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Coronavirus : pourquoi la dernière étude du professeur Raoult est dans le viseur de l'Agence de sécurité du médicament

L'Agence demande aux auteurs de l'étude de prouver que leur recherche est observationnelle, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas intervenus dans le traitement des patients.

Article rédigé par franceinfo
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Illustration d'une boîte de Plaquénil, dont le principe actif est l'hydroxychloroquine. (ROMAIN LONGIERAS / HANS LUCAS/ AFP)

Après la méthodologie, c'est au tour de la légalité d'une étude du professeur Didier Raoult sur l'hydroxychloroquine d'être questionnée. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a demandé au médecin et à son équipe de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille de prouver le "caractère observationnel" de leur dernière étude publiée, rapporte le média spécialisé APM News, lundi 20 avril.

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La loi Jardé, qui encadre la recherche impliquant des humains, distingue en effet "étude observationnelle", "étude interventionnelle" et même "étude interventionnelle à risques et contraintes minimes". La première ne modifie pas la prise en charge habituelle d'un patient et ne comporte "aucun risque ni contrainte". A contrario, lors d'une recherche dite interventionnelle, "le chercheur ne fait pas qu'observer, il va imposer un protocole et délibérément modifier le cours normal de la relation thérapeutique entre le médecin et le patient", explique Bernard Bégaud, ancien président de la commission des essais cliniques à l'ANSM (1994-2008) et professeur de pharmacologie à l'Université de Bordeaux. 

Une intervention sans autorisation ?

Lors de sa première étude sur le sujet en mars, le professeur Didier Raoult et son équipe ont évalué l'hydroxychloroquine, avec ou sans azithromycine, un antibiotique, chez 26 patients infectés par le Sars-CoV-2. "Nous faisons la démonstration que la combinaison des deux traitements a un effet synergique qui inhibe totalement la réplication du virus", avait alors déclaré l'équipe de chercheurs. Selon eux, utilisés séparément, "l'hydroxychloroquine et l'antibiotique ont un effet faible ou nul sur la production virale". 

Six patients abandonnent le traitement en cours de route, et le professeur affirme à La Provence qu'"après six jours de traitement", "75% des patients sont guéris du virus". Comme les chercheurs ont mis en place un protocole spécial sur les patients, l'étude a été caractérisée d'interventionnelle, précise l'APM. Comme toutes les études interventionnelles, elle a reçu en amont l'autorisation de l'ANSM.

Dans une étude interventionnelle, les patients reçoivent un traitement spécialement pour une étude. Cela implique des questions d'assurance, de consentement...

Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie médicale

à franceinfo

Les scientifiques ont ensuite testé la même bithérapie sur 80 patients infectés par le Sars-CoV-2, puis dans leur dernière étude, sur 1 061 patients. Les chercheurs ont cette fois qualifié leur recherche d'observationnelle et précisé qu'ils avaient reçu l'aval du comité d'éthique de l'IHU.

En effet, une étude observationnelle, qui comporte moins de risque, n'a pas besoin de recevoir l'autorisation de l'ANSM, mais seulement de celle d'un comité de protection des personnes (CPP). Comment expliquer alors ce changement de caractérisation, alors que les tests sont a priori les mêmes, élargis à un plus grand nombre de patients ?

Des "nuances" dans les caractérisations

Interrogé à ce sujet par l'APM, le directeur général de l'ANSM, Dominique Martin, a fait savoir qu'il avait demandé des précisions au professeur Raoult "il y a une dizaine de jours", soit autour du 8 avril, afin de savoir si cette dernière étude pouvait bien être qualifiée d'observationnelle. Il a notamment questionné l'IHU sur les modalités de recrutement et les examens réalisés. A ce jour, l'institut marseillais n'a pas répondu à la demande l'ANSM.

Pour Bernard Bégaud, cette différence de caractérisation sur des études au protocole pourtant similaire peut s'expliquer par des nuances, qui peuvent être tolérées.

Entre de l’observationnel absolu où on ne touche à rien et de l’interventionnel pur, il y a 36 variantes.

Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie médicale

à franceinfo

"La première étude a pu être qualifiée d'interventionnelle, car il y avait une intervention dans la thérapie, même si ce n'était pas stricto sensu un essai clinique puisqu'il n'y a pas eu de tirage au sort", explique Bernard Bégaud. Ce point est en effet le plus contesté dans la méthodologie des études du professeur Raoult. Normalement, lors d'un essai clinique, les patients doivent être tirés au sort. "Le tirage au sort garantit que les deux groupes (groupe test et groupe témoin) sont absolument similaires, que les facteurs de risque sont répartis de façon égale", précise Bernard Bégaud. Or, dans les études du professeur Raoult, les patients testés sont choisis selon des critères "d'inclusion" non précisés.

Des risques de sanction

La mauvaise caractérisation d'une étude a-t-elle des conséquences ? "Je ne lui ferais pas de procès pour ça", répond Bernard Bégaud, rappelant que "tout médecin est libre de prescrire un médicament, même s'il n'est pas autorisé, même en dehors d'une étude, dès lors qu'il estime avoir de bonnes raisons de penser que c'est bien pour le malade qu'il soigne."

Sur son site internet, l'ANSM rappelle qu'une autorisation permet également de prévoir un contrôle tout au long de l'essai clinique, du respect des mesures de protection des personnes ou sur la qualité et la fiabilité des résultats. Si les chercheurs ne parviennent pas à prouver le caractère observationnel de cette seconde étude, l'IHU s'expose à des sanctions, y compris pénales.

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