Crise de l'hôpital : "Ce n'est plus un problème de désert médical, c'est un problème de perte de sens", dénonce le président d'Action Praticiens Hôpital
Alors que neuf syndicats et collectifs hospitaliers organisent une journée de mobilisation mardi pour réclamer en urgence des hausses de salaires et d'effectifs, Jean-François Cibien, vice-président de Samu Urgence France, témoigne de l’épuisement qui gagne les soignants.
"Nous avons une situation sanitaire dégradée avec une insécurité sanitaire qui gagne du terrain", dénonce mardi 7 juin sur franceinfo Jean-François Cibien, vice-président de Samu Urgence France et président d'Action Praticiens Hôpital. En pleine crise des urgences et à quelques jours des législatives, neuf syndicats et collectifs hospitaliers organisent une journée de mobilisation mardi, pour réclamer des hausses de salaires et d'effectifs sans attendre le résultat de la "mission flash" commandée par Emmanuel Macron.
franceinfo : Vous évoquez une "insécurité sanitaire" qui gagne du terrain ?
Jean-François Cibien : Nous sommes des soignants, nous sommes au service de la population et de nos concitoyens pour les soigner, pour les guérir parfois, pour les accompagner, hélas, dans la mort quand il s'agit de personnes en fin de vie. Mais on n'a plus le temps, tout simplement parce qu'on n'est pas suffisamment nombreux et qu'il faudra que l'on trouve des solutions. Ce n'est plus un problème de désert médical, c'est un problème de perte de sens. Les soignants vont au travail, la boule au ventre.
Il n'est pas possible d'attendre les conclusions de la mission flash commandée au président de Samu Urgences de France ?
Nous allons prendre la temporalité que nous impose une fois de plus notre président. On a souvent parlé du syndrome de Stockholm pour les personnes qui sont otages : nous, aujourd'hui, nous avons le "syndrome Macron", c'est à dire que nous sommes en train de jouer la montre. Le diagnostic a été posé bien avant le Ségur et même si dix milliard a été mis sur la table, dont 450 millions pour les praticiens, ces mesures sont insuffisantes. Il n'y a pas besoin que d'argent : il faut former les gens pour qu'ils puissent faire leur travail. Il m'arrive par exemple dans mon service de pousser des brancards parce que je n'ai pas d'aides soignantes dans mon service, au niveau des urgences, notamment.
Faut-il selon vous repenser la chaîne de soins, en amont de l'hôpital ?
Ce n'est pas qu'en amont ! Il faut repenser la globalité du système de santé. Le système de santé est issu des travaux de nos résistants après le Conseil national de la Résistance, avec un système solidaire. Depuis les ordonnances Debré, en 1958, la loi HPST est venue détruire la structuration de l'hôpital, puis la T2A (tarification à l'activité) nous a laminés en nous poussant à faire de l'acte. Or mon métier c'est soigner, ce n'est pas faire de l'acte.
Vous évoquez aussi un "millefeuille administratif"...
Un mille-feuilles ? Mais nous somme au Dix-mille feuilles admnistratif ! Nous avons une forte pression administrative de la part de gens qui ne sont pas dans le soin et d'experts de bureau qui viennent nous expliquer comment on doit travailler. Pour bien travailler, il faut être formés et en nombre suffisant. Avec François Braun, le président de Samu Urgences de France, nous avons travaillé il y a une quinzaine d'années pour les urgences sur un référentiel métier qui détermine, en fonction des besoins de soins de la population, du nombre de soignants qui doivent être en poste. Nous proposons que ces ratios de soignants soient également appliqués à l'ensemble des services hospitaliers. Mais on devra certainement appliquer ce genre de choses également pour le médico social et la médecine de ville.
Comment se présente l'été pour l'hôpital ?
L'été a déjà commencé et vous avez bien compris que depuis presque un mois, nous sommes toutes et tous en très grande difficulté. Il y a des gens qui ne savent pas aujourd'hui s'ils vont pouvoir partir en vacances : qu'avons nous fait, nous, soignants, pour mériter cela ? Lors de la première vague de Covid-19, nous avons montré que nous pouvions nous organiser en auto gouvernance. Tout cela a été balayé et on est revenu dans ce "dix-mille feuilles" administratif avec des injonctions paradoxales qui aujourd'hui ne sont plus tenables.
Quelle est selon vous la première des urgences ?
Ce sera de passer l'été et que des propositions concrètes soient apportées. On a besoin d'avoir quelques lignes de conduites et des perspectives. Pour la première fois de ma vie, en tant que praticien, en tant que citoyen français, que je n'ai pas de perspective sur ce que sera mon métier demain. Et c'est assez désagréable, très inconfortable. Ce sont nos familles qui subissent cette souffrance : est-ce normal ? On travaille 80 à 90 heures par semaine. Nous passons au Conseil d'Etat mercredi sur le temps de travail des praticiens hospitaliers et a priori, le dossier pourrait être rejeté sur le fond. Il y a des choses qui interrogent dans ce pays...
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