: Vidéo Comment la filière viticole attaque le "janvier sans alcool"
Nous sommes en début de soirée. Attablé à la terrasse d'un bar, un jeune homme a commandé un café. La raison : il passe le mois de janvier sans boire d'alcool. Un défi dont il a uniquement entendu parler par des amis : "je n'ai vu passer aucune campagne de prévention", nous assure-t-il.
Il faut dire qu’aucune campagne n’est organisée par les autorités sanitaires… au grand dam du professeur Mickaël Naassila. Cet addictologue, directeur du groupe de recherche sur l'alcool à l'Université Picardie Jules Verne, l’assure : le défi de janvier est très bénéfique pour la santé.
"Au niveau physiologique, en terme de pression artérielle, de cholestérol, de concentration, on se sent mieux, on dort mieux, et c’est là qu’on mesure tout l’impact", nous explique-t-il.
Mickael Naassila est en colère depuis l’annulation, il y a quelques années, d’une campagne de soutien au Janvier sans alcool. Elle aurait dû avoir lieu en janvier 2020. Comme on peut le voir sur des documents internes que nous avons consultés, Santé Publique France avait préparé toute une opération de sensibilisation, à laquelle il avait participé.
On a compris à une réunion qu’il n’y aurait pas de suite. On n’a pas eu de justification précise, mais on a bien compris que la décision s’était faite au-dessus
Pr. Mickaël Naassila, addictologueà l'Oeil du 20h
Agnès Buzyn évoque des pressions
A l’époque, la ministre de la santé Agnès Buzyn explique simplement ne pas avoir donné le feu vert pour cette campagne.
“Ce format-là de campagne n’est pas aujourd’hui validé par mon ministère”, assure-t-elle le 21 novembre 2019 sur Franceinfo.
Nous l’avons recontactée. Elle, qui a depuis quitté le ministère, ne tient plus tout à fait le même discours et évoque des pressions.
Ce n’est évidemment pas le ministère de la Santé qui a décidé tout seul d’arrêter cette campagne. C’est un arbitrage qui a été imposé contre le ministère de la Santé.
Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santéà l'Oeil du 20h
Elle ajoute : “Je suis persuadée que le lobby viticole a joué. Ce sont des multitudes d’acteurs [...] qui ont leur relais aux ministères de l’industrie, de l’agriculture, des finances, à l’Elysée.”
Un communiqué de presse critiqué par le lobby viticole
Depuis, le défi de janvier n’a jamais été remis à l’ordre du jour.
L’année dernière, en janvier 2023, Santé Publique France a simplement mentionné dans ce communiqué le Dry January, en le présentant comme “une opportunité intéressante pour maîtriser sa consommation d’alcool”.
La réaction de la filière viticole ne s’est pas fait attendre. A peine quelques jours plus tard, elle a envoyé une lettre à Emmanuel Macron, que la cellule investigation de Radio France s'est procurée. On peut y lire :
“Nous nous alarmons de constater que le communiqué de presse de Santé publique France invite solennellement les Français à participer au Dry January. Nos professionnels ne peuvent que déplorer ce tournant prohibitionniste.”
Cette lettre a été coécrite par Vin et Société, une organisation qui représente l’ensemble de la filière viticole.
"La décision ne nous appartient pas"
Nous sommes allés à Bordeaux interroger l’une de ses responsables : Stéphanie Piot, directrice générale adjointe de Vin et Société. Elle assume les propos tenus sur le Dry January, mais réfute l’idée d’une pression exercée sur le gouvernement.
"Quand le sujet du Dry January s’est présenté, on a fait connaître la position de la filière, qui est : on évite l’alternance excès-abstinence"
Stéphanie Piot, Vin et Sociétéà l'Oeil du 20h
"On représente 450 000 emplois, évidemment on pèse. Quand on a un message à faire passer au gouvernement, on le leur dit, ils nous écoutent, ils écoutent les addictologues en face, et derrière la décision ne nous appartient pas", assure Stéphanie Piot.
Contacté, le ministère de la Santé ne nous a pas répondu.
Parmi nos sources :
Une lettre de 48 addictologues appelant à soutenir Janvier sans alcool
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