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Coronavirus : la France est-elle le pays où la létalité est la plus élevée, comme l'affirment Didier Raoult et Christian Perronne ?

Les deux partisans de l'hydroxychloroquine disent vrai. Mais le taux de létalité, qui rapporte le nombre de morts au nombre de cas détectés, est loin d'être l'indicateur le plus pertinent.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un employé des pompes funèbres au travail, le 17 avril 2020, à Lyon, pendant l'épidémie de coronavirus. (ANTOINE MERLET / HANS LUCAS / AFP)

Sur le plateau de franceinfo, mercredi 17 juin au soir, Christian Perronne dénonce la gestion gouvernementale de la crise sanitaire provoquée par l'épidémie de coronavirus. Pour le chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), c'est "une catastrophe nationale". Il en veut pour preuve le taux de létalité du Covid-19, soit "le nombre de morts sur le nombre de cas". "La France est championne du monde [de la létalité], relève-t-il, juste après le Yémen (...) On accusait les Etats-Unis, mais les Etats-Unis ont 6% de létalité quand la France est à 19%." Et le médecin d'en conclure : "J'ai honte pour mon pays."

A l'inverse de la plupart de ses confrères, Christian Perronne défend le recours à l'hydroxychloroquine pour soigner les malades. Il soutient le principal promoteur de ce traitement en France, le directeur de l'IHU Méditerranée Infection de Marseille, Didier Raoult. Ce dernier a également utilisé l'argument du taux de létalité (le case fatality rate ou CFR en anglais). "La France est le pays où ce CFR est le plus élevé", pointe-t-il, le 22 juin, dans un tweet, accompagné d'un graphique consultable sur le site Our World in Data, piloté par des chercheurs de l'université britannique d'Oxford. Mais Christian Perronne et Didier Raoult disent-ils vrai ou "fake" ?

Christian Perronne et Didier Raoult disent vrai. D'après les données recueillies par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (en anglais), la France est bel et bien, derrière le Yémen, le pays du monde où le taux de létalité du virus est le plus élevé.

Avec 261 morts pour 992 cas, le Yémen affiche un taux de létalité record de 26,31%. La France est deuxième de ce classement avec 29 720 morts pour 161 267 cas, soit un taux de létalité de 18,43%. Viennent ensuite la Belgique à 15,97%, avec 9 713 morts pour 60 810 cas, et l'Italie à 14,5%, avec 34 675 morts pour 238 833 cas. Les Etats-Unis n'affichent eux qu'un taux de létalité de 5,17%, avec 121 228 morts pour 2 347 022 cas.

Toutefois, un problème se pose ici : tous les pays ne procèdent pas de la même manière quand il s'agit de recenser le nombre de morts dus au virus et le nombre de cas détectés.

Jusqu'à fin mars, la France n'a recensé que les morts du coronavirus survenues à l'hôpital, chaque hôpital transmettant ses informations à Santé publique France. A partir de début avril, les autorités sanitaires ont également pris en compte les décès recensés dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les autres établissements sociaux et médico-sociaux. Les personnes ayant succombé au Covid-19 à leur domicile ne sont donc pas comptabilisées dans ce bilan officiel.

Un taux qui reflète la politique de dépistage d'un pays

Aux Etats-Unis, le décompte officiel des cas détectés et des morts recensées est établi par le Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Celui-ci centralise les informations que lui envoient les 50 Etats américains. Mais tous ne jouent pas le jeu. En outre, les morts et les cas recensés sont à la fois ceux confirmés et probables.

La manière de tester la population montre là encore de nombreuses différences entre les pays. En France, la politique de dépistage a évolué au fil de l'épidémie. Au début, alors que le système de santé était submergé par la vague épidémique, peu de tests ont été effectués, car le pays n'était pas suffisamment équipé. Le gouvernement a donc autorisé à ne pratiquer ces dépistages que sur les malades ayant développé une forme sévère, ainsi que sur les personnes âgées résidant en maisons de retraite et présentant des symptômes, rappelle Libération.

Aux Etats-Unis, 28 fois plus de tests qu'en France

La France a intensifié ses efforts en vue du déconfinement, mais d'après l'enquête de franceinfo, on était encore loin mi-mai de pouvoir pratiquer chaque semaine les 700 000 tests virologiques escomptés. D'ailleurs, entre le 7 et le 13 juin, 214 252 patients seulement ont été testés, d'après le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France en date du 18 juin.

Les Etats-Unis ont pratiqué beaucoup plus de tests. Le CDC en recense plus de 29 millions, d'après les chiffres que lui fournissent les laboratoires de santé publique des 50 Etats. Cela représente plus de 8 910 tests pour 100 000 habitants. En France, d'après Santé publique France, le taux de dépistage, c'est-à-dire le nombre de patients testés rapporté à la population, n'est que de 319,2 pour 100 000 habitants. C'est près de 28 fois moins.

Plus on teste, plus on découvre de cas

Or le nombre de tests pratiqués a évidemment une incidence sur le nombre de malades détectés. "Si vous testez beaucoup, vous allez avoir beaucoup plus de cas, en particulier beaucoup plus de cas moins graves, expose Antoine Flahault, médecin épidémiologiste, directeur de l'Institut de santé globale de l'université de Genève. Vous allez avoir une mortalité qui paraîtra encore plus faible."

A l'inverse, moins un pays teste, moins il recense de cas. Mais il n'y a pas moins de malades et donc de morts pour autant. "La France a pratiqué peu de tests par rapport à la plupart des autres pays. Il y a donc peu de cas qui ont été dépistés, explicite Myriam Khlat, directrice de recherche à l'Institut national d'études démographiques. Son taux de létalité apparaît par conséquent plus élevé." Les épidémiologistes et les démographes interrogés par franceinfo jugent par conséquent que le taux de létalité est un indicateur bien peu pertinent pour lire l'impact d'une épidémie sur la population d'un pays. Et a fortiori pour établir des comparaisons internationales.

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