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Témoignages L'hôpital public en crise : surmenage, perte de sens, mise en danger des patients... Ils racontent pourquoi ils ont rendu leur blouse

Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Les conditions de travail et le manque de reconnaissance éloignent les soignants de l'hôpital public, qui ne fait plus rêver. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Ils sont médecins, infirmiers, aides-soignants. Tous ont embrassé une carrière de soignant dans la fonction publique. Mais après des années de pratique, ils disent stop.

"Subir" son quotidien. En "devenir aigri". Etre à "la limite de la maltraitance". Ces mots reviennent inlassablement dans la bouche des soignants qui ont décidé de quitter l'hôpital public. Leurs paroles en disent long sur leurs conditions de travail et la crise que vit l'institution. Les médecins déplorent la place prépondérante du travail administratif, au détriment des soins et de la recherche. Les conditions de travail et le manque de reconnaissance éloignent les infirmiers de l'hôpital public, qui ne fait plus rêver.

Fin octobre, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a dévoilé un chiffre alarmant : "1 300 démissions" chez les élèves infirmiers. A titre d'exemple, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, "en 2020, il y a eu une augmentation de 60% du nombre de démissions du personnel soignant, après une hausse de 40% l'année précédente", rapporte à franceinfo Julien Terrié, manipulateur en radiologie et secrétaire de la CGT du CHU. Mais qu'est-ce qui pousse ces soignants à fuir le service public ? Franceinfo les a interrogés.

"J'allais devenir une mauvaise personne"

Lamia Kerdjana, 35 ans, anesthésiste-réanimatrice à Paris. A quitté l'hôpital en octobre 2021.

Lamia Kerdjana à Paris. (Jeunes médecins)

Lamia Kerdjana se souvient très bien de ce mois d'octobre 2021. C'est à cette date que l'anesthésiste-réanimatrice de 34 ans a pris sa décision : elle ne pratiquera plus au sein de l'hôpital public. Fini les centres hospitaliers universitaires. "Les personnels s'en vont, ce qui fragilise les équipes qui restent et ne donne pas envie de s'accrocher, constate-t-elle. Surtout quand on voit les collègues en libéral, qui gagnent mieux leur vie et ont du temps pour eux. Un anesthésiste dans le privé à mi-temps gagne davantage qu'un praticien à plein temps dans un centre hospitalier."

Même si cette décision "n'est pas un adieu à l'hôpital public", car "le service public, je l'ai chevillé au corps", elle trottait dans la tête de Lamia Kerdjana depuis la fin du premier confinement, au printemps 2020. "Pendant la crise, malgré le stress d'être face à une maladie inconnue, j'avais l'impression d'être à ma placecelle d'une soignante qui prend en charge les patients correctement, se souvient-elle. Quand on demandait un échographe, il y avait un échographe. Je n'avais pas vu ça depuis mon externat : les contingences administratives et politiques n'avaient plus cours."

"Le fait que la première vague se passe aussi bien m'a rappelé pourquoi les soignants étaient aussi attachés au fait de travailler à l'hôpital public."

Lamia Kerdjana, anesthésiste-réanimatrice

à franceinfo

Une "parenthèse enchantée" qui rend les conditions de travail actuelles encore plus difficiles à assumer pour Lamia Kerdjana. Surtout durant l'été 2020, quand les restrictions budgétaires, le manque de personnel, le climat sexiste et les conditions de travail dégradées lui sont revenus en pleine figure. "J'avais l'impression de faire un mauvais travail, de ne pas bien soigner les malades." C'est le cœur lourd que la praticienne en a conclu : "Il faut que je m'en aille, sinon, je vais devenir une mauvaise personne." Désormais, la jeune médecin veut se donner une chance dans le secteur privé. L'occasion de travailler plus sereinement et de consacrer plus de temps à sa famille.

"Mon nouvel employeur connaît et respecte le Code du travail"

Thomas Laurent, 36 ans, infirmier à Lyon (Rhône). A quitté l'hôpital en août 2020.

Thomas Laurent, le 16 novembre à Paris. (Florence Morel / Franceinfo)

Quel est le point commun entre une librairie et l'hôpital public ? "Ce sont des secteurs 'essentiels' et il y a du contact humain", répond, souriant, Thomas Laurent. L'infirmier de 36 ans a opéré une reconversion pour le moins radicale. En août 2020, il a troqué sa blouse pour une formation de libraire. Un an plus tard, il vend des BD dans une librairie du 12e arrondissement de Paris.

Mais ce ne sont pas les points communs entre les deux secteurs qui l'ont décidé à quitter les hospices civils de Lyon (HCL). "C'est vraiment un tout, argue-t-il. Le temps consacré aux patients sans cesse rogné, limité, les horaires décalés, les remplacements sur les jours de repos... Et à force, on ne se rend même plus compte qu'on fait mal les choses, de façon maltraitante."

Thomas Laurent a tenu bon jusqu'au Ségur de la Santé, à l'été 2020. Depuis quelque temps déjà, son envie de poursuivre sa carrière d'infirmier vacillait, mais ce sont les annonces du ministre de la Santé qui ont eu raison de sa vocation. "Ce Ségur, ce n'est qu'un outil de communication", juge l'infirmier.

Même s'il gagne 800 euros de moins par mois dans sa nouvelle vie (d'un peu plus de 2 000 euros net mensuels à Lyon à 1 200 euros à Paris), Thomas Laurent ne regrette pour rien au monde sa décision. "Ce qui change dans mon quotidien, c'est le fait que mon employeur connaisse et respecte le Code du travail."

"J'ai gagné en sommeil, en tranquillité. Le soir, quand je rentre de la librairie, je suis serein. Je n'éprouve aucune frustration d'avoir mal fait mon travail. Ici, si quelque chose n'a pas pu être fait, on peut le reporter au lendemain et il n'y a de conséquence sur la vie de personne."

Thomas Laurent, vendeur dans une librairie à Paris

à franceinfo

Malgré ce changement de cap, le Parisien d'adoption poursuit son combat. "Je suis toujours l'actualité concernant l'hôpital, et je descendrai dans la rue le 4 décembre prochain, revendique-t-il d'un ton vif. Et en même temps, je suis très content de ne plus être impliqué directement." Une question de santé. La sienne, cette fois.

"Je suis partie pour ma santé, et à cause du travail, que je trouvais inhumain"

Pascale Dewé, 56 ans, aide-soignante à Toulon (Var). A quitté l'hôpital en octobre 2021.

Pascale Dewé à Toulon (Var), le 19 novembre 2021. (Pascale Dewé pour Franceinfo)

Pascale Dewé les a enchaînés. Les CDD, les missions d'intérim, les patients dépendants. Elle les a connues, ces situations de stress, ces montées d'adrénaline quand elle était seule à surveiller un couloir de 80 personnes âgées. Les chutes parfois. Les douleurs aussi. Celles de ses tendons, qui la paralysaient à force de toilettes, de changes, de transferts de patients d'un lit à un autre. Ces tendinites qui l'ont menée aux arrêts de travail, nombreux eux aussi.

Pourtant, en 2006, après l'obtention de son diplôme, tout avait bien commencé. Elle avait décroché un contrat à durée indéterminée dans un Ehpad public. Mais elle n'y est restée que deux ans. "Lors de la formation, on vous rabâche qu'il faut prendre le temps avec votre patient, se rappelle la Varoise. Mais une fois dans la vie réelle, vous n'avez que 20 minutes par patient pour la toilette, lui faire faire ses besoins, l'habiller, le faire manger et lui donner les médicaments."

Dès lors, fini les CDI. Place aux CDD, aux missions d'intérim. "En CDI, on s'attache trop aux résidents, c'est trop dur de les voir partir", souffle-t-elle. Les conditions de travail ne lui permettent pas de durer. "Finalement, c'est toujours la même chose, résume Pascale Dewé. On vous presse, on vous presse, il faut aller plus vite."

Pascale Dewé a finalement renoncé à sa carrière d'aide-soignante pour celle d'auxiliaire à domicile dans un village près de Toulon (Var). Quelques dizaines d'euros en moins chaque mois mais, "à mon âge, il faut savoir se préserver", commente-t-elle.

Un temps, elle a pensé suivre une formation d'auxiliaire puéricultrice, mais l'éventualité de finir en crèche ou à l'hôpital l'en a écartée. "Maintenant, j'ai mes patients, je leur fais un brin de ménage, à manger, et je prends le temps, dit-elle, apaisée. Je suis enfin en CDI. Je me sens nettement mieux." Lors de l'entretien d'embauche, elle a été claire : pas de toilette, pas de transfert. Son corps ne peut plus.

"Je ne subis plus mon quotidien, je l'ai repris en main"

Fabien Doguet, 46 ans, chirurgien cardiaque à Rouen (Seine-Maritime). A quitté l'hôpital en octobre 2021.

Fabien Doguet à Massy (Essonne), le 16 novembre 2021. (Florence Morel / Franceinfo)

Plus de vingt ans. Entre ses premiers pas au CHU de Rouen en tant qu'interne, en 1998, et son départ en octobre 2021, il s'est passé plus de deux décennies. "C'est une décision qui a été difficile à prendre", concède Fabien Doguet, chirurgien cardiaque à l'hôpital privé Jacques Cartier de Massy (Essonne). "Quand on exerce aussi longtemps dans une même structure, avec une équipe qu'on connaît depuis toujours, on tisse des liens professionnels et amicaux. Quitter tout cela, ce n'est pas anodin. Il faut repartir de zéro."

Pourtant, le Rouennais avait tout pour rester dans sa ville d'origine : son cercle familial, ses amis et une place de choix au sein de l'hôpital, qu'il a toujours convoitée. "Au début, j'aimais ce que je faisais, car j'exerçais dans de bonnes conditions, avec de la recherche, de l'enseignement et un peu d'activité libérale au sein du CHU pour gagner un peu plus d'argent, raconte-t-il. Je ne voyais pas l'intérêt de partir dans le privé." En juillet 2020, il est même promu chef de service.

Mais ces derniers mois, le quadragénaire a eu l'impression de "perdre la main" sur son quotidien. Les tâches administratives chronophages, sans parler des réunions interminables, des conditions de travail dégradées et l'impression de ne plus être au service des malades, ont eu raison de sa vocation. "Quand on arrive le matin et que l'infirmière dans le bloc opératoire est en larmes… Ce n'est pas la meilleure façon de débuter sa journée", confie le chirurgien, le regard baissé.

"Je n'avais pas envie de tuer quelqu'un à cause du rythme qu'on m'imposait"

Andreina Zika, 36 ans, infirmière à Gorze (Moselle). A quitté l'hôpital en 2019.

Andreina Zika à Hayagne (Moselle), le 17 novembre 2021. (Andreina Zika pour Franceinfo)

Dire qu'Andreina Zika est soulagée d'avoir claqué la porte du centre de soins de suite et de réadaptation (SSR) de Gorze, en Moselle, serait un euphémisme. "Revenir ? Même avec 1 000 euros de plus par mois, je n'y retournerai pas. Jamais. Les conditions de travail sont indignes, c'est du travail à la chaîne, on se croirait à l'usine. Il n'y a aucune reconnaissance", tance-t-elle.

Entre 2010 et 2019, la trentenaire a vu les effectifs de son service se consumer. "Quand j'ai commencé, on comptait deux infirmières pour 20 lits. Puis, vers 2013, leur nombre a commencé à se réduire, pour arriver à une infirmière pour 20 lits", égraine-t-elle. Durant de longs mois, elle assiste chaque jour, impuissante, à cette fuite en avant, pour aboutir à un ratio d'une infirmière pour 30 lits. "Toujours avec la même exigence de qualité de soins", précise-t-elle, sur le ton de l'évidence.

Andreina Zika et son équipe tiennent dans ces conditions pendant un an. Ensemble, c'est plus facile. Mais, à force, elles "ont pété un câble". "On n'arrivait pas à suivre, se souvient la Mosellane. Certains patients commençaient à avoir des escarres, des familles se plaignaient parce qu'on ne répondait plus aux sonnettes." Le tout sans compter les tâches administratives venues gonfler chaque jour un peu plus la liste des choses à faire. "Il fallait qu'on rentre de plus en plus de procédures dans les ordinateurs, décrit-elle. On nous disait : 'Tout ce qui n'est pas noté, c'est comme si ce n'était pas fait.' Il valait mieux enregistrer une tâche qui n'avait pas été faite que l'inverse."

Le soir, il lui arrive de rentrer chez elle avec un sérieux doute. A-t-elle bien éteint la chambre du dernier patient ? A-t-elle pensé aux cachets d'un autre ? Elle rappelle ses collègues, anxieuse. "J'avais toujours peur de faire une connerie, raconte-t-elle. Je subissais toujours davantage de pression et, un jour, je me suis dit que je n'avais pas envie de tuer quelqu'un à cause de ça."

Andreina Zika exerce désormais comme infirmière libérale à Hayange (Moselle). "L'avantage, c'est que je peux choisir mes soins. Quand je vois que ma journée est trop chargée, je peux dire stop, car je ne remplis pas mon planning pour faire de l'argent." Avec un avantage qui n'a pas de prix : on ne lui reprochera plus d'avoir perdu du temps à discuter avec un patient.

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