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Bac 2020 en contrôle continu : le diplôme de cette année sera-t-il plus facile à obtenir ?

En raison de la crise du Covid-19, les lycéens n'ont pas été convoqués dans les salles d'examen. L’édition 2020 du bac se jouera uniquement par le contrôle continu, et le ministère promet un système de notation "bienveillant". Des jurys d’harmonisation ont été créés pour l’occasion. Nous avons contacté des membres de ces jurys.

Article rédigé par franceinfo - Charlotte Causit, Julien Nguyen Dang
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des élèves masqués suivent un cours d'histoire au lycée Arago de Perpignan (Pyrénées-Orientales), le 10 juin 2020. (JEAN-CHRISTOPHE MILHET / HANS LUCAS / AFP)

Cette année, pas de copies de bac à corriger. Après la fermeture exceptionnelle des lycées dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, le ministère de l’Education nationale a décidé, au mois d’avril, que le baccalauréat 2020 se déroulerait sous la forme de contrôle continu.

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Les habituels examinateurs s’en tiendront donc aux "notes de terminale inscrites dans le livret scolaire ou le dossier de contrôle continu" des deux premiers trimestres de l’année 2019-2020 et aux résultats des épreuves anticipées de première, indique le ministère dans un arrêté. Un système de notation organisé dans la "bienveillance" et la "confiance", défend le ministère (en PDF), avec la mise en place de jurys d’harmonisation avant d’éventuels oraux de rattrapage. Le bac 2020 va-t-il être "donné" pour autant ?

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Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 21 avril 2020. (JACQUES WITT / POOL / AFP)

Le recours au contrôle continu était attendu par les représentants de parents d’élèves. Mais il ne convainc pas tout le monde, car certains le jugent inégalitaire. Lycées, enseignants… Tous ne notent pas leurs élèves avec la même sévérité. "Le contrôle continu est un vecteur d’accroissement des inégalités scolaires (...). Il produit donc des 'baccalauréats maison' réels ou supposés qui dévalorisent le baccalauréat", souligne le syndicat CGT Educ'action 93. Et du côté des candidats, l’incertitude plane. Sans examen pour rehausser leur dossier scolaire, certains estiment qu’ils ne décrocheront pas leur bac. Pour d'autres, c'est l'obtention d'une mention qui est en jeu. A moins que le jury se montre bienveillant, pour reprendre le terme employé par le gouvernement. Finalement, les lycéens inquiets pourront-ils compter sur une augmentation générale de leurs résultats ?

Une "cuisine" locale

Face à des circonstances exceptionnelles, le baccalauréat 2020 a dû se réinventer, sans épreuves nationales et copies anonymisées. Les notes des épreuves finales ont été remplacées par un calcul savant, réalisé à partir des notes obtenues au cours de l'année. "On nous a demandé de rentrer nous-mêmes, dans un logiciel, la fameuse note de contrôle continu, calculée à partir des moyennes du 1er et du 2e trimestre", explique Isabelle*, enseignante d'allemand dans un lycée francilien.

Une solution de secours qui présente plusieurs problèmes : la fin de l'anonymisation, de l'uniformité des barèmes. Chaque enseignant "fait sa propre cuisine", confie Laurence, professeure d'anglais dans un lycée général et technologique normand. Même chose à l'échelle des établissements, où certaines directions ont décidé de pousser leurs enseignants à "falsifier certaines moyennes", comme l'a dénoncé une enseignante sur France Inter. "Certains établissements ont rapporté des notes différentes de celles réellement obtenues par les élèves", note le syndicat CGT-Education de Seine-Saint-Denis dans un communiqué.

Ces pratiques a minima amorales, qui creuseraient les écarts entre établissements, sont poussées par la volonté de ne pas pénaliser les élèves, dont les notes sont "sensiblement inférieures en contrôle continu qu'au bac", explique Laurence, mais aussi "pour l'image du lycée". Car les lycées sont classés selon le taux de réussite de leurs élèves à l'examen de fin de parcours, et le nombre de mentions qu'ils obtiennent. Le changement d'évaluation du baccalauréat s'avère donc très pénalisant pour les établissements qui ont pour habitude de "noter durement les élèves pour les motiver, les inciter à se dépasser, et ne faire preuve d'aucun laxisme", poursuit l’enseignante.

Je suis sûr que mes élèves auraient eu une meilleure moyenne de bac, deux points de plus, s’ils avaient passé l'examen !

Rémy*, enseignant dans un lycée francilien

à franceinfo

Les enseignants contactés par franceinfo assurent ne pas avoir reçu de directive de leur direction les incitant à augmenter les résultats de leurs élèves. "Dans mon lycée, je m’attendais à ce qu’on gonfle les notes, mais en fait, pas du tout, il y a même eu un flicage : on nous a demandé de mettre les notes dans le logiciel pour que l’administration puisse tout vérifier", insiste Isabelle, la professeure d'allemand. Conformément à une directive ministérielle, certains établissements, comme celui de Laurence, ont décidé de prendre en compte des résultats du troisième trimestre "obtenus avant le confinement" et dont l'ajout fait le jeu de l'élève. "Je l'ai fait pour quelques élèves que je trouvais méritants. Cela leur a fait beaucoup de points supplémentaires", assure-t-elle.

Cette "cuisine" locale a été signalée et critiquée par les syndicats enseignants : "Il y a des établissements où il y a déjà eu une harmonisation un peu sauvage des notes, en dehors des cadres complémentaires", dénonce Sophie Vénétitay, secrétaire générale adjointe du syndicat Snes-FSU.

"Les pratiques sont très différentes d'un établissement à l'autre", analyse Laurette, membre d'un jury d'harmonisation en Normandie. Dans l'un des établissements qu'on avait, les notes du contrôle continu étaient très supérieures aux notes d'examens des autres années." Les taux provisoires de réussite de plusieurs lycées franciliens dans la filière générale scientifique ont ainsi bondi de plus de 15% cette année, selon les tableaux auxquels franceinfo a pu avoir accès. Contacté, le ministère de l'Education nationale a assuré qu'un "contrôle administratif" pourrait "être mis en place" s'il constate "des pratiques inadaptées".

Des tableaux et des chiffres pour harmoniser

Pour ne léser aucun candidat, le ministère de l’Education nationale a trouvé la formule : instaurer un sous-jury d’harmonisation avant même les délibérations individuelles qui ont lieu chaque année. Ainsi, les résultats prévus d’une filière (L, ES, S, etc.) sont comparés avec "les notes moyennes, taux de réussite et de mentions obtenus lors des trois dernières sessions des candidats inscrits dans l'établissement", indique le ministère (en PDF). Il ne s’agit donc pas d’une harmonisation entre lycées mais plutôt d’une harmonisation avec les résultats des années précédentes, au sein d’un même établissement.

Comme l’écrit le ministère dans son Bulletin officiel (en PDF), "en cas de discordances manifestes pour l'ensemble des candidats d'un même établissement au regard des sessions précédentes", tous les élèves d’une même filière et dans un même lycée peuvent faire l’objet d’une revalorisation – mesurée – dans la notation. Les enseignants interrogés expliquent qu’il leur est par exemple possible d’augmenter de deux points les notes de plusieurs élèves dans une ou plusieurs disciplines, en cas de baisse excessive. Mais dans le cas contraire, en cas de hausse constatée, "on n’avait pas le droit de baisser la moyenne", rapporte Laurette.

Alors que s'est-il passé ? Le jury d’harmonisation a pu permettre de rehausser les résultats de certaines classes, lésées par des contournements du contrôle continu. Rémy* explique avoir examiné dans son jury les résultats de "deux lycées", pour lesquels le jury a consacré “beaucoup de temps”. Les modalités de notation s’étaient révélées contraires aux textes puisque certaines notes avaient porté sur des devoirs réalisés en ligne pendant le confinement, mettant des élèves en difficulté. De quoi faire baisser le taux de réussite de 20 à 30 %. "Ça a été corrigé", se félicite l’enseignant.

Un examen individuel

Après ces sous-jurys inédits se tiennent des jurys "plus traditionnels", de délibération. Les dates de ces jurys diffèrent selon les académies. Ils se tenaient par exemple vendredi 26 juin pour l'académie normande. "On a épluché 150 dossiers scolaires par jury. On a regardé la moyenne, les appréciations et les commentaires et on a débattu", raconte Laurence. L’objectif : attribuer des mentions à ceux qui les ont manquées de justesse, "qui les auraient eues s'ils avaient passé le bac", et donner une chance à ceux qui n'ont pas eu la moyenne.

Pour l'enseignante, qui s'attendait à un grand laxisme, son jury s'est montré "un peu plus clément [que d'habitude], mais guère plus."

On a repêché 3 ou 4 élèves sur 150 et on en a quand même envoyé 14 au rattrapage.

Laurence, enseignante d'anglais dans un lycée normand

à franceinfo

"Cette année toutefois, un nombre plus important de dossiers a été examiné, concède-t-elle. On a repêché des élèves qui, d'habitude, vont directement au rattrapage, car ils sont en dessous de 10", précise-t-elle. Selon les jurys, le nombre de dossiers examinés varie. Il était plus important au sein du jury de Rémy* : "Pour les rattrapages, traditionnellement on dit qu’on regarde les dossiers des élèves entre 6, 7 et 8. Cette année, on a décidé de regarder tous les élèves de 0 à 8."

Pour chaque élève, les membres du jury examinent notes, appréciations et commentaires. "Si un élève a un mauvais livret, on ne lui donne pas de points gratos, mais si c'est un élève méritant, on le fait accéder au cran du dessus, on lui donne des points, explique Isabelle*. Tous les ans, crise sanitaire ou non, le bac est très avantageux : d'une part grâce à l'arrondi [au point supérieur pour chaque matière] et d’autre part avec l’histoire du livret scolaire analysé par le jury", souligne-t-elle.

Les enseignants tâchent donc, à travers l'analyse des livrets, de rétablir une certaine forme d'égalité entre les candidats. Seront-ils davantage bienveillants avec cette "promo Covid" ? Probablement, avance Laurence : "On va essayer de faire en sorte d'être indulgents, par rapport au préjudice du confinement, mais aussi par rapport au fait que c'était le dernier bac dans les conditions actuelles. La réforme fait que les élèves qui redoubleraient cette année ne passeraient pas du tout les mêmes épreuves l'année prochaine. Ce serait, pour eux, une triple peine", alerte-t-elle.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande de nos interlocuteurs

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