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Comment les "vacances apprenantes" se mettent-elles en place ?

Le dispositif a été annoncé début juin par le ministère de l'Education nationale. Enthousiasmant sur le papier, il se réalise dans la hâte.

Article rédigé par franceinfo - Charlotte Causit
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Temps de lecture : 6 min
Des enfants se baladent dans la nature, accompagnés par deux adultes, le 21 mai 2020. (VANESSA MEYER / MAXPPP)

Les grandes vacances viennent à peine d'être annoncées que certains reprennent déjà le chemin de l'école. L'été sera studieux pour un million d'élèves français, tout degré confondu, espère le ministère de l'Education nationale. Un chiffre ambitieux, que le gouvernement entend atteindre grâce à un dispositif inédit, celui des "vacances apprenantes". Objectif : lutter contre le décrochage scolaire accentué avec la crise du coronavirus

L'éventail des options proposées est large. Le dispositif est composé de plusieurs volets, certains nouveaux, comme les séjours en zone rurale sous la forme d'"écoles buissonnières", les "colos apprenantes" et d'autres déjà existants, comme les prolongations scolaires dans les "écoles ouvertes". S'il est encore trop tôt pour juger de son efficacité, certains acteurs ne cachent pas leur scepticisme. "C'est de la communication", tranche Jean-André Lasserre, président de la FCPE à Paris.

Changer d'air et s'amuser en apprenant

Pour répondre "au besoin d'expériences collectives et de remobilisation des savoirs",  le ministère a décidé cette année de proposer des "colos apprenantes". Un cahier des charges (PDF) a été conçu pour encadrer l'aménagement des offres de séjours. Les colonies de vacances répondant aux critères énoncés peuvent faire l'objet d'une labellisation "colo apprenante" et ainsi obtenir une aide de l'Etat plafonnée à 400 euros par mineur et par semaine. Nouveauté : l'instauration de temps délimités "de renforcement des apprentissages".

Appendre en s'amusant et en se changeant les idées. C'est le mantra de Jérôme Vasseur, secrétaire général de l'association Education jeunesse Aisne, organisatrice d'une vingtaine de séjours de "cinquante enfants à chaque fois". L'association a décidé de recruter "4 ou 5 enseignants par séjour en plus des équipes traditionnelles". De quoi permettre aux enfants de se replonger dans un climat studieux "en visitant un château fort", "en prenant un petit-déjeuner en parlant anglais" ou bien en "rédigeant une carte à leur famille". Pas question de faire des dictées ou de "distribuer des photocopies", balaie-t-il. Les "vacances apprenantes", serviront surtout à "socialiser" à nouveau les enfants et à leur redonner goût à l'école, soulignent les acteur éducatifs ou associatifs. 

Des écoles ouvertes pendant les vacances

Côté "écoles ouvertes", les établissements scolaires proposent un renforcement scolaire plus important que d'accoutumée. Lancé depuis 1991, ce dispositif est répandu dans les établissements de l'enseignement prioritaire, souligne Radouane M'Handi, proviseur d'un "collège ouvert" et secrétaire départemental du SNPDEN en Seine-Saint-Denis. En 2019, 70 000 enfants en avaient bénéficié. Un chiffre que Jean-Michel Blanquer souhaite voir grimper à 400 000 pour l'été 2020. Pour ce faire, le ministre de l'Education compte sur l'ouverture estivale de 2 500 établissements scolaires, de la primaire au lycée, et sur la mobilisation de 25 000 enseignants, rémunérés en heures supplémentaires.

C'est aux établissements scolaires de décider des projets développés dans leur enceinte. Tous doivent mixer renforcement scolaire et activités culturelles ou sportives ou écologiques. Dans l'école parisienne du fils d'Anne*, en CM2, l'accent a par exemple été mis sur "la révision du français et des mathématiques", explique-t-elle. Dans le collègue que dirige Radouane M'Handi en Seine Saint-Denis, c'est le loisir qui prime : "accrobranche, trampolines géants", énumère-t-il. Des activités indispensables selon lui pour "raccrocher les enfants qui ont subi le décrochage et les enfants en pré-décrochage". 

Aujourd'hui, les enfants ont besoin de s'aérer l'esprit, pas de faire des mathématiques et de la physique. Ils auront tout le temps de le faire après.

Radouane M'Handi

à franceinfo

"Ce qui a facilité tout cela, c'est la rémunération des vacations, qui est à un peu plus de 1 000 euros pour une semaine. Pour les instituteurs qui ont un salaire moyen d'à peine 2 000 euros, c'est énorme !" précise Radouane M'Handi. Le proviseur se réjouit qu'aucune contrainte n'ait été imposée aux enseignants ni aux directions.

Un financement important de l'Etat

Parmi les 200 millions d'euros débloqués par l'Education nationale, une bonne partie sert à financer les "colos". Un financement "inédit", insiste Jérôme Vasseur, de l'association Education jeunesse Aisne. "Pour moi, qui travaille dans le secteur depuis 25 ans, c'est complètement exceptionnel !" s'exclame-t-il. Près de 250 000 enfants de familles en difficultés devraient ainsi bénéficier d'une prise en charge à 80% du coût du séjour. "Pour les 20% restants, on a travaillé avec les caisses d'allocation familiale, le département, nos fonds propres", précise-t-il. "En 8 ou 9 jours, tous nos séjours étaient complets. Cela a été une déferlante", continue de s'étonner Jérôme Vasseur, pour qui "cela montre qu'il y a un besoin énorme". Les enfants en question ne pourraient pas partir autrement. 

On retrouve de la mixité sociale car tout le monde peut s'inscrire sans restriction financière.

Jérôme Vasseur

à franceinfo

Pour les collectivités locales, en charge de la mise en place du dispositif, l'enthousiasme est plus mesuré. "Globalement, les collectivités ont apprécié l'aide de l'Etat", pose Jean-Sébastien Sauvourel, conseiller à l'association d'élus Villes de France. "On s'était posé la question si les 400 euros proposés étaient suffisants et on avait proposé que l'Etat prenne peut-être mieux en charge", nuance-t-il. Pour Chantal Brault, référente éducation de l'Association des maires d'Ile de-France et adjointe de Sceaux (Haut-de-Seine), "on ne peut pas tout porter. Ce sont des projets qui nous sont proposés ou imposés, et ce sont nous les payants". "Le problème, c'est que nous avons été très handicapés par l'épidémie. Nous sommes dans des configurations financières compliquées", explique l'élue.

Une organisation dans l'urgence

L'effort sera-t-il payant ? Le million d'élèves attendus seront-ils au rendez-vous et leurs vacances seront-elles "apprenantes" ? Les espoirs sont mitigés. Le dévoilement tardif du protocole sanitaire et du cahier des charges ont condamné de nombreux séjours, regrette Sophie Baudriller, déléguée régionale de l'Union française des centres de vacances (UFCV) en Occitanie. "C'est sérieux les colos. Ce n'est pas youpi tagada, on prend trois animateurs Bafa et on part en vacances !" peste-t-elle. "On a dû annuler la moitié de nos séjours. Les parents ne savent même pas que ce dispositif existe."

On ne peut absolument pas organiser en trois semaines des colos que d'habitude on met un an à organiser.

Sophie Baudriller

à franceinfo

La situation varie aussi considérablement en fonction des territoires. "Nous avons beaucoup de monde", se réjouit Radouane M'Handi. "On a plus d'un collège sur deux qui est ouvert. Mais la nouveauté, ce sont les écoles primaires", habituellement peu concernées, souligne-t-il. 25% des instituteurs ont répondu à l'appel dans plusieurs zones de la Seine-Saint-Denis "malgré la rapidité de la mise en place du dispositif", estime-t-il. Une mobilisation précipitée et inédite dont il se réjouit. Même observation à Nogent-sur-Oise (Oise) pour Emilie Rama, coordinatrice REP. "Il y a des écoles qui se sont lancées dès cette semaine !" se réjouit-elle. Néanmoins, dans certains endroits, faute de personnel, de nombreux établissements resteront fermés pendant la période estivale.

Du côté des parents, Anne, mère de trois enfants, est mitigée. Cette parisienne a inscrit son plus jeune fils dans l'un des dispositifs des "vacances apprenantes", bien qu'il ne présente pas de grandes difficultés scolaires. "Il était très, très demandeur de retourner à l'école", explique-t-elle. Scolarisé en CM2, il avait perdu ses repères et toute confiance en lui. Si le stage, initié lundi 6 juillet, ne "correspond pas à ce qu'on nous avait dit" en terme de soutien scolaire, Anne relativise : "Mon fils est plutôt content d'y aller. Cela le rassure, donc c'est bien !"

* Le prénom a été modifié.

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