"C'est le brouillard" : des parents français confinés ne savent pas quand ils pourront voir leur bébé né d'une GPA en Ukraine
A cause de l'épidémie de coronavirus, ces couples ne peuvent se rendre à Kiev. Les autorités ukrainiennes exigent que l'ambassade de France leur adresse une demande de dérogation.
Le bébé qu'ils désiraient depuis des années est né le 21 avril dernier. C'est une fille, elle s'appelle Océane, elle va bien mais ils ne l'ont jamais vue. Karine et Thierry ont fait appel à une mère porteuse ukrainienne pour avoir un enfant mais ce qui devait être pour eux l'heureux dénouement d'années de combat marquées par plusieurs fécondations in vitro et une fausse couche s'est heurté au coronavirus et aux freins de l'administration française. Océane se trouve toujours en Ukraine tandis que Karine et Thierry sont bloqués en France. "On a des nouvelles au compte-goutte. C'est difficile psychologiquement", témoigne la maman, professeure d'université en région parisienne.
Des frontières fermées et des parents bloqués
Après avoir tout essayé en France, ce couple s'est tourné l'année dernière vers la gestation pour autrui (GPA) avec don de sperme car Karine ne peut pas porter d'enfant. En France, cette pratique est interdite ; en Ukraine, elle est légale, y compris pour des couples étrangers. Des cliniques, notamment à Kiev, se sont même spécialisées dans ce domaine. Pour 25 000 à 50 000 euros, elles organisent tout : du choix de la mère porteuse, à l'hébergement des parents d'intention en passant par les actes médicaux et les procédures juridiques. Mais le 16 mars, l'Ukraine a fermé ses frontières aux étrangers pour éviter la propagation du Covid-19. Plus d'une dizaine de couples de Français seraient concernés par cette situation, selon l'avocate Catherine Clavin, spécialisée en droit de la famille.
L'Ukraine, c'est le lieu où beaucoup de nos nationaux, couples hétérosexuels mariés, vont faire des GPA pour des raisons de proximité géographique, de coût et de processus juridique qui est tout à fait clair.
Catherine Clavinà franceinfo
Sophie Labaune-Parkinson se retrouve aussi dans une impasse. Elle aussi a eu recours à une gestation pour autrui en Ukraine. Et elle a promis à la mère porteuse ukrainienne qui porte son bébé d'assister à l'accouchement coûte que coûte. "Elle n'a pas envie d'accoucher toute seule. Elle a envie de me donner le bébé à moi, pas à une nounou. Ce n'est pas une transaction, c'est une aventure humaine", raconte-t-elle. La date du terme est arrivée et pourtant, Sophie Labaune-Parkinson se trouve encore en France. Comme il n'existe plus de vol direct pour Kiev, son mari et elle se disent prêts à passer par la Biélorussie – qui n'a pas fermé ses frontières – puis à faire le trajet en voiture.
Comme Karine et Thierry, Sophie Labaune-Parkinson a demandé à l'Ukraine de faire une exception et de la laisser entrer sur leur territoire par voie terrestre mais la démarche doit passer par une demande de l'ambassade de France auprès du ministère ukrainien des Affaires étrangères. Après avoir semblé prête à effectuer cette démarche, la France s'y refuse désormais. Devant le tribunal administratif où Karine et Thierry ont contesté cette décision, le ministère des Affaires étrangères a dit ne pas avoir connaissance d'une telle procédure, "l'information dont ils se prévalent, selon laquelle la France devrait se manifester auprès des autorités ukrainiennes pour leur transmettre, par la voie diplomatique, une note afin d'aménager un régime de déplacement en période de confinement, spécifique aux ressortissants français ayant conclu une convention de GPA en Ukraine, n'ayant jamais été donnée à l'ambassade France à Kiev".
La volte-face des autorités françaises
Pourtant, selon plusieurs documents que franceinfo a pu consulter, le ministère ukrainien des Affaires étrangères a bien demandé aux parents de s'adresser à leur ambassade. L'ambassade de France à Kiev était également au courant. "Dès que j'aurai le feu vert de Paris, je ferai partir la note verbale [un document utilisé dans les milieux diplomatiques]", a ainsi écrit l'ambassadeur dans un courriel en date du 13 avril. D'autres pays comme le Royaume-Uni, l'Irlande, la Suède et l'Australie ont réalisé ces notes verbales permettant à leur ressortissant de se rendre avec succès en Ukraine, d'après Catherine Clavin.
Dans sa décision en date du 30 avril, le tribunal administratif de Paris a débouté Karine et Thierry au motif qu'il s'agit d'une décision diplomatique qui ne relève pas de sa compétence et qu'il n'y a pas de caractère d'urgence. Ils ont décidé de contester cette décision devant le Conseil d'Etat. En parallèle, Sophie Labaune-Parkinson a saisi le Défenseur des droits. Sollicité par franceinfo, celui-ci n'a pas voulu faire de commentaire tant que l'instruction est en cours. De son côté, l'ambassade de France à Kiev ne donne pas de réponse sur la procédure de dérogation et renvoie à la décision de l'Ukraine de fermer ses frontières.
On ne demande aucune aide matérielle. Nous, tout ce que l'on demande c'est que l'administration française prenne son téléphone.
Thierryà franceinfo
En attendant, Océane a été placée avec une vingtaine de bébés dans une pouponnière montée à la va-vite dans un hôtel de Kiev. "Ce qui est difficile, c'est de ne pas avoir de date. C'est le brouillard. Personne n'est capable de de dire quand les frontières vont rouvrir. C'est terrifiant, on va laisser un enfant un mois, deux mois, trois mois ou quatre mois ?" s'inquiète Karine.
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