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Cannabis : ce que l'État gagnerait à légaliser

Rentrée d'argent dans les caisses de l'État et instauration d'un monopole assurant le contrôle de la distribution : la légalisation du cannabis pourrait avoir de nombreux effets bénéfiques, selon ses partisans.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Les Français sont les plus gros consommateurs de cannabis en Europe. (JENS KALAENE / ZB)

La prohibition ne fonctionne pas pour faire reculer la consommation de cannabis en France : c'est le constat dressé dans un rapport par le Conseil d’analyse économique (CAE), publié lundi 17 juin, qui se prononce aussi en faveur de la légalisation du cannabis en France, avec une autorisation de la vente sous monopole d’État.

Les auteurs estiment qu'une telle mesure permettrait à la France de récolter un minimum de deux milliards d’euros par an, alors que les Français sont les plus gros fumeurs de cannabis en Europe.

Mieux contrôler la consommation des mineurs

"On préconise de créer des officines dédiées qui vendront exclusivement du cannabis, de façon à contrôler l'interdiction de vente aux mineurs", explique Emmanuelle Auriol, économiste et membre du Conseil d'analyse économique, coauteure de ce rapport en faveur de la légalisation du cannabis en France sous un monopole d'État. "L'objectif, c'est de répondre à un problème de société français qui est qu'on a des taux de prévalence de consommation du cannabis très élevés chez les mineurs, détaille Emmanuelle Auriol. En 2014, 50% des Français de moins de 17 ans avaient déjà expérimenté le cannabis. Cela veut dire que toutes les familles françaises sont concernées. Cela n'est pas acceptable parce que les problèmes de la consommation du cannabis se concentrent sur les plus jeunes."

Bertrand Lebeau-Leibovici, médecin addictologue et signataire d'une tribune de 70 personnalités intitulée "Pourquoi nous voulons légaliser le cannabis". Ces personnalités, dont les ex-têtes de liste aux européennes Yannick Jadot et Raphaël Glucksmann, appellent les pouvoirs publics "à agir vite" pour légaliser le cannabis au nom du "pragmatisme", dans une tribune publiée mercredi dans L'Obs. "Ce n'est pas un produit neutre, reconnaît Bertrand Lebeau-Leibovici. Mais prouvez-moi que le tabac ou l'alcool sont moins dangereux que le cannabis... Vous allez avoir beaucoup de mal à en trouver."

En finir avec une politique de répression inefficace

"Force est de constater qu'après près de 50 ans, cette loi de 1970 qui instaure un régime de prohibition [loi Mazeaud] n'empêche pas la consommation du cannabis ou d'autres drogues, estime ce jeudi sur franceinfo Vincent Charmoillaux, secrétaire général du Syndicat de la magistrature. C'est une question de santé publique. Quelle est la réponse la plus adaptée pour gérer ce problème ? Manifestement, ce n'est pas la répression pénale."

"Le Syndicat de la magistrature est favorable à la légalisation du cannabis mais aussi des autres stupéfiants, assure Vincent Charmoillaux. On voit bien que cette politique de répression ne produit pas grand-chose de positif. Elle n'a pas fait disparaître la consommation, bien au contraire." La note du Conseil d'analyse économique (CAE) arrive aux mêmes conclusions : "La prohibition a favorisé l'expérimentation du cannabis du fait de sa très grande disponibilité, et cela en dépit d'investissements massifs dans la répression". Et dénonce la "politique du chiffre". 

Le Syndicat de la magistrature va plus loin. "La situation actuelle conduit à laisser en partie notre politique de santé publique entre les mains de groupes criminels qui assurent la production et la distribution", dénonce Vincent Charmoillaux. Même s'il nuance : l'échec de la répression n'est pas qu'une question de doctrine, c'est aussi un problème de moyens. "La justice française est dotée globalement de moitié moins de moyens que ce qui se fait ailleurs en Europe. Donc ce problème ne va pas être résolu uniquement par une éventuelle légalisation ou dépénalisation du cannabis."

Percevoir 2 milliards de recettes fiscales 

Le rapport préconise que l'État crée un "monopole public de production et de distribution du cannabis", avec producteurs agréés et boutiques spécialisées. Cela créerait des emplois légaux et des recettes supplémentaires. "On pense que le marché actuel doit être de l'ordre de 500 tonnes par an, même si c'est très difficile à évaluer, poursuit Emmanuelle Auriol. Il y aurait une fiscalité spéciale qui serait de l'ordre de 40 à 50% sur le prix du cannabis, parce que c'est un produit spécial. Comme c'est un monopole, l'Etat pourra contrôler directement le prix. C'est l'objectif de la structure qu'on propose : contrôler les prix pour contrôler la consommation."

Avec une fiscalité de l'ordre de 4 euros le gramme et un prix de vente final de 9 euros le gramme, cela ferait 2 milliards d'euros de recettes fiscales par an

Emmanuelle Auriol, coauteure du rapport

à franceinfo

"Un modèle pourrait avoir sa place : le 'cannabis social club'", défend pour sa part Bertrand Lebeau-Leibovici, médecin addictologue. Le "cannabis social club", ou "club social cannabique" (CSC), est un groupe de partage organisé sous forme d'association à but non lucratif qui gère la production et la distribution de cannabis pour les besoins personnels de ses seuls membres. "Les gens s'y inscrivent, peuvent mettre en commun leur autoproduction de cannabis et se la partager", explique Bertrand Lebeau-Leibovici. A ce jour, les CSC constitués en association ont tous été dissous en France. D'après le médecin addictologue, ce modèle est intéressant parce qu'il n'y a "absolument aucun intérêt financier" : "Ce dispositif a le mérite d'échapper à la fois au monopole d'État, qui présente beaucoup d'inconvénients, et au monopole du marché."

Quel que soit le modèle qui serait retenu, officines d'Etat ou CSC, Bertrand Lebeau-Leibovici estime qu'un "mouvement irréversible" est en cours dans le monde entier. Il cite notamment la légalisation du cannabis récréatif en Uruguay en 2013, au Canada en octobre dernier, "premier pays du G7 à le faire", ou encore dans "dix États des Etats-Unis dont la Californie, qui a un PIB supérieur à celui de la France". Il s'interroge : "Qui en Europe va commencer ? Est-ce que ce sont les Luxembourgeois, les Portugais, les Hollandais ?" Il est convaincu que "l'histoire s'accélère."

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