Pourquoi la Chine n'abandonne pas sa stratégie "zéro Covid" malgré la contestation de la population

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La Chine fait face, depuis mars 2022, à une flambée épidémique de Covid-19 liée aux variants Omicron et BA.2. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Face Ă  la contagiositĂ© du variant Omicron, PĂ©kin peine Ă  endiguer le nombre de contaminations. MalgrĂ© la colère des habitants et les consĂ©quences pour l'Ă©conomie du pays, le pouvoir central n'entend pas inflĂ©chir sa position.

Après Shanghai, PĂ©kin va-t-elle Ă  son tour ĂŞtre mise sous cloche ? Depuis mars, la Chine affronte une flambĂ©e Ă©pidĂ©mique de Covid-19 liĂ©e au variant Omicron du Sars-CoV-2 dans au moins 17 de ses rĂ©gionsLes autoritĂ©s ont fait part, jeudi 28 avril, de 11 285 nouveaux cas, dont 9 791 cas asymptomatiques. Des chiffres Ă©levĂ©s pour un pays qui vise le "zĂ©ro contamination". A PĂ©kin, plus d'une centaine de cas positifs ont Ă©tĂ© recensĂ©s depuis la semaine du 18 avril, dont 50 rien que mercredi, et les PĂ©kinois craignent de subir Ă  leur tour un confinement drastique.

Depuis la dĂ©couverte du virus, fin 2019 Ă  Wuhan, le pouvoir central applique une stratĂ©gie "zĂ©ro Covid" dĂ©finie par le tryptique "tester, tracer, isoler". Cette politique vise Ă  empĂŞcher Ă  tout prix la circulation du virus en identifiant et isolant au plus vite les personnes infectĂ©es. L'Australie et la Nouvelle-ZĂ©lande ont un temps misĂ© sur cette approche, avant de l'abandonner Ă  l'automne 2021, dĂ©bordĂ©es par la progression du variant Delta.

Aujourd'hui, la plupart des pays dans le monde ont fait le choix de vivre avec le virus, mais la Chine continue d'imposer un confinement Ă  des millions de personnes dans des circonstances parfois très dures"La persĂ©vĂ©rance apportera la victoire, a martelĂ© Xi Jinping le 14 avril. Nous devons respecter la rigueur scientifique, la stratĂ©gie de zĂ©ro Covid." Car en dĂ©pit de son coĂ»t de plus en plus Ă©levĂ©, cette bataille sanitaire est aussi politique pour le prĂ©sident chinois.

La population âgĂ©e insuffisamment vaccinĂ©e

Jusqu'Ă  l'apparition du variant Omicron, la stratĂ©gie "zĂ©ro Covid" a permis Ă  la Chine d'Ă©viter un confinement de l'ensemble du pays. Au moyen de confinements localisĂ©s, de tests massifs et d'isolement des malades, PĂ©kin a limitĂ© son bilan total Ă  moins de 5 000 morts et 200 000 cas depuis le dĂ©but de l'Ă©pidĂ©mie fin 2019, selon les chiffres officiels, qui n'intègrent pas les asymptomatiques et restent très infĂ©rieurs aux estimations internationales.

Mais concernant la vaccination, des disparitĂ©s existent au sein de la population. Selon les donnĂ©es de Our World in Data*, 1,25 milliard d'habitants prĂ©sentent un schĂ©ma vaccinal complet, soit 88% de la population, mais le taux de vaccination reste faible chez les plus âgĂ©s. Le 18 mars, seuls 51% des plus de 80 ans avaient reçu deux doses et 20% avaient reçu une troisième dose, selon la Commission nationale de la santĂ© chinoise, citĂ©e par Le Monde (article payant). A Shanghai, les autoritĂ©s ont dĂ©clarĂ© le 19 avril que les deux tiers des plus de 60 ans avaient reçu deux injections et moins de 40% d'entre eux, une dose de rappel.

"'Zéro Covid' ne fait pas de différence entre les infections graves et les infections légères, ce qui explique pourquoi la Chine n'a pas mis la priorité sur la vaccination des personnes âgées."

Yanzhong Huang, spécialiste des politiques de santé en Chine

dans "The Lancet"

"Le pouvoir central a privilĂ©giĂ© la vaccination des gens qui travaillent et qui se dĂ©placent, plutĂ´t que celle des populations vulnĂ©rables", rajoute auprès de franceinfo ValĂ©rie Niquet, spĂ©cialiste de la Chine Ă  la Fondation pour la recherche stratĂ©gique. Or, le système de santĂ© chinois est mal adaptĂ© Ă  ces populations, qui ont davantage de difficultĂ©s Ă  se dĂ©placer ou s'informer, car l'essentiel des soins se fait Ă  l'hĂ´pital. "Le taux de vaccination est correct en ville, mais dans les campagnes, on a très peu d'informations", poursuit ValĂ©rie Niquet.

La population âgĂ©e est aussi plus rĂ©ticente Ă  se faire vacciner Ă  cause de rumeurs infondĂ©es selon lesquelles les vaccins auraient des effets indĂ©sirables pour elle. "Beaucoup refusent donc la vaccination, d'autant plus que la croyance dans les vertus de la mĂ©decine traditionnelle chinoise est très forte dans ces tranches d'âge", analyse l'Ă©pidĂ©miologiste Antoine Flahault auprès de L'Express.

Des vaccins pas assez efficaces

La question de la vaccination est d'autant plus importante que les seuls vaccins disponibles dans le pays – les vaccins chinois Sinovac et Sinopharm Ă  virus inactivĂ©s – sont moins efficaces que ceux Ă  ARN messager, notamment contre le variant Omicron et son sous-variant BA.2.

Selon un article de la revue scientifique The Lancet* publiĂ© le 20 avril, l'essai en phase 3 du vaccin Sinopharm a montrĂ© que deux doses Ă©taient efficaces Ă  79% contre une infection symptomatique et que Sinovac Ă©tait efficace Ă  51%. En comparaison, le vaccin Ă  ARNm Pfizer-BioNTech prĂ©sente une efficacitĂ© de 95% contre une infection symptomatique, relève l'OMS. Cette efficacitĂ© relative a conduit en mars les ressortissants français en Chine Ă  demander Ă  Paris l'envoi en urgence de vaccins Ă  ARNm pour se protĂ©ger.

MalgrĂ© la situation, le pouvoir central n'entend pas importer pour le moment des vaccins Ă  ARNm Pfizer ou Moderna. "PĂ©kin veut montrer qu'elle est suffisamment puissante et organisĂ©e pour gĂ©rer seule l'Ă©pidĂ©mie", explique Ă  franceinfo Jean-Louis Rocca, professeur Ă  Sciences Po et spĂ©cialiste de la Chine. 

"Maintenir la stratĂ©gie 'zĂ©ro Covid' est une question de lĂ©gitimitĂ© politique auprès de la population et de compĂ©tition avec les pays Ă©trangers, notamment les Etats-Unis." 

Jean-Louis Rocca, spécialiste de la Chine

Ă  franceinfo

Depuis deux ans, les mĂ©dias d'Etat chinois ne cessent de diffuser une propagande sur les Ă©checs de l'Occident face Ă  la circulation du virus et louent au contraire les rĂ©ussites de la Chine.

Un système de santé saturé

La Chine a-t-elle seulement les moyens de changer de politique et de laisser dĂ©ferler le virus ? En empĂŞchant quasiment toute contamination depuis le dĂ©but de l'Ă©pidĂ©mie, les autoritĂ©s n'ont pas laissĂ© l'immunitĂ© se dĂ©velopper au sein de la population. Elles craignent de se retrouver dans une situation similaire Ă  Hong Kong, qui affronte une cinquième vague dĂ©vastatrice depuis l'Ă©mergence du variant Omicron, et ce malgrĂ© sa stratĂ©gie "zĂ©ro Covid". 

"La Chine n'a pas beaucoup de choix. Si elle assouplit ses restrictions, il y aura inĂ©vitablement un très grand nombre d'infections et de dĂ©cès", prĂ©vient dans The LancetZhengming Chen, professeur d'Ă©pidĂ©miologie Ă  l'universitĂ© d'Oxford. A titre d'exemple, si les taux de mortalitĂ© actuels Ă  Hong Kong Ă©taient appliquĂ©s Ă  la population chinoise, il y aurait plus de 50 000 morts par jour en Chine, illustre le Journal du dimanche (article payant). 

Une situation intenable pour le système de santĂ© chinois, dĂ©jĂ  saturĂ© et caractĂ©risĂ© par de très fortes disparitĂ©s. Si les villes disposent de grands hĂ´pitaux avec des mĂ©decins et des moyens, les campagnes manquent de centres et de soignants. En janvier, une femme enceinte de huit mois a fait une fausse couche après s'ĂŞtre vu refuser l'entrĂ©e d'un hĂ´pital Ă  Xi'an (Nord), car elle n'avait pas de test de dĂ©pistage valable. Dans une vidĂ©o* devenue virale en avril, mais censurĂ©e par le pouvoir, des habitants ont dĂ©noncĂ© le refus de prise en charge des malades non-Covid, faute de place.

"Le système de santĂ© chinois est incapable d'absorber l'Ă©pidĂ©mie actuelle. C'est une des raisons de la poursuite de la politique 'zĂ©ro Covid'."

Mary-Françoise Renard, économiste spécialiste de la Chine

Ă  franceinfo

D'autres voix se sont Ă©levĂ©es contre l'approche "zĂ©ro Covid". Zhong Nanshan, l'Ă©pidĂ©miologiste chinois qui avait reçu des mains de Xi Jinping la mĂ©daille de la RĂ©publique en 2020 pour son rĂ´le dans la lutte contre le Covid-19, est dĂ©sormais censurĂ© après qu'il a Ă©crit que cette stratĂ©gie n'Ă©tait pas tenable Ă  long terme. 

Dans un article publiĂ© dans la revue Nature*, des scientifiques chinoisuggèrent de dĂ©velopper les consultations Ă  distance pour les infections les plus bĂ©nignes et de stocker davantage de masques, de blouses et de respirateurs dans les hĂ´pitaux communautaires. Une approche qui permettrait, selon eux, de changer de trajectoire en "avril et mai 2022".

Xi Jinping face à sa réélection

A ce jour, il est peu probable qu'ils soient entendus par PĂ©kin. La Chine est confrontĂ©e depuis le dĂ©but de l'annĂ©e Ă  un ralentissement de son Ă©conomie provoquĂ© par les mesures de quarantaine, et Xi Jinping a fait de la relance Ă©conomique sa prioritĂ©. Selon le quotidien amĂ©ricain Wall Street Journal*, le prĂ©sident chinois a ordonnĂ© Ă  son administration de faire en sorte que la croissance du pays soit supĂ©rieure Ă  celle des Etats-Unis cette annĂ©e. 

La Chine entend atteindre une croissance du PIB de 5,5% en 2022. Une telle performance permettrait Ă  PĂ©kin de confirmer la supĂ©rioritĂ© de son modèle sur celui de la dĂ©mocratie Ă  l'occidentale. Mais avec le confinement de Shanghai, moteur Ă©conomique du pays, et auparavant de la mĂ©tropole technologique de Shenzhen, cet objectif semble de plus en plus hypothĂ©tique. "La situation Ă©conomique est mauvaise, les transports sont bloquĂ©s, les usines Ă  l'arrĂŞt, les sites de construction fermĂ©s", dĂ©crit le chercheur Jean-François Rocca. 

"La légitimité du Parti communiste est basée sur sa capacité à protéger la population et à lui assurer un bon niveau de vie. Avec le 'zéro Covid', il y a une contradiction entre protection et prospérité."

Jean-François Rocca

Ă  franceinfo

ReconnaĂ®tre un Ă©chec dans cette stratĂ©gie signifierait que le Parti n'est plus le meilleur gouvernement possible. Un aveu inconcevable, d'autant plus que le XXe Congrès du Parti communiste doit avoir lieu Ă  l'automne et que Xi Jinping joue sa réélection. Relâcher les mesures de confinement, au risque d'affronter une vague meurtrière, affaiblirait durement le prĂ©sident sortant. Pour Jean-François Rocca, PĂ©kin fait dĂ©sormais face Ă  "un tournant pour ses politiques publiques, mais aussi pour son rĂ©gime."

* Tous les liens suivis d'un astérisque pointent vers des contenus en anglais.

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