Pourquoi notre rapport à la contraception est-il toujours aussi compliqué ?
Alors que les moyens de contraception n'ont jamais été aussi divers, de nombreuses femmes rencontrent des difficultés à trouver la méthode qui leur convient. Franceinfo a interrogé Danièle Flaumenbaum, ancienne gynécologue et militante du Planning familial.
"Depuis que j'ai arrêté la pilule, je revis." Depuis plusieurs semaines, de nombreux témoignages de femmes ayant décidé d'arrêter ce mode de contraception circulent dans les médias et sur les réseaux sociaux. Alors que la pilule fête les cinquante ans de sa légalisation en France en décembre, le désamour entre ce symbole de la libération sexuelle et les femmes semble bien entamé. Selon un baromètre de l'agence sanitaire Santé publique France, la désaffection à son égard progresse. En 2010, 45% des femmes utilisaient la pilule comme moyen de contraception ; elles n'étaient plus que 36,5% en 2016.
Cette tendance, amorcée au début des années 2000, s'explique notamment par le scandale autour des pilules de 3e et 4e générations, affaire classée par le parquet de Paris. La parution de l'enquête controversée J'arrête la pilule (Les liens qui libèrent) de la journaliste Sabrina Debusquat a ravivé le débat. Comment comprendre ce désintérêt pour la pilule ? Pourquoi le choix de la contraception est-il toujours aussi difficile en 2017 ? A l'occasion de la Journée mondiale de la contraception, mardi 26 septembre, Danièle Flaumenbaum, ancienne militante du Planning familial et gynécologue, auteure de Femme désirée, femme désirante (Payot), répond aux questions de franceinfo.
Franceinfo : Vous faites partie de la génération qui a connu la légalisation de la contraception orale avec la loi Neuwirth de 1967. Que représentait la pilule pour vous ?
Danièle Flaumenbaum : Les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent pas se rendre compte, mais pour moi qui suis née dans les années 1940, c’était une véritable révolution sociale. L’arrivée de la pilule pour les jeunes femmes de ma génération a été un émerveillement. On découvrait qu’on avait enfin le droit de faire différemment de nos mères et de nos grands-mères, on nous reconnaissait une sexualité de plaisir en parallèle d’une sexualité de reproduction. On pouvait ne plus être vierge au mariage. La pilule a progressivement permis à de nombreuses femmes de s’émanciper socialement, de sortir de ce rôle unique de mère programmée et de pouvoir accéder à une dimension de femme. De cette façon, bon nombre de “drames” gynécologiques ont pu être évités.
Il faut se remémorer que nos grands-mères vivaient dans la peur constante de tomber enceintes, de gérer des grossesses non désirées, clandestines, de mourir en couches… La société d’aujourd'hui est-elle consciente de cette mémoire collective encore si récente ?
Cinquante ans après sa légalisation, la pilule séduit de moins en moins de femmes. Comment l’expliquez-vous ?
J’analyse cela comme un oubli complet de ce que la pilule a permis. Aujourd’hui, il me semble que les femmes qui se détournent de la pilule se concentrent uniquement sur les effets chimiques du contraceptif dans leur corps et oublient le sens de la contraception, qui est de découvrir et vivre sa sexualité adulte. Connaître le fonctionnement hormonal de la pilule, questionner ce qui nous semble évident, c’est très sain, mais diaboliser un produit qui a autant contribué à l’émancipation sociale des femmes, c’est grave.
Mais c’est toujours pareil, à tout mouvement d’avancée suit une période de régression, dont le but est d’intégrer la nouveauté. C'est aussi lié au scandale des pilules de 3e et 4e générations, à un contexte de retour au naturel, au bio, à l’anti-chimique…
Aujourd'hui, les femmes estiment que la contraception est acquise, voire 'normale', et cherchent à la vivre de la manière la moins dérangeante et la plus naturelle possible.
Danièle Flaumenbaumà franceinfo
Vouloir vivre une contraception sans contraintes serait donc une erreur ?
Non, bien sûr. Je dis juste que les débats autour de la contraception sont abordés par le petit bout de la lorgnette. On est seulement dans les pathologies, les contraintes, la maladie... au lieu d’être dans la prévention, la santé, le bien-être sexuel en étant adulte responsable. On oublie de penser la contraception dans une perspective qui permet de donner du sens à la relation sexuelle, à l’échange, à la parole, pour accéder au statut de femme en se séparant du statut de mère. Selon moi, c'est cela le véritable sens de la contraception.
Les femmes ont l'impression d'être plus libres, de maîtriser leur corps en prenant leur température, en analysant leur glaire, en s'abstenant pendant l'ovulation... Elles sont alors dans la découverte d’elles-mêmes, ce qui est un réel progrès. Mais sont-elles dans la recherche d’une sexualité de partage ? Ou bien sont-elles obnubilées par leur fonctionnement et la peur d’être enceintes comme l’étaient leurs grands-mères ?
Certes, mais on ne peut pas nier l'existence des effets indésirables et des contre-indications de la pilule pour certaines femmes…
Non, mais selon moi, les troubles de la contraception sont toujours des difficultés à savoir vivre sa sexualité. Dans la majeure partie des cas, lorsqu'une patiente me disait qu'elle se sentait lourde sous pilule, qu'elle avait mal au ventre ou aux seins, c'était lié à un malaise concernant sa sexualité : peur d'être moins désirée ou de moins désirer, par exemple. En quarante ans de carrière, je n’ai jamais eu de patientes qui ont vécu un accident vasculaire cérébral ou une embolie pulmonaire à cause de la pilule. Ces risques existent, mais ils sont infimes.
J'ai parfois l'impression que certaines femmes considèrent la pilule comme un médicament, avec des effets secondaires et des contre-indications. Or, pour moi, la pilule est une chimie. Elle n'est pas faite pour soigner, au contraire du médicament.
On ne la prend pas parce qu'on est malade, mais pour éviter de faire des enfants, pour vivre différemment. Si on la considérait davantage de cette façon, peut-être qu'on accepterait mieux les effets chimiques sur notre corps.
Danièle Flaumenbaumà franceinfo
Sur ce point, les idées reçues sur les différents types de contraception sont toujours très prégnantes. Comment l'expliquer ?
C'est effarant. Ce que j'entends aujourd'hui – "La pilule rend stérile", "le stérilet n'est pas pour les femmes qui n'ont jamais eu d'enfants" –, ce sont exactement les mêmes préjugés qu'il y a cinquante ans ! D'un côté, il y a une méfiance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique qui engendre l'idée que, derrière chaque méthode, il y aurait un complot. Mais, pour moi, il y a surtout une persistance des préjugés judéo-chrétiens qui considèrent la sexualité de la femme uniquement à travers la reproduction et non le plaisir. Derrière cette fausse idée d'une pilule qui rendrait stérile, c'est bien la peur de faire disparaître cette fonction de maternité qui subsiste.
Quant au dispositif intra-utérin, il n'y a qu'à observer le mot utilisé... Dans "stérilet", il y a "stérile" : il y a donc l'idée d’une épée de Damoclès définitive. Mais c'est une méthode de contraception faite pour être transitoire, ce n'est pas une stérilisation ! Les soignants qui ne veulent pas poser de stérilet à des nullipares [femmes qui n'ont jamais eu d'enfants], alors que rien ne le contre-indique, évoquent souvent les difficultés et les craintes à mettre un "corps étranger" dans l'utérus des femmes. Ils voient cela comme une intrusion effrayante. Je n’ai jamais posé de stérilet quand l’utérus de la femme le refusait. Il est toujours question d’accueil : de pouvoir l’accueillir et, s’il est mal supporté, par des douleurs ou un mal-être, de l’enlever.
Les soignants sont-ils suffisamment bien formés pour parler de la contraception ?
Oui, les études dans le domaine de la santé permettent aux soignants d’être bien formés sur le plan technique, mais ils oublient souvent de considérer la personne dans sa globalité : ses dimensions affective, psychologique, humaine, où elle en est dans sa vie. La contraception doit s’adapter aux différentes périodes de la vie.
On interroge les femmes dans une dimension médicale de la contraception en leur disant : “Vous avez de l'acné ? Cette pilule ira bien”. “Vous avez de la tension ? Prenez plutôt le stérilet”. Mais on envisage peu leur mode de vie, leur caractère et leur sexualité. Peut-être que les études ont changé, les soignants aussi, mais il reste des progrès à faire.
Des progrès qui se mesurent aussi au sein de la famille, à l'école…
En effet, puisque l'idée qu'on se fait de la contraception débute au sein de la famille. C'est lorsqu'on est petite fille dans une famille qu'on peut apprendre à envisager son sexe comme un organe de plaisir futur, et non uniquement reproducteur. Combien de mères savent dire à leurs filles : "Tu vas voir, avec la pilule, tu vas pouvoir découvrir et expérimenter la joie d’être une femme ! J’ai bénéficié de cette autorisation sans la parole de ma mère et ta grand-mère n’a pu y prétendre" ? Cette sexualité du plaisir est très peu transmise.
Dans les campagnes d'information ou à l'école, c'est la même chose : l'éducation à la sexualité est plus souvent un cours d'anatomie qu'un apprentissage de soi, de l'autre et du plaisir. On apprend aux garçons comment fonctionnent leurs testicules, mais c'est rarement mis dans une perspective affective et émotionnelle, ou de future paternité. Quant à la fille, il est d’abord question de lui transmettre que son sexe se prolonge à l’intérieur de son corps, qu’elle puisse accueillir le sexe de l’homme pour reproduire la vie. Le parallèle entre les testicules et les ovaires est rarement ou jamais fait. Si c'était le cas, peut-être qu'on envisagerait la contraception comme une façon de vivre sa sexualité, et non uniquement de gérer sa fécondité.
La contraception nous permet de vivre une dimension humaine dont ne savent pas encore parler la société et la famille : la sexualité.
Danièle Flaumenbaumà franceinfo
Que serait une contraception "idéale" selon vous ?
Pour moi, ce serait une contraception qui corresponde à ce qu’on lui demande : être libre dans sa vie affective et sexuelle. C'est un apprentissage, qui peut évoluer tout au long de la vie. Moi, par exemple, j’ai pris la pilule pendant des années. Plus tard, j’ai eu un stérilet : j’étais super contente d’être sans contrainte de prise quotidienne.
A mes patientes, je disais : “Qu'est-ce qui sera le mieux pour vous, dans votre vie actuelle ?” Nous sommes toutes tellement différentes qu'on ne peut pas généraliser. A chacune de choisir pour elle-même.
Sommes-nous en train de changer de modèle contraceptif ?
Pour moi, la contraception est d'abord une histoire de femmes, puisque la grossesse se passe dans notre corps. Il n’en est pas moins indispensable que l’homme soit informé et conscient de sa participation. Dans ce cadre, on peut imaginer des progrès sur la contraception masculine, mais je ne suis pas sûre que la société soit prête !
Peut-être que dans plusieurs générations, on aura inventé des contraceptions qui nous correspondront mieux, plus mécaniques, qui nous permettront d’éviter les hormones chimiques. L'industrie en tiendra compte. Mais tant qu'il n’y aura pas de progrès dans la transmission de la sexualité, la contraception sera toujours vécue comme compliquée puisqu'elle est contingente de la sexualité. Et cette évolution est du ressort de toute la société, la famille, l'école, les soignants et l’Etat.
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