"Au Qatar, l'empreinte carbone est de 35 tonnes par habitant, quand il est en moyenne de 0,7 tonne en Afrique" souligne François Gemenne, spécialiste du climat et des migrations

La pollution que l'activité humaine génère semble dramatiquement lié au nombre croissant d'habitants sur la planète. Pourtant il faut regarder de plus près, selon les empreintes carbone par habitant qui sont extrêmement différentes d'un pays à l'autre.
Article rédigé par Jean-Rémi Baudot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Dubaï, Émirats arabes unis, le 03/07/2023. (KARIM SAHIB / AFP)

Tous les samedis, "Zéro émission" avec François Gemenne, professeur à HEC et membre du GIEC, spécialiste du climat et des migrations. C'est le nouveau rendez-vous pour décrypter sur franceinfo les enjeux du climat aujourd'hui.

franceinfo : Un sujet très délicat, qui suscite beaucoup de controverses et qui charrie son lot d'idées reçues : sommes-nous trop nombreux sur Terre ?

François Gemenne : Ah, c'est une idée qui revient très souvent dans les conversations et aussi dans les médias. On serait trop nombreux sur Terre et la croissance démographique, de ce fait, rendrait illusoire tout espoir de limiter le changement climatique.

Oui, on se dit : "Plus il y a de population, plus ces émissions augmentent..."

C'est mathématique, plus nous sommes nombreux sur Terre, plus nous émettons de gaz à effet de serre, mais pas dans les mêmes quantités. C'est là que se trouve toute la subtilité de l'affaire. Parce qu'il y a d'énormes différences dans l'empreinte carbone par habitant d'un pays à un autre. Par exemple, c'est au Qatar que l'empreinte carbone par habitant est la plus lourde, avec environ 35 tonnes de CO2 par habitant. C'est énorme, plus du double des États-Unis, où on est environ à 15 tonnes et c'est cinq fois plus que la Chine, qui est environ à sept tonnes. 

"En France, on tourne autour de neuf tonnes de CO2 eq par habitant."

François Gemenne

à franceinfo

Dans les pays du Sud, on imagine que c'est vraiment beaucoup moins ?

C'est beaucoup, beaucoup, beaucoup moins. En Inde, par exemple, on est à 1,7 tonnes par habitant et la moyenne pour le continent africain est à 0,7 tonne par habitant. C'est aussi en Afrique que la population augmente le plus rapidement, certes, mais cette augmentation a une incidence très faible sur le climat. Si on prend par exemple le Niger, ce pays a un taux de fertilité de sept enfants par femme, l'un des plus haut taux du monde. Eh bien il ne représente que 0,1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. 

"Même si on doublait la population du Niger, l'incidence sur le climat serait relativement minime."

François Gemenne

à franceinfo

Vous nous proposez une photographie avec la situation actuelle. Demain ces pays vont devenir plus riches, vont se développer et donc leur empreinte carbone va va augmenter. On ne peut quand même pas souhaiter qu'ils restent pauvres...

Bien entendu, on ne va pas souhaiter ça et on ne le peut pas. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que plus ces pays vont se développer, plus leur taux de fertilité va baisser. C'est ce qu'on appelle la transition démographique, qui est toujours corrélée au développement. Plus un pays devient riche, plus les femmes ont accès à l'éducation, plus les couples ont accès à des moyens de contraception et les enfants cessent d'être considérés comme une ressource économique pour les familles.

"Quand un pays devient riche, l'empreinte carbone par habitant augmente, mais la fertilité chute automatiquement."

François Gemenne

à franceinfo

Et dans les pays industrialisés alors ?

Là, par contre, la démographie a un gros impact sur le climat parce que l'empreinte carbone par habitant est très lourde. La bonne nouvelle, en tout cas bonne nouvelle pour le climat, c'est que la démographie est en baisse dans tous les pays industrialisés ou quasi. En France, par exemple, le taux de fécondité est pour le moment à 1,8 enfant par femme, alors que le taux de renouvellement naturel d'une population est de 2,1 enfants par femme. Et encore, on le sait, la natalité reste relativement forte en France. Dans la plupart des autres pays, le taux est bien bien inférieur, surtout en Chine. En Chine par exemple, le taux de fertilité est désormais de 1,1 enfant par femme.

"Un taux de fertilité à 1,1 enfant par femme en Chine, ça veut dire que la population chinoise a commencé à baisser."

François Gemenne

à franceinfo

Et à ce rythme, la chute va être absolument vertigineuse. En 2022, il n'y a que 11 millions de bébés qui sont nés en Chine. C'est le chiffre le plus bas depuis 1978.

Est-ce que dans les pays industrialisés, moins de naissances veut dire moins d'émissions ?

En tout cas, ça fait partie des raisons qui poussent certains jeunes à ne pas vouloir d'enfant. Évidemment, c'est loin d'être la seule raison. Mais on ne peut pas ignorer que pour certains, ne pas faire d'enfant, c'est conçu comme un geste écolo.

C'est un geste écolo de ne pas faire d'enfant ?

Ce n'est pas si simple en réalité. D'abord parce que, évidemment, c'est un choix très intime et très personnel, qu'il ne nous appartient pas de juger. Mais c'est clairement un pari sur l'avenir. Aujourd'hui, un bébé qui naît en France avant même d'avoir émis ses premiers pleurs, a une empreinte carbone de 1,4 tonne parce qu'il va naître dans un hôpital, qu'il va nécessiter des services publics, etc... ça ne dépend absolument pas de ses choix de vie. La suite, par contre, va à la fois dépendre de ses choix de vie, mais aussi du monde dans lequel il va grandir.

C'est-à-dire ?

On peut raisonnablement espérer que les bébés qui naissent en ce moment dans les maternités françaises grandiront dans une économie beaucoup moins carbonée que celle dans laquelle nous avons grandi. Leur empreinte carbone sera bien moindre que la nôtre.

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