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Mise en examen d'Agnès Buzyn : ce que déclarait l'ex-ministre de la Santé sur la gestion de l'épidémie en 2020

L'ex-ministre de la Santé est mise en examen par la Cour de justice de la République pour "mise en danger de la vie d'autrui".

Article rédigé par franceinfo
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La ministre de la Santé Agnès Buzyn quitte le palais de l'Elysée (Paris), le 22 mai 2019. (ARTHUR NICHOLAS ORCHARD / HANS LUCAS / AFP)

Agnès Buzyn a été mise en examen vendredi 10 septembre pour "mise en danger de la vie d'autrui" et placée sous le statut de témoin assisté pour "abstention volontaire de combattre un sinistre" pendant la crise du Covid-19, vendredi 10 septembre. Cette annonce intervient à l'issue de l'audition de l'ex-ministre de la Santé par des magistrats de la Cour de justice de la République (CJR).

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Première responsable politique mise en cause dans l'enquête sur la gestion de cette crise sanitaire en France, Agnès Buzyn avait notamment assuré au début de l'épidémie que "les risques de propagation du coronavirus dans la population [étaient] très faibles". Retour sur ses déclarations de l'année 2020, sur lesquelles se penche aujourd'hui la justice.

24 janvier 2020 : "Les risques de propagation [du virus] sont très faibles"

Début 2020, le monde prend lentement la mesure de la crise au gré des informations alarmantes venant de Wuhan, en Chine. Agnès Buzyn est alors ministre de la Santé depuis mai 2017. Le 24 janvier, l'hématologue de formation prend la parole pour annoncer deux cas de coronavirus "confirmés" en France. "Nous sommes en train de remonter l'histoire de ces patients positifs de façon à rentrer en contact avec les personnes qu'ils ont croisées", explique la ministre lors d'un point presse.

"Nous avons aujourd'hui les premiers cas européens, probablement parce que nous avons mis au point le test très rapidement et que nous sommes capables de les identifier, estime-t-elle. Il faut traiter une épidémie comme on traite un incendie, très vite repérer la source" et le "circonscrire le plus vite possible", déclare encore la ministre. Elle se veut toutefois rassurante, déclarant que "les risques de propagation du coronavirus dans la population sont très faibles", comme le rapporte France Bleu, avant de préciser que cette analyse pourrait "évoluer".

26 janvier 2020 : le masque est "totalement inutile" pour les non-malades

Alors qu'un débat sur l'utilité des masques émerge à peine, la ministre affirme lors d'un point presse que les masques dits "chirurgicaux", sont "totalement inutiles" pour les personnes non contaminées. "Ce sont des masques qu'il faut mettre quand on est malade pour éviter d'envoyer des microbes à son entourage", assure-t-elle le 26 janvier. "Après, il y a des masques de protection pour des personnes en contact étroit avec des personnes malades. Ce sont des masques qui sont essentiellement réservés au personnel soignant, présents dans les hôpitaux."

Selon elle, il n'y a alors "aucune indication à acheter des masques ;pour la population française." Par ailleurs, elle précise que "des dizaines de millions de masques" sont en stock en cas d'épidémie. "Si un jour nous devions proposer de porter des masques à telle ou telle population, les autorités sanitaires les distribueraient."

17 mars 2020 : "Je savais que la vague du tsunami était devant nous"

Mi-février, elle quitte son poste pour remplacer au pied levé Benjamin Griveaux, candidat de la majorité à la mairie de Paris et affaibli par un scandale sexuel. Quelques jours après sa défaite électorale, l'ancienne ministre provoque un tollé en affirmant dans Le Monde daté du 17 mars : "Quand j'ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous." Elle assure avoir alerté l'Elysée et Matignon dès janvier sur le "danger" potentiel du coronavirus. Au sujet des élections municipales, elle ajoute : "Depuis le début, je ne pensais qu'à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c'était une mascarade."

27 mai 2020 : "Le mot 'mascarade' était certainement trop fort"

Dans un entretien au Figaro (article payant) publié le 27 mai, l'ancienne ministre de la Santé revient sur ses propos rapportés dans Le Monde. "Le mot 'mascarade' était certainement trop fort", déclare Agnès Buzyn. "Je m'excuse d'avoir utilisé ce mot", poursuit-elle, expliquant avoir été "choquée" par des "tractations inappropriées" autour de la campagne électorale alors que l'épidémie progressait.

30 juin 2020 : "Je n'ai à aucun moment sous-estimé le risque"

"Vous ne pouvez pas dire qu'on n'a pas été réactifs", martèle quelques mois plus tard l'ex-ministre de la Santé. En juin, elle est entendue par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale chargée d'évaluer la gestion de l'épidémie en France. Agnès Buzyn y affirme avoir alerté l'Elysée et Matignon "autour du 11 janvier".

Elle assure ensuite avoir "pressenti" dès le 22 janvier la potentielle gravité de la crise, demandant un état de lieux de tous les stocks d'équipements de protection, notamment de masques, ainsi que du nombre de lits de réanimation et de respirateurs, et avoir lancé une première commande d'un million de masques FFP2, plus protecteurs, absents de stocks stratégiques d'Etat.

A l'agence Santé publique France, elle demande d'élaborer "trois scénarios d'évolution de l'épidémie" et au consortium de recherche Reacting, de préparer "un protocole de recherche" avec les médicaments potentiels déjà disponibles. "Je n'ai à aucun moment sous-estimé le risque et j'ai préparé notre système de santé" avant de quitter le ministère, ajoute-t-elle.

23 septembre 2020 : "On ne peut pas dire que j’ai minimisé" l'épidémie

En septembre, devant la commission d'enquête du Sénat sur le Covid-19, elle se défend de nouveau, assurant que "peu de ministres ont été autant en action et en alerte" en Europe face à la menace du Covid-19. "Aujourd'hui tout le monde sait ou croit savoir ce qu'il fallait faire", fait-elle valoir, mettant en garde contre une "contraction du temps" qui "rend des déclarations ou des décisions prises incompréhensibles pour le grand public à l'aune de ce que nous savons neuf mois plus tard".

Se défendant d'avoir "minimisé" l'épidémie, comme le rapporte Public Sénat, elle complète sa déclaration du 24 janvier, rappelant que la phrase se poursuivait ainsi : "Cela peut évidemment évoluer dans les prochains jours, s'il apparaissait que plus de villes sont concernées en Chine ou plus de pays."

L'ancienne ministre se lance ensuite dans un long rappel chronologique de son action de début janvier jusqu'à son départ mi-février : niveaux d'alerte successivement déclenchés, alors même que l'OMS et l'agence européenne ECDC étaient rassurantes, demandes d'information auprès de ses services, messages d'alerte aux établissements de santé et aux soignants libéraux, activation juste avant son départ du plan Orsan…

"Ça veut dire que pour moi tout le monde est en ordre de bataille pour faire face à une épidémie qui arriverait", explique-t-elle, renvoyant le sentiment exprimé par un sénateur que "l'intendance n'a pas suivi" à un déni général dans l'opinion, soignants et experts compris, la plupart minimisant les risques d'une épidémie majeure jusqu'à début mars.

Interrogée sur le déploiement des tests de dépistage au-delà des établissements hospitaliers de référence, Agnès Buzyn souligne que l'éventualité de tester "à grande échelle" n'a émergé qu'après son départ, quand les données sur la proportion de personnes asymptomatiques infectées ont été connues. Enfin, sur la question polémique des masques, elle assure avoir demandé l'état des stocks dès que l'OMS a confirmé l'existence d'une transmission interhumaine du virus, le 22 janvier et lancé de nouvelles commandes dès le 24 janvier, "trop tard" pour échapper à la pénurie mondiale, la quarantaine décrétée à Wuhan le 23 janvier ayant paralysé les nombreuses usines de la région.

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