Coronavirus : les enfants sont-ils moins vecteurs de la maladie qu'on ne le pensait ?
Alors que les établissements scolaires doivent rouvrir progressivement en France à partir du 11 mai, franceinfo fait le point sur ce que dit la littérature scientifique à ce sujet.
La décision d'Emmanuel Macron, annoncée lundi 13 avril, de privilégier la réouverture progressive des établissements scolaires, à partir du 11 mai, à celle d’autres lieux accueillant du public (restaurants, bars, musées, festivals…) suscite beaucoup d’interrogations en France. "Nos enfants et nos plus jeunes, selon les scientifiques (...), sont celles et ceux qui propagent, semble-t-il, le plus rapidement le virus", avait déclaré le président un mois plus tôt, pour justifier la fermeture des écoles. Les scientifiques ont-ils changé d’avis entre-temps sur la question ? Elements de réponse.
Les enfants sont-ils autant touchés par le coronavirus que les adultes ?
Ce qui ressort des données disponibles, c’est que le nombre d’enfants et d’adolescents diagnostiqués comme étant atteints du Covid-19 après un test demeure très peu élevé dans le monde. En Chine, en Europe ou aux Etats-Unis, les moins de 20 ans représentent entre 1% et 2% des cas confirmés. En France, sur les 29 721 personnes hospitalisées, on compte 110 jeunes de moins de 15 ans, dont 32 en réanimation (sur 7 059), selon les chiffres de Santé publique France arrêtés au 7 avril. Les formes graves et les décès sont très rares. Les enfants "ne semblent pas être très malades ni en mourir", résume auprès de l’AFP Justin Lessler, épidémiologiste à l'université américaine Johns Hopkins.
Faut-il en déduire qu’ils attrapent moins le virus ? Cette question n’est pas tranchée, faute d’études et de données suffisantes. Nombre de spécialistes estiment toutefois que ce nouveau coronavirus entraîne davantage de formes asymptomatiques ou pauci("peu")-symptomatiques que d'autres virus de la même famille comme le SRAS, notamment chez les enfants et les adolescents. Même infectés, "les enfants vont bien et ne vont pas à l'hôpital, donc ils ne sont pas testés", assure Sharon Nachman, professeur à l'école de médecine Renaissance de l'hôpital pour enfants Stony Brooks, près de New York.
Les chiffres des hôpitaux ne sont donc peut-être que la partie émergée de l’iceberg, comme dans nombre d’épidémies. Une étude (en anglais) pré-publiée début mars sans passer par le processus habituel de revue par d'autres scientifiques, établit ainsi que les jeunes sont "tout aussi susceptibles d'être infectés que les adultes". Ces travaux portent sur la situation à Shenzhen (Chine) entre janvier et février et ont le mérite de se pencher sur des cas en dehors du milieu hospitalier. Sur 1 286 personnes en contact avec des malades, les chercheurs observent un taux d’infection similaire chez les moins de 19 ans à celui du reste de la population.
Ce n’est pas ce qu’ont constaté certains médecins français. Selon un observatoire du Groupe de pathologies infectieuses pédiatriques (GPIP), dirigé par le pédiatre infectiologue Robert Cohen, les tests PCR (naso-pharyngés) pratiqués sur des enfants qui viennent consulter aux urgences pour des symptômes de Covid-19 reviennent "3 à 5 fois moins positifs" que ceux des adultes. Ces données, qui portent sur "des centaines de prélèvements", selon le professeur, n’ont pas encore fait l’objet d’une publication. Une campagne de tests menée en Islande, dont les résultats ont été publiés dans le New England Journal of Medicine (en anglais) mardi 14 avril, va dans le même sens et établit que les enfants de moins de 10 ans présentent deux fois moins de tests positifs que les personnes plus âgées.
Que sait-on de leur contagiosité ?
Pas grand-chose justement, c’est bien le problème. L’hypothèse de départ, comme l’écrit la Société française de pédiatrie sur son site, est que les enfants, "sous-diagnostiqués du fait de tableaux peu symptomatiques", "pourraient transmettre la maladie même s'ils sont peu malades". En Israël, près d'un tiers des enfants de moins de 9 ans infectés par le coronavirus sont asymptomatiques ou "porteurs sains", selon une étude (en hébreu) des cas confirmés par âge, publiée par le ministère israélien de la Santé et relayée par la presse. Pour le professeur Sigal Sadetsky, chef du service de santé publique au ministère israélien de la Santé, "les données montrent que les enfants propagent la maladie sans même que l'on puisse s'apercevoir qu'ils sont infectés".
La plupart des pays ont donc procédé comme avec la grippe, virus bien connu et documenté, pour lequel la fermeture des écoles a montré son efficacité en cassant les chaînes de transmission. De fait, l’épidémie de grippe recule pendant les vacances scolaires. "L’argument initial sur les enfants, c’était que ce coronavirus se comportait un peu comme une grippe. Et on sait que les enfants sont de forts transmetteurs de ce genre de virus respiratoires. On s’aperçoit maintenant que ce coronavirus ne se comporte pas exactement de la même façon", analyse sur franceinfo l'épidémiologiste Pascal Crépey.
Quelques études viennent en effet contredire ce postulat de départ. Des travaux menés par les universités de Fribourg (Suisse) et Melbourne (Australie), publiés en mars dans la revue The Pediatric Infectious Disease Journal (en anglais), soulignent que "l’importance des enfants dans la transmission du virus reste incertaine". A partir de trois études menées en Chine sur des cas pédiatriques, les chercheurs observent que la majorité des enfants infectés étaient en contact avec un membre de leur famille qui a présenté des symptômes du coronavirus avant eux. Une tendance confirmée par l’observation menée dans les services d’urgences en France. "Huit fois sur 10, il y a un contaminateur dans la famille malade avant eux", indique le pédiatre infectiologue Robert Cohen à franceinfo.
Les adultes seraient-ils finalement davantage vecteurs du virus ? Une autre étude tend à accréditer cette hypothèse. Dirigée par des chercheurs de Santé publique France et publiée le 11 avril dans la revue Clinical Infection Diseases (en anglais), elle se penche sur le cluster français en Haute-Savoie en février, parti d’un chalet de touristes britanniques. On y apprend deux choses : un enfant de 9 ans, symptomatique et testé positif, a fréquenté trois écoles et une classe de ski, sans contaminer personne. Dans ce même groupe, un adulte asymptomatique présentait en revanche une charge virale similaire à celle d’un patient symptomatique.
Le fait qu'un enfant infecté n'ait pas transmis la maladie malgré des interactions étroites au sein des écoles suggère une dynamique de transmission potentiellement différente chez les enfants.
Les auteurs d'une étude françaisepubliée dans "Clinical Infection Diseases"
Est-ce risqué de rouvrir les écoles à partir du 11 mai ?
Après avoir lu les réponses précédentes, vous vous posez sans doute toujours la question : a-t-on suffisamment d’éléments de réponse pour rouvrir sans crainte les écoles à partir du 11 mai ? D’ici un petit mois, la communauté scientifique mondiale, qui planche nuit et jour sur ce nouveau virus, devrait nous permettre d’en savoir un peu plus.
En France, une étude a déjà été lancée mardi 14 avril par l’équipe du professeur Robert Cohen. Baptisée "Coville", elle porte sur 600 enfants venus consulter dans des cabinets pédiatriques d'Ile-de-France. Ils seront divisés en deux groupes : 300 enfants présentant des signes cliniques compatibles avec une infection au Covid-19 et 300 enfants sans aucun symptôme, venant pour des vaccinations ou des problèmes non infectieux. Objectif : évaluer, à partir de tests PCR et sérologiques, combien sont porteurs de la maladie. Les résultats seront connus dans un à deux mois.
Si le taux de portage [du virus] est bas, cela confirmera qu'à ce moment-là de l'épidémie, les enfants ne jouent pas un rôle majeur dans la transmission.
Robert Cohen, pédiatre infectiologue
sur franceinfo
Si cette étude doit permettre de donner une photographie à un instant T de l’épidémie, elle ne répondra pas à un certain nombre d’interrogations, dont l’épineuse question de l’immunité : "Chez ces patients porteurs sains, combien de temps dure le portage du virus dans le nez, la salive, les selles ? Est-ce que l’enfant s’immunise immédiatement ou est-ce qu’il reste porteur longtemps à bas bruit, en s’immunisant de façon tardive ?" liste Isabelle Sermet-Gaudelus, pneumopédiatre à l’hôpital Necker à Paris, invitant à la plus grande prudence. "On a l’impression que cette maladie fait sauter tous les verrous qu’on avait avant", abonde Agnès Delaunay-Moisan, chercheuse au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui collabore avec l’Institut Pasteur sur la validation des tests pour le Covid-19.
Les deux femmes travaillent à une étude à plus long terme au sein des hôpitaux de Paris, qui prévoit de tester 1 000 enfants venus consulter pour tous types de motifs et un de leurs parents. Soit 2 000 personnes. "En analysant les anticorps, on saura qui a contaminé qui. On pourrait avoir des retours assez rapides", analyse leur collègue Simon Fillatreau, professeur d’immunologie à Necker. Les cas positifs seront suivis pendant un an. Problème : l’étude est encore en attente de financements publics avant de pouvoir être lancée.
Malgré ces inconnues, la décision de rouvrir les classes avant l’été ne provoque pas de levée de boucliers parmi les spécialistes que nous avons interrogés.
Les enfants font moins de formes sévères, les remettre en collectivité n’est pas plus dramatique que ça. Il faut que la population commence à s’immuniser.
Isabelle Sermet-Gaudelus, pneumopédiatre à l'hôpital Neckerà franceinfo
"C’est assez cohérent. C’est la population la moins à risque, il va falloir qu’ils s’immunisent pour protéger les plus fragiles", confirme Pierre Parneix, responsable du Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins de Nouvelle-Aquitaine. Selon le ministre de la Santé, Olivier Véran, 10% de la population française seulement serait immunisée. On estime à 60% le taux nécessaire pour atteindre l’immunité collective. Mais alors pourquoi les avoir confinés pendant deux mois ? "Même si on pense que les enfants ne sont pas de grands contaminateurs, les arrivées et les sorties d'écoles sont des moments de rencontres entre adultes. C'est peut-être ça qui joue un rôle dans l'épidémie, bien plus que les enfants eux-mêmes", analyse Robert Cohen.
La période de confinement a ainsi permis d'éviter une saturation rapide des services de réanimation et d'absorber la première vague. "L’hôpital sera mieux armé si une deuxième vague se présente" à l'automne, souligne l'immunologue Simon Fillatreau. Commencer par déconfiner les enfants et contrôler la circulation du virus à ce moment-là est un choix qui me paraît raisonnable."
"Je comprends très bien les craintes que suscitent les réouvertures d’écoles. On en apprend tous les jours et les choses qu’on croit savoir à l’intant T peuvent encore changer à l’instant T+1. Il faut être précautionneux et continuer la recherche", ajoute de son côté l'épidémiologiste Pascal Crépey. Maintenir les écoles fermées aurait pu aussi pousser des parents à confier leurs enfants aux grands-parents, un groupe beaucoup plus à risque.
Comme le souligne Robert Cohen, une reprise progressive avant l’été permettra d’expérimenter à plus petite échelle la mise en place de gestes barrières à l’école : "Cela n’aurait pas été moins dangereux en septembre avec une rentrée massive. Il va falloir changer nos habitudes d’ici là."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.