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Harcèlement sexuel à l'hôpital : "Si on parle, on va être cataloguée comme l'hystérique, la féministe"

Pour Sophie, interne en médecine et fondatrice du site internet Paye ta blouse, le harcèlement sexuel est trop souvent minimisé en milieu hospitalier.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une infirmière dans les couloirs d'un hôpital. (Photo d'illustration) (CYRIL SOLLIER / MAXPPP)

Selon une étude publiée vendredi 17 novembre par l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI), plus de 60 % des internes femmes interrogées se déclarent victimes de sexisme et 6,6 % de harcèlement sexuel. Ce type de comportement est également dénoncé sur le site internet Paye ta blouse, qui recueille des témoignages de victimes dans le milieu hospitalier. Le harcèlement est "minimisé autour de nous", regrette Sophie, interne en médecine et fondatrice de payetablouse.com. Quand on se plaint, on est "cataloguée comme l'hystérique, la féministe", déplore-t-elle.

franceinfo : Pourquoi avez-vous créé le site internet Paye ta blouse ?

Sophie : Cela part d'un ras-le-bol général. J'étais en sixième année et ça faisait un moment que je faisais des stages à l'hôpital et qu'on se prenait du sexisme ordinaire, voire du harcèlement tous les jours, surtout de la part de la hiérarchie, les médecins et les chirurgiens. Mes collègues gardait toujours le silence. Soit ils ne se rendaient pas compte, soit ils s'en fichaient, soit ils n'osaient rien dire. Par ailleurs, je pense que ça aurait beaucoup plus d'impact si on pouvait nommer, pas forcément les gens, mais en tout cas les services, les lieux. Mais, on ne le fera jamais car on pourrait reconnaître les victimes et cela les desservirait plus qu'autre chose.

Les victimes des cas de harcèlement dont vous parlez se sont-elles plaintes ?

Pas forcément, c'est justement pour cela qu'on a créé le site. Je l'ai vécu. Quand on en parle autour de nous, on nous dit que c'est normal, que c'est la chirurgie, que ce n'est pas si grave que ça. Ou bien on nous taxe d'être féministes. C'est très minimisé autour de nous, parce que c'est quelque chose que l'on vit toutes. Les hommes, ils ne le subissent pas, ils ne comprennent pas. On sait très bien qu'il n'y aura jamais de conséquences. Si on parle, on va être cataloguée comme l'hystérique, la féministe.

On a quand même une carrière à protéger. C'est aussi la raison pour laquelle tout le monde se tait, parce qu'on veut un poste après.

Sophie, interne en médecine et fondatrice de Paye ta blouse

à franceinfo

Et puis, on n'est pas militantes à 100 % pour 100 % du temps et je n'ai pas envie de passer ma vie à relever la moindre remarque sexiste, parce que c'est invivable au quotidien. On se tait parce qu'on sait que ce ne sont pas les gens qui vont se remettre en question mais nous qui allons subir encore plus. Finalement, je n'en veux pas aux victimes de ne pas vouloir donner leurs noms, c'est pour ça qu'on a créé le principe d'anonymat car on sait ce qui se passe ensuite.

D'où vient cette réputation du monde hospitalier, où on aurait besoin de décompresser davantage, ce qui "justifierait" des remarques grivoises, sexistes à l'égard des femmes ?

Je ne sais pas, c'est un peu un mythe qu'on a construit. Le mythe de l'humour carabin (…) on a un métier avec énormément d'heures, énormément de stress, de responsabilités. On voit des choses contre lesquelles il faut se blinder, des corps malades, de la souffrance. Moi je connais et je vis tout cela mais je n'en ressens pas pour autant le besoin de harceler mes collègues. Cela a été très longtemps une profession à majorité d'hommes avec une hiérarchie qui a continué cette espèce de cercle où tout était permis, où on pouvait tout dire. Maintenant que la tendance s'inverse et qu'on commence à parler, ça commence à changer.

Harcèlement sexuel à l'hôpital : "Si on parle, on va être cataloguée comme l'hystérique, la féministe"

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