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Covid-19 : le couvre-feu, une mesure prise "dans l'urgence, sans véritablement avoir été préparée", critique un chercheur de Sciences Po

Les "leçons" de la première vague n'ont pas toutes été retenues, déplore-t-il. Il dénonce ce "réflexe en France" de créer une organisation qui va être "chargée de régler un problème de coordination", mais qui, de fait, "ne va faire que compliquer encore le paysage institutionnel".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
La rue du maréchal de Lattre de Tassigny à Amiens vide à la nuit tombée, pendant le confinement au printemps 2020. (MARC BERTRAND / RADIOFRANCE)

Alors que 54 départements viennent de passer sous couvre-feu, pour tenter d'endiguer la pandémie de Covid-19, la mesure a été prise "dans l'urgence", estime sur franceinfo Olivier Borraz, directeur de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po Paris. Le co-auteur de Covid-19, une crise organisationnelle estime que "toutes les leçons" de la première vague n'ont pas été retenues.

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franceinfo : Cette annonce du couvre-feu ressemble-t-elle à l'annonce du confinement au mois de mars ?

Olivier Borraz : Elle ressemble à plusieurs titres. D'abord, c'est une décision qui est prise comme au mois de mars, dans l'urgence, sans véritablement avoir été préparée ou anticipée en amont. C'est une mesure qui ne figure, comme le confinement, dans aucun plan de gestion de crise, notamment dans le plan pandémie grippale, les plans dédiés à ce type d'événement ne prévoient ni le confinement ni le couvre-feu. Et puis, enfin, ce sont des mesures qui ne s'appuient sur aucune base de connaissance suffisamment établie pour permettre d'anticiper à la fois les résultats attendus en termes de ralentissement du virus, mais aussi des résultats inattendus en termes de retombées économiques, sociales ou encore sanitaires.

Que ces mesures soient pris dans l'urgence, n'y a t'il pas une forme de logique ?

Dans les deux cas, on a des signaux d'alerte qui remontent assez loin. Pour la décision du mois de mars, on a des signaux d'alerte dès le mois de janvier qui auraient pu tout à fait justifier que l'on active le plan pandémie grippale et que l'on commence à prendre des mesures. Le premier cas en Europe est en France, le premier décès en Europe est en France. De la même manière, la décision de couvre-feu a été prise dans l'urgence, alors que depuis le mois de juillet, on commençait à voir des chiffres qui remontaient, et un certain nombre d'experts alertaient sur l'arrivée d'une deuxième vague.

Dans ce que vous écrivez, on a l'impression qu'aucune leçon n'a été tirée de ce qu'il s'est passé au mois de mars ?

Dans l'ouvrage, nous tirions ce constat de l'étude de précédentes crises dont peu de leçons avaient été tirées pour se préparer à celle-ci. Et là, on se dit qu'entre le mois de mars et le mois de mai, on a quand même connu une expérience grandeur nature assez unique, dont on aurait pu tirer de nombreuses leçons, que ce soit au niveau de l'État, ou au niveau des hôpitaux. En réalité, on en a tiré assez peu. Dans les hôpitaux on a tiré des leçons au niveau du traitement des cas, mais à titre d'exemple, on n'a pas fait beaucoup de progrès dans la manière de mieux associer la médecine de ville ou les cliniques privées à la prise en charge de cette pathologie, alors qu'on a bien vu qu'en mars, cela aurait pu être effectivement une solution. Quand le président de la République annonce le couvre-feu, il annonce aussi que ses services ont 48 heures pour mettre en œuvre cette mesure, ce qui montre bien qu'elle n'avait pas été planifiée et anticipée à l'avance. On ne semble pas avoir tiré toutes les leçons de la gestion de la crise en mars et mai.

Vous dites également qu'on a une culture qui accorde beaucoup de confiance aux structures et institutions, au point d'en créer de nouvelles en temps de crise, comme le conseil scientifique, ce qui nous priverait de l'expertise des structures existantes.

Devant un problème de coordination, le réflexe en France est de créer une organisation qui va être chargée de régler ce problème de coordination, mais qui, de fait, ne va faire que compliquer encore le paysage institutionnel. Par ailleurs, en n'associant pas les institutions qui avaient été prévues pour cela ou qui existaient, on se prive du même coup des connaissances dont disposent ces organisations et de données qui pourraient être utiles pour les décisions.

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