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Après la pénurie et la surproduction, la filière française des masques se consolide au fil de la crise du Covid-19

Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une employée coud un masque, au siège de la société Damart, à Roubaix, le 13 mai 2020. (JULIE SEBADELHA / HANS LUCAS / AFP)

Que sont devenus les centaines d'entrepreneurs français qui s'étaient mis à produire des masques au plus fort de la crise ? Après la pénurie au printemps et la surproduction cet été, cette nouvelle filière "made in France" se stabilise.

Je veux que d'ici la fin de l'année nous ayons obtenu cette indépendance pleine et entière." Emmanuel Macron avait fixé cet objectif à la filière de production de masques. En visite dans l'usine Kolmi-Hopen dans le Maine-et-Loire le 31 mars dernier, le président plaidait ainsi pour une reconstruction de "notre souveraineté nationale et européenne" en la matière. Deux jours plus tôt, un premier avion avait atterri à Roissy pour livrer 5,5 millions de masques médicaux en provenance de Chine, la première cargaison d'un long pont aérien venu combler les manques français.

Avant la crise, l'Hexagone ne produisait que 3,3 millions de masques par semaine, alors que les besoins hebdomadaires pour le personnel soignant et les Ehpad étaient évalués à 40 millions d'unités. Surtout, début avril, le gouvernement change de posture. D'abord jugés inutiles au grand public quand les gestes barrières sont respectés, les masques retrouvent grâce aux yeux des autorités. "Nous encourageons le grand public, s'il le souhaite, à porter des masques, et en particulier des masques alternatifs", annonce ainsi le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, le 3 avril.

Une filière bâtie dans l'urgence

Pour équiper les millions de Français, l'industrie du textile se met en branle. Plus de 1 400 entreprises tricolores adaptent leur ligne de production, signent des CDD, investissent dans de nouvelles machines. Une filière des masques réutilisables "made in France" se dessine dans l'urgence. "Il y a eu un grand effort de l'industrie textile et habillement au printemps pour répondre à la pénurie", se souvient Yves Dubief, président de l'Union des industries textiles (UIT).

Au début de l'été, les producteurs français déchantent. Les commandes s'annulent au fur-et-à-mesure que les cargaisons venues d'Asie inondent l'Europe. Des millions de masques restent sur les bras des fabricants tricolores. Cette crise de surproduction est une douche froide pour des dizaines d'entrepreneurs, comme Geoffroy Millet, qui dirige D'Ennery Confection, à Saint-Germain-Laprade (Haute-Loire). "En mars, on a réagi très vite, la solidarité locale a été très bonne, se raconte-t-il, mais à la mi-mai, les conteneurs de Chine sont arrivés… Les "sauveurs du début" sentent qu'on les "laisse tomber". Ses masques, vendus entre 3,50 et 5 euros l'unité, ne faisaient pas le poids face aux produits chinois, dont le prix de vente avoisinait 2,20 euros.

"Economiquement, on n'était pas intéressants, ce que je peux comprendre, mais on était déçus"

Geoffroy Millet

à franceinfo

"La machine s'était emballée, estime Yves Dubief. Au premier déconfinement, il y a finalement eu moins de consommation, parce qu'une partie des gens sont restés en télétravail, et les collectivités, les entreprises, en avaient déjà commandé plus que nécessaire. Le marché a faibli et l'offre a grandi." Résultat, 40 millions de masques lavables "made in France" restent empaquetés dans les hangars en ce début d'été, sans trouver acheteur.

Bercy missionne alors Yves Dubief et Guillaume Gibault, fondateur du Slip français, pour aider les entreprises à écouler les masques et convaincre les acheteurs de favoriser les produits fabriqués en France. Ils s'appuient notamment sur Savoir faire ensemble, un groupement d'acteurs du secteur mis en place au plus fort de la crise. "En en parlant dans les médias, en mobilisant les entreprises et en vantant les mérites du masque lavable, on a réussi à écouler la moitié de ces stocks en juillet. Le reste a été écoulé par la suite, avec la dégradation de la situation sanitaire", résume Madeleine Cusinberche, secrétaire générale de Savoir faire ensemble.

Des stocks de tissu jusqu'au plafond

L'obligation du port du masque dans l'espace public et au travail, le moindre recours au télétravail, et la deuxième vague que connaît la France, ont permis d'écouler des millions de masques. Mais pas toujours la matière première, dont les stocks atteignent toujours le plafond de certains ateliers. "Aujourd'hui, j'ai l'équivalent de 8 à 10 millions de masques en matière première", déplore Olivier Balas, dirigeant de Balas Textile, qui produit à la fois des masques lavables, mais aussi le tissu qui permet d'en confectionner. Il tente de les écouler, mais "c'est à petite dose". "Vus les 200 000 mètres de tissu que j'ai, il va encore falloir du temps", assure-t-il.

Fabriquer des masques lui a permis de "ne pas sombrer", mais ce n'est pas son cœur de métier. "Au printemps, les masques représentaient 80% de notre activité, aujourd'hui c'est 10%", évalue-t-il. Pierric Chalvin, délégué général d'Unitex, union des entreprises textiles de la région Auvergne-Rhône-Alpes, partage le même consta : "Il y a encore des stocks importants pour certaines entreprises, on espère qu'ils vont pouvoir les écouler. Le marché s'est stabilisé, mais on ne sait jamais de quoi demain sera fait".

Ce marché à deux vitesses en a dissuadé plus d'un. "Beaucoup d'entreprises se sont recentrées sur leur activité principale, explique Madeleine Cusinberche. Au plus fort de la crise on avait jusqu'à 1 450 entreprises impliquées dans la confection de masques, maintenant on en coordonne 200." Yves Dubief n'en dénombre même qu'une centaine.

Un nouveau souffle pour les masques jetables

Depuis l'été, le marché du masque français a changé de visage. Les capacités de production de masques sanitaires jetables ont explosé, sous l'impulsion du gouvernement. Le 8 octobre, la ministre chargée de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, présente ainsi les dix  premiers lauréats d'un appel à manifestation d'intérêt (AMI) pour la production de masques sanitaires, et surtout de leur matière première, le "meltblown".

Texinov, Arkema, ou encore Savoy International… Les investissements des lauréats sont subventionnés à 30% par l'Etat, pour un total de 18 millions d'euros pour ces dix premiers projets. D'après le ministère, une vingtaine d'entreprises produisent aujourd'hui des masques jetables en France, et les capacités de production hebdomadaire sont ainsi passées de moins de 4 millions de masques au début de l'année à 100 millions en décembre.

Du côté des masques lavables, ceux qui n'ont pas arrêté ont réduit la voilure. Chloé Bonnefoy dirige Maison Bonnefoy, une PME de 13 salariés, qui fabriquait surtout des gants, écharpes et bonnets, avant de participer à l'effort de production de masques. "Au printemps, nos machines tournaient jours, nuits et week-ends, raconte-t-elle. La demande s'est stoppée nette, mais on a continué la vente en ligne pour proposer le masque aux particuliers", détaille-t-elle. Désormais, l'entreprise a repris sa "production normale", mais elle a choisi d'intégrer les masques à son catalogue. "Même si on n'en vend pas des milliers, ça a permis de fidéliser une clientèle", justifie Chloé Bonnefoy.

L'indépendance loin d'être atteinte

D'autres entrepreneurs ont fait évoluer le produit avec les saisons, selon les utilisations ou les différentes améliorations. "Certains continuent d'innover, en proposant un masque qui fait tour de cou, plus adapté à l'hiver. D'autres trouvent des débouchés grâce à des masques d'image, aux couleurs de clubs de foot, par exemple", explique Pierric Chalvin, d'Unitex en Rhône-Alpes.

"On nous demande de plus en plus des masques personnalisés", confirmait à franceinfo fin août Sylvie Chailloux, de Textile du Maine. "On propose de la sérigraphie, pour l'esthétique, différentes tailles et attaches. Il faut être compétitifs." Dans cette bataille, le masque "made in France" est même devenu un argument phare pour les vendeurs. L'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) recense une vingtaine de demandes de dépôt de marque comportant l'expression "masque français" depuis le mois d'avril. Un vendeur a même déposé la marque "masque Cocorico".

Si la filière française continue de consolider ses fondations, l'objectif d'indépendance en la matière n'est pas atteint. En témoigne la persistance des importations de masques étrangers. D'après les données les plus récentes fournies par les douanes françaises, la France a importé pour 1,79 milliard d'euros de masques (tous types confondus) en mai 2020. Ces montants ont largement diminué à l'automne, mais se maintenaient tout de même à 250 millions d'euros en octobre, soit 15% des importations du mois de mai, mais sept fois plus qu'en janvier 2020.

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