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Covid-19 : cinq conseils pour tenir le coup mentalement face à une crise sanitaire dont on peine à voir le bout

La crise sanitaire dure et la santé mentale des Français en pâtit. Après plus d'une annnée d'épidémie, des psychologues expliquent comment mieux appréhender cette longue période d'incertitude et d'usure.

Article rédigé par franceinfo, Alice Galopin
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un homme regarde dehors derrière une fenêtre de son logement, à Cassagne (Haute-Garonne), le 8 février 2021. (LILIAN CAZABET / HANS LUCAS / AFP)

"Il faudra dans les semaines à venir continuer à tenir." Alors qu'Emmanuel Macron a laissé entrevoir une lumière au bout du tunnel des restrictions sanitaires en annonçant, vendredi 30 avril, son calendrier de déconfinement, le chef de l'Etat a également enjoint les Français à encore "résister""Il faudra jusqu'à cet été (...) continuer à accepter (...) quelques restrictions pour ralentir" l'épidémie de Covid-19, a déclaré le président de la République dans un message vidéo.

Mais comment garder le cap après ces mois marqués notamment par plusieurs confinements et l'instauration du couvre-feu ? Car si la crise sanitaire s'installe dans la durée, il en va de même pour ses conséquences psychologiques. La santé mentale des Français "reste dégradée, avec une prévalence élevée des états anxieux, dépressifs, des problèmes de sommeil et des pensées suicidaires", conclut le dernier bilan de l'enquête CoviPrev de Santé publique France, dont les résultats ont été mis en ligne début avril. A la mi-mars, 21% des personnes interrogées déclaraient souffrir d'un état anxieux, contre environ 13,5% en période hors épidémie. Pour tenter de mieux appréhender cette période encore pleine de doutes, franceinfo a recueilli les conseils de psychologues.

1Face à l'incertitude, essayer de s'ancrer davantage dans le présent...

Notre santé mentale est d'abord particulièrement éprouvée par l'incertitude, constate Abdel Halim Boudoukha, psychologue clinicien et professeur à l'université de Nantes. Quand pourrons-nous véritablement retrouver une vie normale ? Faut-il craindre une nouvelle vague ? Quelles seront les répercussions économiques de cette crise ? Autant d'interrogations qui donnent à chacun "l'impression d'avoir un moindre contrôle sur la vie", analyse le spécialiste. "L'humain n'aime pas l'incertitude", tranche Charlotte Jacquemot, chercheuse en neuropsychologie interventionnelle à l'Inserm. 

"Les humains, dans leur majorité, ont besoin d'avoir un contrôle relatif sur ce qu'il va se passer. Or là, on a perdu tous nos repères."

Charlotte Jacquemot, chercheuse en neuropsychologie interventionnelle

à franceinfo

Mais alors, comment tempérer les conséquences psychologiques liées à cette incertitude ? Puisque nous n'avons pas prise sur les événements, "si on commence à s'inquiéter sur l'avenir, l'anxiété ne fera que grandir ", expose Stéphany Orain-Pelissolo, psychologue-psychothérapeute. La spécialiste, à l'initiative de la plateforme de soutien Covid-Ecoute, estime qu'il faut donc apprendre à vivre dans l'instant présent. Un exercice loin d'être instinctif, concède-t-elle : "Depuis qu'on est tout petit, on nous apprend à prévoir et à programmer."

Pour y parvenir, Abdel Halim Boudoukha conseille de développer la "savouration", cette capacité à "vivre pleinement les petits moments agréables du quotidien". "Il ne s'agit pas de l'instant carte postale, comme de regarder un coucher de soleil aux Bahamas, prévient le psychologue. Simplement d'apprécier une promenade ou prendre quelques minutes pour respirer à la fenêtre." Pour s'entraîner à repérer ces instants positifs, Charlotte Jacquemot recommande de les lister en fin de journée, comme dans un carnet de gratitude"Il faut essayer de retenir un peu de positif du moment présent. Parce qu'on n'a pas les clés du futur, mais on a celles du présent", étaye la chercheuse en neuropsychologie. 

2... et développer des activités pour reprendre un sentiment de contrôle

Les spécialistes appellent, entre autres, à développer des stratégies dites de "coping" ou d'ajustement, c'est-à-dire d'adaptation aux situations génératrices de stress. Des techniques qui peuvent notamment participer à redonner une sensation de contrôle.

Cuisine, musique, dessin... Charlotte Jacquemot suggère par exemple de se lancer "progressivement" dans une activité en se fixant de "petits challenges" "Ça peut être une activité artistique qu'on n'a jamais pris le temps de commencer et sur laquelle on décide de passer une heure aujourd'hui." Le fait d'accomplir cette tâche procurera de la gratification, une sensation de maîtrise des événements, et réduira l'anxiété. Inutile cependant de tenter d'apprendre à parler japonais en trois semaines, prévient-elle : si l'objectif est trop difficile à atteindre, l'opération sera contre-productive et créera de l'énervement.

3S'offrir des "sas de décompression"

Au-delà de l'incertitude qu'elle induit, cette "crise prolongée" est également source d'usure et de "fatigue pandémique", met en garde l'Organisation mondiale de la santé (lien en anglais). Ce terme, apparu à la fin de l'année 2020, désigne "une détresse psychologique, des stress chroniques et prolongés face à la crise sanitaire et à la limitation des mouvements et des libertés", résume Abdel Halim Boudoukha. 

Ce phénomène de lassitude se traduit par une "baisse de motivation à se protéger en dépit d'un risque constant", ajoute Jocelyn Raude. Associé à l'étude de Santé publique France, cet enseignant-chercheur en psychologie sociale constate au fil des vagues d'enquête CoviPrev un "relâchement sur les règles d'hygiène" et plus particulièrement sur les "comportements sociaux".

Une tendance que remarque également Stéphany Orain-Pelissolo dans son cabinet, où la "peur" du virus, observée au début de l'épidémie, a laissé place depuis quelques mois à la "colère" et la "frustration". Une situation durable d'autant plus difficile à gérer que les "activités ressources" (faire la fête entre amis, prévoir un voyage…), qui d'ordinaire nous permettent de tenir, ont pour l'essentiel disparu, explique la psychologue.

"Un an plus tard, les patients ont un sentiment de 'tout ça pour ça'."

Stéphany Orain-Pelissolo, psychologue-psychothérapeute

à franceinfo

Stéphany Orain-Pelissolo appelle toutefois à se ménager autant que possible des petits "sas de décompression". Un simple week-end en comité restreint, dans le respect des règles sanitaires, permet de recréer du lien social et de partager ses émotions. "Et même si c'est pour se dire qu'on en a tous marre, ça nous montre qu'on n'est pas seuls dans cette mésaventure", sourit la thérapeute. Sans compter que la fin des limitations de déplacements et la réouverture prochaine des terrasses et des lieux culturels vont permettre d'élargir les "stratégies de reprise de contrôle", souligne Abdel Halim Boudoukha.

De manière générale, il faut tâcher "de garder des habitudes et des petites routines", complète Charlotte Jacquemot, pour "avancer dans un cadre rassurant et réduire l'anxiété". Même en télétravail, pas question de répondre à des e-mails professionnels à 23 heures, expose la chercheuse en neuropsychologie. "C'est une règle difficile à tenir sur la durée, mais c'est important pour ne pas créer un mélange des genres" entre travail et vie privée.

4S'informer pour mieux comprendre

L'information est un facteur clé pour dompter le stress, estime par ailleurs Charlotte Jacquemot, membre du collectif scientifique Adios Corona, à l'origine d'une plateforme d'informations grand public sur l'avancée des connaissances sur le virus.

"Lorsqu'on comprend mieux une situation, et les mesures qui sont prises pour y faire face, ça contribue à diminuer le stress et l'incertitude."

Charlotte Jacquemot, chercheuse en neuropsychologie interventionnelle

à franceinfo

L'OMS conseille d'ailleurs aux gouvernements de faire preuve de clarté et de transparence dans la prise de décisions et la communication, en posant des objectifs mesurables pour introduire une dimension prévisible malgré l'incertitude. 

Gare cependant à ne pas non plus "surdoser le niveau d'informations", poursuit Charlotte Jacquemot. Pour la chercheuse, il faut ainsi éviter de garder les yeux rivés sur les chaînes d'information en continu. "C'est important d'être informé, mais quand c'est en boucle c'est pesant", renchérit Stéphany Orain-Pelissolo. La psychologue incite à s'informer sur l'évolution de la situation sanitaire une seule fois par semaine, par exemple en consultant un article récapitulatif après une conférence de presse du gouvernement pour être au fait des nouvelles mesures. Le reste du temps, elle conseille plutôt de regarder des contenus divertissants comme des films ou des concerts.

5Ne pas hésiter à consulter un psychologue

Enfin, "pour tenir mentalement", le plus important reste de "ne pas culpabiliser de se sentir mal", poursuit Charlotte Jacquemot, qui appelle à consulter en cas de besoin. "Plus la prise en charge d'un mal-être est précoce, plus elle sera efficace", avance la chercheuse en neuropsychologie. Quelques séances avec un psychologue peuvent suffire, complète Stéphany Orain-Pelissolo. L'apparition de troubles du sommeil, des modifications de l'appétit ou encore une perte d'envie et de motivation sont des premiers signes qui peuvent inciter à prendre rendez-vous auprès d'un professionnel.

"Il ne faut pas attendre d'être dans un état de prostration pour consulter."

Abdel Halim Boudoukha, psychologue clinicien

à franceinfo

Dans un premier temps, il est possible de s'adresser à son médecin traitant, qui pourra si nécessaire orienter le patient vers un spécialiste, ajoute Abdel Halim Boudoukha. De son côté, Charlotte Jacquemot appelle à "dédiaboliser les troubles de la santé mentale". "Quand on a la grippe, on va voir un médecin, quand on se sent anxieux, on peut aller voir un psychologue ou un psychiatre", résume la chercheuse.

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