le 11 mai , quitte à ce qu'ils soient cassés par le préfet ensuite."

Il faut que le gouvernement trouve rapidement comment intégrer le partage de responsabilité entre le maire et le préfet dans le projet de prolongation de la loi d'état d'urgence.

Christophe Bouillon, président de l'APVF

à franceinfo

Il y a également l'épineuse question du financement. Pour que les enfants puissent revenir dans leur classe, les communes achètent des produits virucides, du gel hydroalcoolique et des masques, mais "l’Etat ne va prendre en charge que 50% du coût des masques", rappelle Christophe Bouillon. Les maires mobilisent du personnel communal pour nettoyer les locaux, accueillir les enfants en dehors des heures de classe. Pour beaucoup de communes, ces dépenses sont déjà en cours. "Quelle sera la rétroactivité pour ceux qui ont anticipé et déjà engagé des dépenses ?" s'interroge le président de l'APVF, qui demande à l'Etat de partager cette charge financière avec la mise en place d'une "dotation Covid". 

Une autre inconnue est également à résoudre "très vite" pour les maires : celle du nombre d'enfants à accueillir. L'Etat a laissé la décision aux parents de remettre ou non leurs enfants à l'école, sans préciser si ce choix les engagerait jusqu'à la fin de l'année scolaire. Un casse-tête pour les élus, qui peinent à jauger le bon nombre de transports scolaires, de repas, de personnel communal et de classes à ouvrir. "Ce n'est pas aux communes de supporter les changements des parents, il faut que l'Etat impose un délai de prévenance", recommande Christophe Brouillon. 

"L'Etat nous demande de tester le déconfinement"

Sur le terrain, le discours du Premier ministre n'a pas convaincu les maires de Rouen, Montpellier, Saulce-sur-Rhône (Drôme) et Fanjeaux (Aude). Sollicités par franceinfo, ils estiment que le retour à l'école est synonyme d'une organisation complexe à mettre en place dans l'urgence. Et face au "flou" autour de la disponibilité des tests et des masques, le maire de Montpellier, Philippe Saurel, ne mâche pas ses mots. "Finalement, l’Etat demande aux maires de tester le déconfinement à sa place puisqu’il n’y a pas de grande politique épidémiologique." 

Pour le maire de Rouen, Yvon Robert, le gouvernement est flou sur sa recommandation de "15 élèves par classe" qui mobilise l'ensemble des enseignants et des salles. 

Au lieu de dire qu'il n'y aura que 15 enfants par classe, le Premier ministre devrait dire que le retour à l'école, ce n'est que deux jours par semaine et que les deux jours restants sont à la charge des parents.

Yvon Robert, maire de Rouen

à franceinfo

Pour le maire de Saulce-sur-Rhône, Henri Fauqué, le gouvernement "se défausse sur les maires et les préfets sans garantir les moyens financiers, humains et techniques". "Comment allons-nous recruter les trois adultes nécessaires pour un groupe de 15 élèves ? Comment et quand va-t-on les former ? Quels protocoles devront-ils suivre ? s'interroge-t-il. Comment va-t-on expliquer aux enfants ceux qu'on choisit et ceux qu'on ne prend pas à l'école ?"

Autant de questions qui doivent trouver réponse dans le protocole sanitaire du ministère de l'Education nationale, dont franceinfo a pu se procurer une copie de travail. Ainsi que dans la doctrine "dite d'accueil" précisant quels enfants sont prioritaires : "En premier lieu ceux qui sont en décrochage scolaire, en situation de handicap, les enfants de personnel soignant ou travaillant dans des entreprises ouvertes durant le confinement et les fratries", dévoile Christophe Bouillon, le président de l'APVF, qui en a eu une brève présentation mercredi. "Quant à la doctrine pédagogique, elle apportera un éclairage sur l'articulation du travail entre les élèves en classe et ceux à la maison." 

Des maires stratèges en attendant le 12 mai 

Si les maires interrogés par franceinfo ont compris que le gouvernement sera "assez souple sur la date d’ouverture à partir du 12 mai", comme le rapporte Christophe Bouillon, chacun a préparé une stratégie pour la reprise des cours. Le maire de Rouen, Yvon Robert, considère qu'il peut ouvrir les classes à condition de dire aux familles qu'il n'y aura que deux jours d'école en présentiel par semaine. 

Du côté de Montpellier, Philippe Saurel ne s'oppose pas non plus à la réouverture des écoles, car c'est le préfet qui "décide et impose". Mais elle sera progressive et effectuée selon une liste "validée et tamponnée" en amont par l'académie et l'agence régionale de santé. "Nous communiquerons la cartographie et la chronologie des ouvertures d'établissements. Car certains sont dans d'anciens locaux difficiles à mettre aux normes et d'autres se trouvent à proximité de clusters."

Je me tiens également prêt à inviter les parents à ne pas mettre leurs enfants à l’école si elle ne présente pas les qualités nécessaires pour assurer la sécurité sanitaire des élèves.

Philippe Saurel, maire de Montpellier

à franceinfo

Dans la petite commune de Fanjeaux, le maire, Denis Juin, se donne du temps en plus pour tout préparer. "Les dernières informations tomberont le 7 mai pour une ouverture le 12 mai, c'est ingérable. Nous ouvrirons le 18 ou le 25 mai. On aura quinze jours pour voir comment cela réagit au niveau national. Et si on ne peut vraiment pas, on n’ouvrira pas. Je pense que la préfecture sera tolérante." Le maire se fendra également d'un "mot aux familles" où il leur expliquera que "les gestes barrières sont impossible à appliquer".

Le maire de Saulce-sur-Rhône, lui, demandera aux parents de signer un texte expliquant que les conditions de sécurité ne sont pas assurées et qu'il ne souhaite pas que les enfants ramènent le virus à la maison. Ne voulant pas être "complice" d'un gouvernement qui prend des mesures "essentiellement économiques et qui vont à l’encontre de la santé", il se dit "déterminé" à maintenir son arrêté prolongeant la fermeture de l'école. "S'il faut aller jusqu'au Conseil d’Etat, j'irai jusqu'au bout, en espérant que cela fasse jurisprudence."

Le maire de Fanjeaux confie une dernière inquiétude. Il craint que cette rentrée ne "rebute" les enfants. "Face à un personnel masqué, sans pouvoir jouer avec leurs camarades, ils vont passer leurs journées à être réprimandés et non à apprendre. Ils pourraient ne plus vouloir revenir en septembre." 

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