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Covid-19 : le pass vaccinal était-il prévu par l'Union européenne depuis 2019, comme le sous-entend une vidéo partagée par Jean-Luc Mélenchon ?

La Commission européenne a envisagé en 2018 la création d'une "carte de vaccination" commune à tous les citoyens de l'UE. Ce projet de "passeport", non obligatoire, a été pensé dans le cadre d'une harmonisation des pratiques entre les Etats membres, face à la résurgence de la rougeole et de la rubéole.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Détail d'un pass sanitaire européen, le 20 décembre 2021 à Paris. (Photo d'illustration) (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

Quelques heures avant le réveillon de Noël, Jean-Luc Mélenchon a fait un cadeau à ses abonnés sur les réseaux sociaux. Le candidat de La France insoumise à l'élection présidentielle a posté une vidéo sur ses deux comptes Facebook, le 24 décembre, promettant une "révélation" sur les origines du "pass vaccinal", dont le député de Marseille affirme qu'il était "prévu par la Commission européenne dès 2019", "avant la pandémie" de Covid-19. La séquence a été vue plus de 510 000 fois en moins de quatre jours et a suscité plus de 2 700 commentaires. Mais ce post viral de l'élu dit-il vrai ou "fake" ?

Jean-Luc Mélenchon ne le précise pas, mais la vidéo qu'il a mise en ligne juste avant Noël date d'il y a plus de onze mois. Il s'agit d'un extrait de l'émission "Face à Duhamel" du 18 janvier, dans laquelle Alain Duhamel, éditorialiste à BFMTV, débat avec Sophia Chikirou, qui fut conseillère en communication de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle de 2017 et les européennes de 2019 et qui a depuis été élue conseillère régionale LFI en Ile-de-France.

Lorsque Sophia Chikirou s'exprime, en janvier, le débat porte sur l'utilité de créer un passeport vaccinal. La campagne de vaccination contre le Covid-19 a débuté peu avant, fin décembre 2020, et l'idée d'un document permettant aux personnes vaccinées d'attester de leur statut et ainsi de retrouver un semblant de vie normale commence à faire son chemin. Mais à l'époque, le pass sanitaire n'a pas encore vu le jour. Il a commencé à être exigé en France six mois plus tard, en juin.

"J'ai retrouvé un document de travail de la Commission européenne, qui date de mars 2019, qui travaille depuis sur l'idée d'un passeport vaccinal communautaire européen", déclare pourtant Sophia Chikirou. "L'idée n'est pas neuve. Elle ne surgit pas à l'occasion de cette pandémie", renchérit la conseillère en communication. "C'est un projet que la Commission européenne avait déjà dans ses tiroirs et qu'elle met en œuvre depuis", assure cette proche de Jean-Luc Mélenchon. "Je ne suis pas complotiste, rassurez-vous. Je ne vais pas dire que ça a été pensé avant", glisse-t-elle cependant en conclusion de sa "révélation".

Un projet de carte de vaccination européenne, avant le Covid-19

En janvier, Sophia Chikirou n'était pas la seule à tenir ce genre de propos. Les réseaux sociaux pullulaient de posts affirmant qu'un projet de passeport vaccinal était en préparation au sein de l'UE bien avant le début de la crise sanitaire. Cette thèse, à laquelle AFP Factuel avait consacré un article de fact-checking, figurait également dans le film aux accents conspirationnistes Hold-Up. Les internautes qui propageaient cette théorie partageaient la capture d'écran d'un document (en anglais) émanant de la Commission européenne et proposant notamment la création d'une "carte de vaccination", aussi appelée "passeport" de vaccination. 

Capture d'écran d'une "feuille de route" de la Commission européenne datant de 2019 envisageant une carte de vaccination commune à tous les citoyens de l'Union. (COMMISSION EUROPEENNE)

Cette "feuille de route" suggérait d'"étudier la faisabilité de développer une carte ou un passeport de vaccination commun à tous les citoyens de l'UE" entre 2019 et 2021, afin que la Commission en fasse la proposition aux Etats membres en 2022. L'idée était que ce document "prenne en compte les calendriers de vaccination nationaux potentiellement différents" et soit "compatible" avec les systèmes d'information électroniques des Etats membres, afin qu'une carte éditée en France soit par exemple également consultable en Allemagne. L'en-tête du document précise qu'il a été modifié pour la dernière fois au cours du troisième trimestre 2019, soit entre juillet et septembre. Autrement dit : plus de trois mois avant la détection du premier cas de Covid-19 à Wuhan, en Chine.

Une idée lancée sur fond de retour de la rougeole

Ce projet européen de "carte de vaccination commune qui puisse être partagée par voie électronique à travers les frontières" n'a rien de secret. Il figure en toutes lettres dans un communiqué de la Commission européenne, dès avril 2018. Il s'agit de l'une des 20 mesures mises en avant, afin de "renforcer la coopération" entre les Etats membres "dans la lutte contre les maladies à prévention vaccinale"Le Conseil européen, qui regroupe les Etats membres, avait ainsi adopté une recommandation en décembre 2018 en faveur d'"une coopération renforcée contre les maladies évitables par la vaccination". Ce texte plaidait pour une harmonisation des pratiques au sein de l'UE, certains pays n'ayant rendu aucun vaccin obligatoire ou n'en recommandant pas le même nombre que d'autres, comme le montrait cette carte établie par Sciences et Avenir. Une mesure de nature à faciliter la vie des citoyens européens souhaitant par exemple "poursuivre leur vaccination en cas de changement de pays", selon le Conseil.

La maladie qui préoccupe alors la Commission européenne n'est pas le Covid-19, mais la rougeole (et la rubéole, dans une moindre mesure). Le Centre de prévention et de contrôle des maladies (CDC) européen s'alarme en effet à cette époque (rapport en anglais) de la résurgence de la rougeole dans plusieurs pays de l'UE. Le CDC recense plus de 5 000 cas en Roumanie et en Italie, plus de 900 en Grèce ou en Allemagne. La majorité des cas apparaissent chez des personnes non vaccinées. Dans les pays concernés, la proportion de non-vaccinés atteint en moyenne 72% chez les jeunes adultes de 25-29 ans, et même 96% chez les enfants de moins d'un an. La Commission plaide donc en faveur de "plans de vaccination nationaux et/ou régionaux" pour améliorer la couverture vaccinale contre la rougeole. Elle envisage la possibilité de vacciner de manière régulière non seulement les enfants à l'école, mais aussi les adultes ou sur les lieux de travail. Dans ce contexte, elle imagine aussi "des contrôles de routine du statut vaccinal"

Un appel d'offres pour une étude de faisabilité 

Cette carte européenne de vaccination avait même fait l'objet d'un appel d'offres (en anglais) entre août et octobre 2019 pour un montant de 2,6 millions d'euros, hors TVA. Il n'est pas précisé le nom de l'entreprise qui l'a remporté. Le contrat portait sur une étude de faisabilité d'un tel dispositif. Il s'agissait d'établir "une cartographie des cartes de vaccination existantes" au sein de l'UE, puis de "tester et évaluer" les solutions proposées. Celles-ci devant à la fois tenir compte des "programmes de vaccination nationaux éventuellement différents", être "compatibles avec les systèmes d'informations" des Etats membres, être "communes à tous les Etats membres" et enfin être "utilisables d'un pays à l'autre". A aucune des étapes de réflexion de ce projet de carte européenne de vaccination, il n'est fait mention d'un caractère obligatoire, contraignant ou restrictif, similaire à celui de l'actuel pass sanitaire français ou du pass vaccinal souhaité par le gouvernement.

Face aux vagues successives de Covid-19 qui toucheront le continent au fil des mois, l'Union européenne décidera, en revanche, d'instaurer le certificat européen à la mi-2021. Ce document attestant d'un test négatif ou d'une vaccination contre le Covid, qui n'est pas lié à la carte de vaccination, devient nécessaire pour voyager au sein de l'UE à partir du 1er juillet au sein de l'UE. Comme le rappelle cette chronologie, les discussions entre la Commission européenne et les Etats membres de l'Union avaient formellement débuté en novembre 2020 et le Parlement et le Conseil avaient donné leur accord en mai 2021.

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