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Covid-19 : imposer le port du masque dans tout l'espace public est-il vraiment utile ?

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une femme porte un masque de protection contre le Covid-19 à Lyon, le 8 août 2020. (MARTIN BERTRAND / HANS LUCAS / AFP)

A Paris ou Marseille, il est désormais obligatoire de porter le masque partout, y compris si l'on se trouve seul dans une rue déserte. Une mesure pas toujours bien comprise par la population.

Marseille, Paris, Lyon, Toulouse, Strasbourg… Les plus grandes villes françaises ont toutes imposé, en cette fin d'été, le port du masque obligatoire à l'extérieur. La mesure, prise pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 et la recrudescence des nouvelles contaminations, s'avère populaire : plus des trois quarts des Français y sont favorables, selon un sondage Odoxa pour franceinfo paru dimanche 30 août. Ce qui laisse, cependant, un certain nombre de sceptiques. Les plus virulents se définissent même comme anti-masques, et ont même organisé une petite manifestation à Paris, le 29 août, à l'image d'autres pays voisins (Royaume-Uni ou Allemagne) où le mouvement est parfois plus conséquent.

Sans forcément descendre dans la rue, certains lecteurs de franceinfo nous interrogent : porter un masque en permanence, même dans un parc, même seul dans une rue déserte, même quand on ne fait que croiser des passants, est-ce vraiment nécessaire ? Nous avons interrogé ceux qui sont le plus à même de répondre à cette question : les scientifiques. Et leur réponse est plus complexe que celle des pouvoirs publics.

"Une des rares choses qu'on sait avec certitude, c'est que les milieux clos sont plus à risque que les milieux ouverts", explique à franceinfo Anne-Claude Crémieux, infectiologue à l'hôpital Saint-Louis, à Paris. Deux travaux sont souvent cités pour étayer cette affirmation : au Japon, l'étude de 111 cas de Covid-19* a conclu que le risque de contamination était 18,7 fois supérieur en intérieur ; en Chine, une revue de 318 foyers d'au moins trois contaminations* n'en a identifié aucun en extérieur (ces deux publications préliminaires, publiées en avril, n'ont cependant pas fait l'objet d'un processus de vérification d'une revue scientifique).

Peu de contaminations dehors… mais pas de risque zéro

Quelques rassemblements extérieurs ayant provoqué des contaminations viennent bien à l'esprit, comme le carnaval de Gangelt, en Allemagne, mais le fait qu'ils ne soient qu'une poignée est significatif. Et ce n'est pas tant dans les regroupements de masse que le port du masque fait débat, mais dans toutes les autres situations en extérieur. A ce propos, Anne-Claude Crémieux concède que "ce n'est pas la personne qui passe à côté de vous dans la rue qui va vous infecter".

En revanche, les fameux "contacts rapprochés" (à moins d'un ou deux mètres pendant plus de dix minutes), particulièrement dangereux, peuvent aussi se produire dehors. "Il n'y a pas d'incertitude sur l'existence du risque à l'extérieur, ni sur l'efficacité du masque, résume Anne-Claude Crémieux. Mais il y en a sur le niveau du risque", c'est-à-dire sur le fait que les contaminations en milieu ouvert soient nombreuses ou, à l'inverse, très rares.

Yazdan Yazdanpanah, infectiologue à l'hôpital Bichat, à Paris, et membre du Conseil scientifique, estime qu'il ne faut de toute façon pas chercher une réponse en noir et blanc. Comme l'illustre le tableau qui accompagne une étude récente du British Medical Journal*, le risque varie selon plusieurs facteurs : "la densité de personnes, le fait que l'endroit soit bien ventilé ou pas – même en extérieur –, que les personnes parlent fort ou chantent…" Etre dehors ou dedans n'est qu'un de ces facteurs, estime-t-il, même s'il est important. Impossible, donc, de tirer une vérité générale sur le risque en milieu ouvert.

L'épidémiologiste Martin Blachier, qui ne cache pas son opposition au masque en extérieur, pense que, même lors d'une longue conversation dehors, une contamination est "quasi impossible" car l'air ne stagne pas comme en intérieur. Surtout, même si ce scénario était plausible, il serait "épisodique" et "négligeable", estime celui qui plaide pour lutter avant tout contre les foyers de contaminations multiples (comme les fêtes privées en appartement ou les réunions de famille), vrais responsables de la dynamique de l'épidémie. Il est par ailleurs, comme ses collègues, favorable au port du masque en entreprise.

"Personne n'a les moyens de chiffrer le risque en extérieur"

S'il existe encore un débat sur ce sujet, c'est aussi parce que les connaissances scientifiques précises manquent. On peut étudier la répartition des clusters (qui se trouvent surtout en intérieur) ou encore tester la capacité des masques à réduire la projection de virus (elle fait l'unanimité). Mais "les études cliniques, où on suivrait deux groupes, l'un portant le masque et l'autre non, sont peu nombreuses et forcément réalisées en milieu fermé", explique Anne-Claude Crémieux. En milieu ouvert, trop de facteurs extérieurs pourraient parasiter les résultats. "Il faut être humble : personne n'a les moyens de chiffrer le risque en extérieur", conclut l'infectiologue.

Face à ce doute, imposer ou non le port du masque dehors devient un calcul entre les avantages et les inconvénients. Martin Blachier voit surtout ces derniers. S'il considère que l'obligation sera respectée et qu'elle "rassure", il pense que "les gens vont chercher des endroits où ils peuvent enlever le masque". C'est-à-dire à l'intérieur, dans le cercle privé, "là où ils ne risquent pas d'amende", mais où le risque de contamination est plus important qu'à l'extérieur.

Toutefois, porter un masque en permanence, c'est être certain de l'avoir au moment où il devient nécessaire, estime Emmanuel Rusch, épidémiologiste lui aussi et président de la Société française de santé publique (SFSP) : "Tout seul à l'extérieur, il n'y a bien sûr aucun risque, et pas tellement de raison de porter le masque. Mais dans une zone densément peuplée, vous n'êtes pas à l'abri de croiser des gens en tournant au coin de la rue."

"Raisonner en principe de précaution"

"Il est plus simple, en termes de pédagogie, de dire 'portons le masque partout'", ajoute Yazdan Yazdanpanah. Selon lui, cette contrainte, certes pénible, reste "un moindre mal" par rapport à d'autres mesures plus contraignantes. C'est aussi l'avis d'Anne-Claude Crémieux, pour qui le contexte impose de "raisonner en principe de précaution" : "Il est légitime de faire tout ce qu'on peut pour arrêter ce virus." Même si, à ses yeux, c'est aux autorités de trancher quand il n'y a pas de réponse scientifique évidente.

Ces scientifiques s'accordent en tout cas sur un point : la contrainte pourrait être mieux expliquée au public. Pourquoi cette obligation, et pourquoi maintenant ? "Il persiste toujours des incertitudes, et il y a une part d'arbitraire, il faut le dire", pense Yazdan Yazdanpanah. Pour lui, il est aussi plus simple de convaincre s'il y a une "cohérence" des règles dans des villes qui présentent des situations similaires. Ce qui n'est pas toujours le cas actuellement, concernant le port du masque pour les cyclistes, par exemple.

Par ailleurs, se prononcer pour l'obligation du masque en extérieur ne veut pas dire accepter cette contrainte sans conditions. "Quand on restreint la liberté des gens, cela doit pouvoir être discuté, temporaire et révisable dans le temps", plaide Emmanuel Rusch, qui regrette que les préfectures n'annoncent jamais de date de fin de la mesure, quitte à la repousser, comme ce fut le cas pour le confinement. Celui qui préside le Comité de contrôle et de liaison Covid-19, chargé d'impliquer les citoyens dans la prise en charge de l'épidémie, espère surtout que le contrôle se fera avec "discernement" et "qu'on ne viendra pas embêter quelqu'un qui n'aurait pas son masque dans un lieu où il n'y a personne".

* Les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.

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