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Coronavirus : comment les cliniques se préparent à soutenir les hôpitaux publics qui vont faire face à un afflux de malades

Article rédigé par Louis San, Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Une soignante de la polyclinique de Gentilly, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), prépare une chambre de réanimation avant l'accueil d'un malade du Covid-19, transféré depuis le centre hospitalier public de la ville, le 18 mars 2020. (MAXPPP)

Alors que les soignants des hôpitaux publics sont en première ligne, parfois dans des services débordés, les cliniques peinent à se remplir. Et aimeraient être davantage sollicitées.

L'épidémie de coronavirus n'a pas encore atteint son pic. Une "vague extrêmement élevée (...) déferle sur la France", a mis en garde le Premier ministre, Edouard Philippe, vendredi 27 mars. Les hôpitaux publics sont débordés dans certaines zones, comme dans le Grand-Est, la région française la plus touchée par le Covid-19. Face à cette saturation, les établissements privés, eux, se sont plaints de ne pas être assez sollicités.

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"Utilisez-nous !", a lancé Lamine Gharbi, le président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), le 22 mars. "Les hôpitaux publics n’y arriveront pas tous seuls (...) Nous sommes du privé mais nous sommes au service du public", a-t-il également fait valoir sur franceinfo.

"Depuis une semaine, nous avons des malades"

Dans l'Est du pays, la situation s'est améliorée depuis. "Il y a eu un 'retard à l’allumage'", mais les lits des hôpitaux privés commencent à être "bien occupés", explique à franceinfo Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et aide à la personne (Fehap). Ce recours au privé a été moins poussif ailleurs. Dans les Hauts-de-France, des cliniques de l'agglomération lilloise ont accueilli neuf premiers patients en provenance des CHU de Lille et Tourcoing, a rapporté le site d'informations Médiacités. Ces malades ne sont pas atteints par le Covid-19, mais ont été transférés pour soulager les établissements publics.

En Ile-de-France, où les établissements publics commencent à être submergés, les cliniques sont déjà sollicitées pour prendre en charge des personnes contaminées. "Depuis une semaine, nous avons des personnes atteintes par le Covid-19", relate auprès de franceinfo Pierre Lanot, secrétaire général du syndicat national des anesthésistes réanimateurs de France, qui exerce à l'hôpital privé d'Antony (Hauts-de-Seine).

Nos lits de réanimation sont pleins. Nous en avions 14 à l'origine, l'agence régionale de santé nous a demandé de grimper jusqu'à 44.

Pierre Lanot, anesthésiste réanimateur à l'hôpital privé d'Antony

à franceinfo

Il se félicite de la coordination entre établissements publics et privés mise en place par l'ARS d'Ile-de-France. Une gestion citée en exemple par nombre de professionnels de santé du secteur privé contactés par franceinfo. En effet, les hôpitaux et cliniques sont passés en "plan blanc" depuis le 6 mars. Dans ce cadre, ce sont les ARS qui pilotent la réponse sanitaire sur le terrain.

Des cliniques au ralenti

Concrètement, l'ensemble des établissements privés de France ont freiné leurs activités depuis deux semaines afin de pouvoir renforcer les hôpitaux publics en cas de nécessité. "Nous avons déprogrammé 100 000 interventions chirurgicales non urgentes la semaine dernière et autant cette semaine, ce qui a permis de libérer 40 à 60 lits par établissement", indique la FHP (un chiffre qui n'inclut pas le privé non-lucratif). Résultat, les acteurs du privé ne prennent en charge que les urgences, ou des activités de cancérologie lorsque l'état du patient ne permet pas de différer l'intervention de quelques semaines.

Sauf que l'épidémie n'a pas encore frappé toutes les régions. La Bretagne, par exemple, est encore relativement épargnée malgré la présence d'un regroupement de cas dans le Morbihan. Ainsi, l'hôpital Saint-Grégoire près de Rennes (Ille-et-Vilaine), l'un des plus grands centres hospitaliers privés de France, ne connaît qu'"un cinquième" de son activité habituelle, jauge auprès de franceinfo Ronan Dubois, son directeur général. 

En Occitanie, la vague n'est "pas vraiment arrivée", commente auprès de franceinfo Yildiray Kucukoglu, directeur général de la clinique des Cèdres à Toulouse (Haute-Garonne). Son établissement n'accueille pour le moment que trois personnes atteintes du coronavirus, mais le dirigeant assure que ses équipes sont prêtes pour un pic d'activité.

Un dispositif qui continue d'évoluer

Si les hôpitaux ne débordent pas partout, la mise en place d'un dispositif exceptionnel ne cesse de s'affiner. Nadia*, infirmière dans une clinique de l'Essonne, évoque auprès de franceinfo des réunions de crise quotidiennes. "La création d’un service de réanimation a été actée hier. On aura dix lits", raconte-t-elle.

Ronan Dubois, le directeur général de l'hôpital Saint-Grégoire, rapporte avoir des réunions quotidiennes avec l'ARS et le centre hospitalier de Rennes. "Si le CHU commence à être débordé, avant d'être totalement plein, il doit nous envoyer tous les patients non Covid-19 urgents qu'il ne pourrait plus prendre en charge, explique-t-il. Il ne pourrait plus les prendre en charge parce que ses services de réanimation et ses soins intensifs chirurgicaux seront occcupés par le Covid-19. Nous n'en sommes pas encore à ce niveau-là, mais c'est prévu."

Chômage partiel et frustration

En attendant les malades, certains soignants du privé trépignent. "La première semaine du confinement, ils étaient occupés, il fallait s’organiser avec sa famille, il y avait de nouvelles annonces du gouvernement tous les deux jours… Mais là, on arrive en fin de deuxième semaine, et on sent une certaine grogne monter", constate Christophe Langin, délégué syndical CGT en charge des établissements du groupe Elsan, le deuxième plus important de France. "Les agents voient que le public est en détresse, ils veulent aider. Ils sont soignants, c'est dans leur ADN."

A Montauban (Tarn-et-Garonne), dans la clinique de Valérie Galaud, elle aussi déléguée CGT, la perplexité est d'autant plus grande que l'établissement a recours au chômage partiel, limité cependant à des employés administratifs. Mais en pleine crise sanitaire, "c'est quand même paradoxal", estime cette infirmière, qui assure que "les salariés ne comprennent pas la situation".

Même si la ville est encore peu touchée, la clinique n'a pour l'instant reçu aucun patient transféré depuis Toulouse, à 50 km. Après deux semaines de quasi-inactivité, et des investissements pour faire face au Covid-19, "ça commence à grincer des dents économiquement, s'inquiète Valérie Galaud. Pouvoir maintenir une petite activité, utiliser les salariés qu'on a, ce serait important." Son camarade Christophe Langin va même plus loin. Selon lui, dans le privé, "il y a des établissements qui ne supporteront pas cette crise" et cette inactivité.

Une stratégie de répartition contestée

Charles*, médecin d'une importante clinique toulousaine, s'agace lui d'un "usage des ressources loin d'être parfait. On n'est pas du tout dans la stratégie de répartir les patients." Dès le premier jour du confinement, ses collègues et lui étaient "en ordre de bataille", et il s'attendait à voir arriver rapidement les patients. Ils ne sont toujours qu'une poignée deux semaines plus tard. "Certes, le CHU de Toulouse ne déborde pas du tout", mais accueillir de premiers malades du Covid-19 aurait permis aux équipes de se familiariser avec des méthodes de prise en charge complexes et inhabituelles. C'est aussi ce qu'aurait aimé Thierry Chiche, président exécutif du deuxième plus grand groupe d'hospitalisation privée en France.

Concentrer tous les patients dans les hôpitaux publics jusqu'à les saturer, et ensuite faire appel au privé est la mauvaise tactique.

Thierry Chiche, président exécutif du groupe Elsan

à franceinfo

"Il faut que les équipes s'entraînent, apprennent la façon de s'habiller avec les tenues de protection, s'assurent que les protocoles de prise en charge soient bien adaptés, explique-t-il à franceinfo. Sans attendre d'être en crise." Charles* redoute, lui, un scénario où "les équipes se retrouvent d'emblée sur des patients à la prise en charge très lourde, au lieu d'avoir une montée en puissance".

Les lits vides dans certains établissements privés s'expliquent en partie par la progression inégale de l'épidémie selon les régions, mais pas seulement. Marie-Sophie Desaulle, la présidente de la Fehap, rappelle aussi, sans leur jeter la pierre, le rôle des Samu dans la répartition des malades : "Ils ont l'habitude de travailler avec les urgences des hôpitaux publics. Assez naturellement, ils envoient d'abord les patients là-bas." Chez les personnels, certains soupçonnent aussi les établissements publics de peser pour cette répartition inégale, affirme le délégué CGT Christophe Langin : "Ils préparent peut-être un peu l'après, et veulent montrer que le service public est essentiel. Tout le monde est conscient que la dégradation de leurs moyens joue sur l'ampleur de l'épidémie. Mais il faut que toutes les forces soient mises à contribution."

Face à l'épreuve, un "élan de solidarité"

Néanmoins, dans certaines zones, la situation est en train de changer. "Il apparaît que la collaboration s’améliore réellement", salue aujourd'hui la FHP, celle-là même qui alertait publiquement une semaine plus tôt. Dans la moitié ouest de l'Occitanie, les acteurs du public et du privé réunis chaque jour autour d'une "table de commandement" se sont mis d'accord en début de semaine "sur le fait que les cliniques privées avec des services de réanimation étaient en mesure d’accueillir des patients du Samu", explique un des participants, Yildiray Kucukoglu, directeur général de la clinique des Cèdres, et vice-président de la FHP en Occitanie.

"Depuis 48 à 72 heures, les cliniques reçoivent des patients", assure-t-il. La sienne compte trois dépistés, et une dizaine en attente de tests. L'objectif : réussir la "montée en charge progressive" que certains appelaient de leurs vœux. La même dynamique est en œuvre à Nantes (Loire-Atlantique) et Vannes (Morbihan), affirme Christophe Langin. "Même si les CHU ne sont pas pleins, on envoie un, deux, trois patients dans les réanimations des cliniques pour qu'elles puissent trouver leur façon de fonctionner".

Un fonctionnement en évolution qui illustre un des espoirs des acteurs du privé : que face à la crise naissent des solidarités nouvelles entre le public et le privé. Dans l'Essonne, une collègue de Nadia* "a proposé d'aider l'hôpital public de la ville sur ses trois semaines de vacances". En Occitanie, "on a dressé une liste de personnels soignants des cliniques" dans laquelle le public pourra venir chercher des renforts si besoin, explique Yildiray Kucukoglu. Entre cliniques, il salue "un élan de solidarité".

On a reçu du matériel de trois établissements, et des médecins d'une autre clinique. Les pneumologues, qui sont une denrée rare, circulent.

Yildiray Kucukoglu, directeur général d'une clinique à Toulouse

à franceinfo.fr

Et au sein même des établissements, les bonnes volontés se multiplient. "On a beaucoup de chirurgiens qui n'opèrent pas. Donc on a beaucoup de bras pour aider à des manipulations, retourner un patient sur le ventre", constate Pierre Lanot à Antony. "Tout le monde est sur le pont". Une autre façon de se préparer à la vague qui arrive. Charles*, le médecin toulousain, acquiesce : "Si vous me rappelez dans dix jours, je serai peut-être dans un couloir de la clinique en train de faire une toilette. On est toujours volontaires."

* Le prénom a été changé.

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