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Coronavirus : le confinement risque-t-il de provoquer un crash général d'internet ?

Les professionnels du secteur assurent que le réseau peut encaisser l'augmentation du trafic. Mais le prolongement du confinement comme les fermetures des frontières pourraient compliquer sa maintenance.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un supercalculateur à Hambourg (Allemagne), le 21 mai 2019. (FELIX KOENIG / DPA / AFP)

Des télétravailleurs qui enchaînent les réunions en visioconférence sur Zoom. Des élèves qui étudient sur les plateformes d'enseignement à distance. Des confinés qui tuent le temps en regardant des séries sur Netflix, en se distrayant avec des jeux vidéo en ligne, prennent des nouvelles de leurs proches via des appels vidéo sur WhatsApp et trinquent virtuellement autour d'un apéro par Skype.

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Après une semaine de confinement, les Français ont déjà pris de nouvelles habitudes. Mais cette vie encore plus connectée que d'ordinaire en pleine épidémie de coronavirus ne risque-t-elle pas de provoquer une saturation du réseau internet ? La question se pose, alors que les opérateurs français comme les responsables politiques hexagonaux et européens appellent à une consommation plus mesurée de la bande passante.

"La consommation de Netflix a augmenté de 100%"

Depuis le début du confinement, "tous les opérateurs des réseaux de télécommunication constatent la même tendance", indique à franceinfo Arthur Dreyfuss, président de la Fédération française des télécoms. Sur une semaine, "la consommation de Netflix a augmenté de 100%". Celle des plateformes de télétravail et de visioconférence a été multipliée par 2, 3 ou 4, selon les opérateurs, chiffre-t-il. Quant à l'utilisation de WhatsApp, elle a été 3 à 7 fois plus importante, selon les acteurs.

Pendant leur confinement, les Français ne sont pas seulement plus souvent connectés à internet, ils le sont tout le temps. "On observe toute l'année une augmentation du trafic entre 18 heures et 21 heures. On connaît aussi des pics de trafic certains soirs, lors du Nouvel An ou des grands événements sportifs, expose Arthur Dreyfuss. Là, on a une consommation continue, toute la journée, beaucoup plus importante que d'habitude." 

Globalement, le réseau est extrêmement sollicité, comme si l'on mettait le trafic d'une autoroute sur une nationale.

Sébastien Soriano, président de l'Arcep

sur France Inter

"Chaque jour, on voit le volume de data que supportent les réseaux croître, et on ne sait pas où ça va s'arrêter. Donc on continue à augmenter les capacités, à puiser dans les réserves mais celles-ci ne sont pas infinies", prévient Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux, infrastructures et services internationaux d'Orange, interrogé par Sciences et Avenir. Il exclut cependant toute "panne d'internet à court ou moyen terme". 

Menace de "prioriser" les usages

Même s'il juge le réseau "extrêmement solide", le président de la Fédération française des télécoms fait planer la menace d'une mesure radicale. "Si le confinement devait durer et si on avait dans quelques semaines un risque de saturation du réseau, on se donnerait les moyens de 'prioriser' pour répondre aux besoins essentiels du pays", prévient Arthur Dreyfuss.

La priorité serait alors donnée au télétravail et à l'enseignement à distance dans la journée, plus qu'aux divertissements. Même si cela met à mal la neutralité du net, qui garantit à chaque utilisateur le même traitement, brider le débit pour certains usages est une mesure d'exception prévue par le règlement européen sur l'internet, rappelle l'Arcep, contactée par franceinfo. Pour ne pas en arriver là, Arthur Dreyfuss appelle les utilisateurs à faire preuve de "responsabilité numérique" et leur donne des conseils simples qui permettent d'optimiser son utilisation du réseau.

Le commissaire européen au Marché intérieur, le Français Thierry Breton, a lui mis la pression sur les géants américains, afin qu'ils baissent la qualité de leurs vidéos et réduisent ainsi leur utilisation de la bande passante. Face à ce front uni du politique, du régulateur et des opérateurs pour une maîtrise de la consommation, Netflix, YouTube, Facebook, Instagram et Amazon Prime, entre autres, ont obtempéré et bridé temporairement le débit standard de leurs vidéos. Et Disney+ a reporté son lancement en France.

"Un discours alarmiste qui cache d'autres intérêts"

Nicolas Guillaume, dirigeant de l'opérateur Netalis et secrétaire général de l’Association des opérateurs télécoms alternatifs (Aota), dénonce "un discours alarmiste qui cache d'autres intérêts" économique et politique, comme il le développe sur son profil Linkedin"Certaines personnes profitent de l'occasion pour faire avancer leurs idées sur la neutralité du net et leurs tentations protectionnistes", abonde Stéphane Bortzmeyer, ingénieur spécialiste des réseaux informatiques, joint par franceinfo.

L'argument du risque de saturation du réseau renvoie à "un débat qu'on a depuis plus de dix ans à propos de qui paie le réseau", souligne Nicolas Guillaume. Netflix, Amazon Prime ou Disney+ sont des services "over the top", qui s'ajoutent aux box des fournisseurs d'accès à internet sans leur rapporter ni revenu ni abonné, tout en consommant de la bande passante.

Tous les réseaux sont dimensionnés pour fonctionner avec une réserve de sécurité.

Nicolas Guillaume

à franceinfo

"Sur le réseau mobile, il n'y a pas de débat : il y a congestion", reconnaît Nicolas Guillaume. Si trop d'abonnés confinés chez eux utilisent le réseau 3G ou 4G, ils se connecteront tous aux mêmes antennes-relais et satureront le réseau. Le phénomène est bien connu des habitués du Stade de France qui ne parviennent pas à publier une photo ou une vidéo sur les réseaux sociaux pour cette même raison.

D'ailleurs, "aux premiers jours du confinement, les Français ont appelé deux à trois fois plus. Cela a provoqué des difficultés sur le réseau mobile avec le trafic voix, notamment au niveau de l'interconnexion. Le client d'un opérateur A appelait le client d'un opérateur B et cela fonctionnait mal", confirme Arthur Dreyfuss. 

Sur le réseau fixe en revanche, "il n'y a pas de problèmes opérationnels pour l'instant", tranche Stéphane Bortzmeyer. Néanmoins, "un problème pourrait se poser à moyen terme, estime l'expert, quand il faudra accéder à certains équipements pour faire des mises à jour ou pour les réparer." Déjà, "certains data centers ont limité les accès". En outre, "il pourrait aussi y avoir un problème d'approvisionnement, les pièces détachées provenant principalement de Chine." 

"Il y a eu un certain nombre de cas de techniciens qui intervenaient dans une entreprise ou qui allaient faire des travaux dans une rue d'une commune et qui ont essuyé des refus de la part des forces de l'ordre", pointe Arthur Dreyfuss, ajoutant que les autorités ont été sensibilisées au problème.

Les frontières fermées pourraient compliquer la tâche

Le confinement mais aussi la fermeture des frontières pourraient devenir des obstacles de taille. Le dirigeant d'Orange, Jean-Luc Vuillemin, le confirme à Sciences et Avenir"C'est ce qui nous pose le plus de souci en ce moment : parvenir à réaliser les opérations nécessaires sur le terrain. C'est déjà devenu très compliqué avec les Etats-Unis qui ont fermé tous les accès au territoire et réservent les interventions techniques à leurs agents gouvernementaux. Un peu partout dans le monde, il va nous falloir trouver d'autres solutions, techniciens et moyens."

La maintenance des câbles sous-marins qui relient les continents entre eux préoccupe également le cadre d'Orange. "Sur les navires, nous sommes de moins en moins capables d'effectuer des roulements, car il n'y a presque plus de vols. Nous risquons vite d'avoir des équipages épuisés et de devoir compter sur du volontariat. Si les câbles n'étaient plus réparés, des zones entières risqueraient de ne plus avoir accès au réseau."

Stéphane Bortzmeyer se veut cependant rassurant. "Il y a peu de phénomènes globaux sur internet. Quand il y a une panne, elle concerne le réseau d'un opérateur ou les utilisateurs dans une certaine zone, ou un site web qui devient inaccessible parce que son serveur est tombé." C'est ce qui est arrivé aux plateformes d'enseignement à distance de l'Education nationale au début du confinement, quand trop d'enfants, de parents d'élèves et d'enseignants tentaient de s'y connecter en même temps.

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