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Du chou dans le kebab, vraiment ? Pourquoi le nord-est de la France se passe du sempiternel "salade-tomate-oignon"

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Selon les descriptions rapportées par nos internautes, le chou est surreprésenté dans les kebabs du nord-est de la France. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Le quart des restaurants de l'Hexagone introduisent le crucifère dans leur recette du célèbre sandwich, selon notre enquête participative. Ils se situent particulièrement dans le Nord-Est.

Vous pensiez que le célèbre trio "salade, tomate, oignon" est universel ? Vous vous trompez. Dans le restaurant Pause kebab à Saint-Avold (Moselle), les kebabs sont garnis de chou rouge et blanc. "C'est important pour équilibrer les saveurs entre la viande et les crudités", explique le gérant, Cem Yildiz. Il y a quelque temps, il a enlevé les carottes de sa recette, trop sucrées. Mais le chou, pas touche. Idem à Hundling, à 20 kilomètres de là, dans le restaurant Aux petits délices, classé meilleur kebab de la Moselle. Ici, la question ne se pose même pas. "Dans tous les kebabs il y a du chou !", s'exclame la gérante, Ayten Esmen, sur le ton de l'évidence.

Du chou dans le kebab ? L'association peut paraître invraisemblable, comme l'ont montré les réactions d'une large partie de la rédaction. Nous vous avons donc interrogé, lecteurs de franceinfo.fr, et vous avez été près de 1 000 amateurs de cette spécialité turque à décrire les recettes proposées dans votre restaurant local. Viande, légumes, type de pain, nom... Vous nous avez confirmé que le kebab, inventé par les soldats ottomans puis adapté à la mode européenne en Allemagne au début des années 1970, ne semble toujours pas avoir de définition unique. En France, une spécificité régionale sort effectivement du lot : le chou est surreprésenté dans la région Grand Est, où deux tiers des établissements proposent ce légume. Contre 10% des établissements franciliens recensés dans nos résultats.

La carte des kebabs proposant du chou en France. (FRANCEINFO / CARTO)

Cette spécificité culinaire est liée à la proximité de la région avec l'Allemagne et à la forte diaspora turque installée des deux côtés de la frontière, analyse Hirmane Abdoulhakime, créateur de The Dwichtorialist et expert du kebab. "En Allemagne, le chou est partout !, explique-t-il à franceinfo. À Paris, on en retrouve moins parce que les immigrés qui sont arrivés à la fin des années 1970 proposaient seulement le minimum avec les kebabs, c’est-à-dire : salade, tomate, oignon. Et l'industrialisation des kebabs a repris ces trois seuls ingrédients." Une perte bien dommageable pour nos papilles.

Moi, je suis pour le chou, ça apporte du croquant et du frais. Ça contrebalance la force de la viande. C’est un peu le cornichon du burger.

Hirmane Abdoulhakime, The Dwichtorialist

à franceinfo

"Le kebab s'est transformé en Europe"

Le kebab avec du chou a aussi trouvé un terreau particulièrement fertile dans le nord-est de la France. "La région du Grand Est donne une place importante au chou dans sa cuisine, cela peut expliquer cette surreprésentation, note Pierre Raffard, enseignant-chercheur en géographie de l’alimentation et codirecteur du Food 2.0 Lab. Car le kebab, comme la pizza ou les sushis, s'adapte aux habitudes de consommation quand il se diffuse. On peut toujours le reconnaître, mais il est très difficile de lui donner une définition précise."

Le kebab n'est plus un plat, mais un concept culinaire qui a la capacité de se fondre dans les systèmes de consommation en place.

Pierre Raffard, enseignant-chercheur en géographie de l’alimentation

à franceinfo

Plusieurs siècles après avoir été embrochée sur les épées des soldats ottomans, cette viande grillée à la flamme et coupée en fines lamelles continue donc de voyager et de se transformer. "En Turquie, on vous sert désormais le kebab avec de la salade et des frites, alors que la recette originale ne contient que de la viande grillée parfois accompagnée de quelques légumes, note Pierre Raffard. Le kebab s'est transformé en Europe et il est revenu en Turquie." Idem pour la sauce blanche, adaptation européenne d'une entrée turque à base de yaourt et de concombre.

Kebab, "döner" ou grec ?

Mais quel terme utiliser pour désigner ce sandwich caméléon ? Autre particularité du Grand Est, en plus d'y mettre du chou, les habitants de la région utilisent aussi largement le terme döner, quasiment inutilisé ailleurs en France. "Döner kebab, c'est le mot employé en Allemagne", rappelle Hirmane Abdoulhakime. En Turquie, le sandwich est aussi appelé döner kebap, note Pierre Raffard : "Et il y a un entreprenariat du kebab à majorité turque dans le Grand Est depuis la désindustrialisation de la région." À l'inverse, à Paris s'est imposé le terme "grec"qui désignait à l'origine les gyros, ces sandwichs fabriqués par les immigrés helléniques qui sont aussi garnis de viande et de légumes mais servis dans des pains pita. Même pour le nommer, personne n'est vraiment d'accord.

La carte de France des appellations du kebab. (FRANCEINFO / CARTO)

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