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Urgences pédiatriques saturées : "Il faut une volonté politique forte, un vrai choc, et des mesures urgentes", alerte une neuropédiatre

Dans une lettre ouverte, 5 000 pédiatres demandent à Emmanuel Macron d'agir pour sauver leurs services, submergés par une épidémie de bronchiolite et affaiblis par un manque de moyens chronique. La Dr. Mélodie Aubart, l'une des signataires de la tribune, est l'invité de franceinfo.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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L'accueil des urgences pédiatriques de l'hôpital d'Avranches. Photo d'illustration. (LUCIE THUILLET / RADIO FRANCE)

"Il faut une volonté politique forte, un vrai choc, et des mesures urgentes", alerte samedi 22 octobre sur franceinfo le docteur Mélodie Aubart, neuropédiatre à l'hôpital Necker enfants-malades à Paris et signataire d'une tribune adressée au président de la République par près de 5 000 professionnels de la pédiatrie. Ils dénoncent dans cette lettre publiée dans Le Parisien la saturation des services pédiatriques hospitaliers, des conditions de travail dégradées et une prise en charge inadaptées, résultats d'une "inaction politique irresponsable".

franceinfo : Vous tirez la sonnette d'alarme sur la situation des services de pédiatrie. Nos enfants sont "quotidiennement en danger", écrivez-vous dans cette lettre. Pourquoi ?

Dr. Mélodie Aubart : Ce que nous avons voulu expliquer au président de la République, c'est que nous, tous les jours, nous faisons le maximum pour soigner les enfants. C'est ce qui nous rassemble. C'est notre métier, mais ce n'est plus suffisant. Aujourd'hui, nous dénonçons des mises en danger, des soins insuffisants au quotidien pour les enfants que nous ne pouvons plus compenser. Notre objectif n'est pas d'affoler la population. On vit dans une époque où tout le monde est déjà suffisamment angoissé par les nouvelles. Mais dans une société, les enfants, c'est l'avenir. Et si nous ne sommes plus en capacité de les soigner et de s'en occuper du mieux qu'on peut, alors il faut qu'il y ait une volonté politique forte. Le président doit prendre des mesures qui soient urgentes pour faire changer les choses.

Comment se manifeste cette saturation des services de pédiatrie ? Vous parlez de transferts d'enfants franciliens vers d'autres établissements, parfois à des centaines de kilomètres du domicile familial ?

Oui, bien sûr et nous ne sommes qu'au début de l'épidémie de bronchiolite. Aux dires de tous les pédiatres, c'est une épidémie banale, et habituelle comme on la connaît depuis plus de trente ans maintenant. C'est le système de fond qui est beaucoup plus instable que d'habitude, avec des lits fermés dans les services de réanimation, dans les services d'aval et dans les services de spécialités. Donc, aujourd'hui, oui, on transfère des enfants hors Ile-de-France à plusieurs centaines kilomètres à Orléans, à Reims. Mais ces services aussi commencent à être saturés. On garde des enfants dans des box toute la nuit aux urgences, des enfants qui n'ont qu'une ou deux semaines de vie. On a des retards de prise en charge de la chirurgie, y compris des appendicites banales. Et les soins des maladies chroniques ne sont plus assurés depuis plusieurs mois, comme il le faudrait.

Le ministre de la Santé, François Braun vous répond que ces pics provoqués par l'épidémie de bronchiolite sont finalement habituels, que les transferts se font sans danger, donc il n'y pas de problème selon lui…

Nous avons été très étonnés de cette prise de parole du ministre de la Santé la semaine dernière. Dire que ces transferts se faisaient sans danger, ce n'est pas vrai. Un enfant âgé de 15 jours en détresse respiratoire à plusieurs centaines de kilomètres, c'est une mise en danger de l'enfant et au-delà de ça, c'est une mise en danger du système de santé puisqu'une équipe Smur qui part transférer cet enfant sur plusieurs heures n'est plus disponible sur l'Ile-de-France pour s'occuper des autres enfants. On ne peut pas dire qu'un transfert soit quelque chose d'anodin. Tous les aménagements que nous faisons aujourd'hui ne sont plus anodins et ont des conséquences réelles sur un nombre d'enfants croissant.

Qu'est-ce qu'il faudrait faire dans l'urgence, selon vous ?

Rouvrir des lits, bien sûr. Moi, j'ai été très étonné après avoir entendu la réponse à notre lettre de la directrice de l'Agence régionale de Santé (ARS) d'Ile-de-France. Selon elle, la situation est critique et elle appelle à la responsabilité.

"On ne va pas mettre le pays sous cloche tous les hivers, pour une épidémie prévisible, on ne va pas commencer à fermer les crèches. Il faut recruter des soignants à l'hôpital public et notamment en pédiatrie."

Dr. Mélodie Aubart

à franceinfo

Il faut pour cela que le sens de notre métier soit remis au cœur de notre travail quotidien.Si vous êtes soignant, vous avez l'impression tous les jours de mal soigner. Alors soit vous abandonnez, vous partez, soit vous essayez de faire toujours plus et vous tirez trop sur la corde et finalement, vous lâchez. C'est ce qui s'est passé dans les services et c'est pour cela qu'il n'y a plus suffisamment de soignants. Il faut également réévaluer la lourdeur des soins. Une infirmière ne peut pas s'occuper de 20 patients. Ce n'est pas raisonnable. En outre, il faut évidemment des revalorisations financières. Aujourd'hui, si on prend en proportion du salaire moyen en France, on est parmi les derniers des pays européens. Enfin, il faut un mode de gouvernance hospitalière qui soit totalement réévalué. On ne peut pas gérer un hôpital comme on gère un jeu vidéo. Maintenant, il faut une volonté politique forte, un vrai choc, et des mesures urgentes.

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