Cet article date de plus de trois ans.

Avec le déconfinement, l'addition sera-t-elle plus salée dans les cafés et les restaurants ?

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des clients sont assis à une terrasse de café, à Paris, le 21 mai 2021. (MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS / AFP)

Les restaurateurs assurent que les prix ne vont pas augmenter. Mais, à la marge, la note pourrait légèrement grimper, notamment en raison de l'augmentation des prix de certains produits et de la pénurie de personnel.

Les terrasses sourient aux clients. Avec l'allègement des restrictions, le recul du couvre-feu à 23 heures et le retour des beaux jours, les consommateurs reviennent en masse dans les cafés et les restaurants, si longtemps fermés en raison des mesures sanitaires prises pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. Mais, au plaisir du verre entre amis se mêle parfois un léger soupçon : les prix n'auraient-ils pas augmenté avec le déconfinement ? Ou n'est-ce qu'une impression, un jugement faussé par plusieurs mois de fermeture ? Les restaurateurs interrogés par franceinfo poussent un cri unanime : non, pas question de monter les prix maintenant ! Mais leur dénégation comporte quelques bémols.

"Aucune raison" d'augmenter les prix

A Paris, dans ce café de Montparnasse, l'expresso à 2,50 euros est passé à 2,70, de l'aveu même du serveur. De l'autre côté de la Seine, dans ce bar du quartier d'Aligre, la pinte de bière bon marché à 3,50 euros en "happy hour" coûte désormais 4 euros, selon un consommateur... Y a-t-il une hausse des prix dans la capitale pour compenser les pertes des mois précédents ?

"Non ! Les gens ont le sentiment de payer plus cher, parce qu'ils se sont fait livrer leurs plats pendant la fermeture des restaurants, mais c'est faux", s'insurge Marcel Benezet, restaurateur parisien, élu de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris-Ile-de-France, et président de la branche des cafés, bars et brasseries du Groupement national des indépendants de l'hôtellerie-restauration. 

"Il y a toujours le loyer et les charges à payer, mais pas d'augmentation spéciale liée au Covid. A Paris, la gamme des prix est restée la même, poursuit-il, avec des hausses par endroits, et des baisses ailleurs." Marcel Benezet s'agace plutôt des baisses, avec des cafés qui font, selon lui, de la "concurrence déloyale" en profitant de l'ouverture des terrasses pour investir massivement l'espace avec des offres promotionnelles "à 3 euros la pinte".

Et loin de Paris ? L'addition va-t-elle s'alourdir à l'approche de l'été, en particulier dans les zones touristiques ? "La réponse est non", assure fermement Hubert Jan, patron de restaurant à Fouesnant, dans le Finistère, et président de la branche restauration de l'Union des métiers de l'industrie et de l'hôtellerie (Umih). 

"On n'assassine pas les gens qui vont revenir chez nous. Il est hors de question d'augmenter les tarifs."

Hubert Jan, président de la branche restauration de l'Umih

à franceinfo

"Il n'y a aucune raison de monter les prix, explique-t-il. D'autant que si on est encore en demi-jauge [la salle à l'intérieur du restaurant restant limitée à 50% de sa capacité], on bénéficie toujours d'aides de l'Etat."

Des clients "pas prêts à dépenser plus"

"On aimerait bien que le consommateur paie plus cher, mais on n'en est pas là", soupire Alain Bretelle, qui possède deux hôtels-restaurants à Hossegor et préside la branche départementale de l'Umih, dans les Landes. "On ne va pas augmenter les prix. Les consommateurs ne sont pas prêts à dépenser plus pour leur repas", déplore-t-il. 

"Un repas à 12 ou 13 euros, c'est un plat, une entrée, un dessert. C'est à peu près le prix d'un paquet de cigarettes, mais les gens ne veulent pas payer plus."

Alain Bretelle, restaurateur-hôtelier à Hossegor

à franceinfo

Son homologue, le président départemental de l'Umih en Vendée, Tarek Tarrouche, qui a trois restaurants à La Roche-sur-Yon, juge, lui aussi, qu'il y a des "prix psychologiques" à ne pas franchir. "On ne peut pas vendre une cuisse de poulet à 20 euros ! Un poulet-frites, ça ne peut pas être à plus de 9 euros, surtout en Vendée, avec une clientèle qui vient beaucoup en camping-car ou en mobil-home", s'exclame-t-il.  

Des produits plus chers et des cartes rajeunies

Mais dans certains établissements, les prix pourraient bien avoir été revus légèrement à la hausse. Non sans raison. "Après chaque fermeture prolongée, il y a une revue des cartes. Et puis, un changement de concept peut aussi permettre de changer les prix incognito", admet Hubert de Faletans, restaurateur à Blagnac (Haute-Garonne) et représentant départemental de l'Umih, interviewé par France Bleu. A La Roche-sur-Yon, Tarek Tarrouche reconnaît avoir "aménagé quelques prix liés au changement de carte".

"Avant, je servais de l'aiguillette de canard, maintenant c'est du magret."

Tarek Tarrouche, restaurateur à La Roche-sur-Yon

à franceinfo

Le restaurateur estime aussi qu'il faut s'attendre à "un aménagement des prix en raison de la hausse des prix des matières premières". Tarek Tarrouche cite notamment "la viande", pour laquelle il craint "une demande très importante" avant l'été, de la part des restaurants qui viennent de rouvrir, après plusieurs mois à l'arrêt. Certains de ses menus pourraient coûter "un euro" de plus, car la qualité se paie, souligne-t-il : "Sur la carte, vous mettez 'entrecôte', mais entre une entrecôte de vache laitière et une entrecôte de race à viande charolaise ou même de salers, ce n'est pas le même prix ! Après, le client va dire : 'L'entrecôte a augmenté' !" Et d'ajouter : "Il faut bien avoir une marge constante pour payer son personnel !"

La pénurie de personnel pèse sur le chiffre d'affaires

Car pour fixer les prix sur leurs menus, les restaurateurs doivent évidemment intégrer dans leurs calculs le coût de leur personnel, mais la crise du Covid a rendu l'équation plus complexe. Les patrons de restaurants sont aujourd'hui confrontés à un manque criant de personnel, lequel a parfois choisi, pendant le confinement, de se reconvertir dans un métier moins chronophage et moins contraignant. Dans son portrait statistique des métiers, la direction des études du ministère du Travail rappelle que dans l'hôtellerie-restauration, 72% des employés et agents de maîtrise travaillent le samedi, 55% le dimanche, et 19% de nuit, pour un salaire net médian à temps complet qui s'élevait à 1 400 euros par mois en 2017-2019. 

Ces difficultés de recrutement rendent plus difficile encore une solution qui permet au restaurateur d'arrondir son chiffre d'affaires sans monter ses prix : "retravailler le volume", comme le résume sobrement Alain Bretelle. En clair : servir davantage de clients. Ce qui devrait être d'autant plus facile, sur le papier, que la saison s'annonce belle sur le littoral. "Dans les Landes, on pense être à plein à 90% entre le 10 juillet et la fin août", remarque-t-il. Mais le manque récurrent de serveurs ou de cuisiniers, "de plus en plus marqué tous les ans", aura, selon lui, des conséquences sur les recettes des établissements.

"Avec le beau temps, sur Hossegor, nous avons eu une affluence digne du mois d'août ces derniers week-ends. Et pourtant, il y avait des établissements fermés, avec des gens qui n'ont pas trouvé d'endroits où se restaurer. Pourquoi ? Parce qu'il y a un gros, gros problème de recrutement."

Alain Bretelle, président de l'Umih dans les Landes

à franceinfo

Un problème auquel il est, selon le président de l'Umih dans les Landes, difficile de remédier au pied levé : "On nous parle de la formation, mais un chef cuisinier, on ne peut pas le former en trois mois !" "Beaucoup de nos adhérents de l'Umih dans les Landes seront obligés de sacrifier leur chiffre d'affaires parce qu'ils n'auront pas assez de personnel, prévient le restaurateur. Il sera difficile de compenser en augmentant les prix des plats. Dans un environnement très concurrentiel, les clients font leur choix."

Un quart des Français prêts à "se rattraper"

Cette pression des clients sur les prix est confirmée par Pascale Hébel, directrice du pôle consommation du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc). "Les Français ont de gros problèmes de pouvoir d'achat, et beaucoup de gens n'ont pas envie de dépenser, déclare-t-elle, en rappelant, chiffres à l'appui, que la crise économique liée à la crise sanitaire a frappé une partie de la population. "Selon une enquête du Crédoc sur les tendances de consommation en février 2021, 30% des Français ont peur d'avoir une baisse des revenus, et 20% des actifs ont peur de perdre leur emploi", affirme-t-elle

A l'inverse, il existe aussi une fraction aisée de la population qui a mis de l'argent de côté pendant les confinements et entend désormais le dépenser. "Un quart des Français", selon Pascale Hébel, veulent se rattraper après les restrictions. Une partie se trouve dans la capitale, "avec des clients de cafés et de restaurants plutôt aisés, qui peuvent être prêts à payer plus cher", or "ce n'est pas le cas en province"

Difficile, donc, de savoir comment vont évoluer des prix tiraillés entre des exigences contradictoires. Et il est encore trop tôt pour que l'Insee tranche, avec la comparaison sur un an de la hausse des prix dans le secteur de la restauration. 

"Ce n'est qu'avec la parution de l'indice du mois de juin, à la mi-juillet, que nous aurons une estimation de l'évolution des prix dans ce secteur, fondée sur des observations sur le terrain."

L'Insee

à franceinfo

"Les cafés et restaurants ont rouvert leurs terrasses le 19 mai, mais les enquêteurs de l'Insee n'ont pu s'y rendre qu'à compter de la reprise des relevés terrain le 31 mai (suspendus auparavant en raison de la crise sanitaire)", explique l'institut à franceinfo. L'Insee estime même qu'il faudra attendre mi-août pour disposer d'indicateurs "robustes".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.