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Une mobilisation inattendue en Russie pour soutenir un journaliste d'investigation

À Moscou, des milliers de personnes protestent après l’arrestation du reporter Ivan Golunov. Et une mobilisation de ce genre en Russie, ce n’est pas banal.

Article rédigé par franceinfo - Jean-Marc Four
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le journaliste d'investigation Ivan Golunov, à Moscou le 8 juin 2019. (VASILY MAXIMOV / AFP)

Lundi 10 juin, trois des plus grands journaux russes, Kommersant, RBK et Vedomosti, ont publié exactement la même Une. En énormes caractères, pleine page : "Nous sommes Ivan Golunov". C’est une initiative spectaculaire et sans précédent dans une Russie où la liberté de la presse est mal en point. Un soutien coordonné (donc un défi aux autorités) après l’arrestation, jeudi 6 juin, de ce journaliste d’investigation réputé.

Et la mobilisation ne s’arrête pas là. En l’espace de 48 heures, des dizaines de célébrités (des rappeurs, des metteurs en scène, des écrivains, des présentateurs de télé) ont posté des vidéos de soutien au reporter. Près de 70 000 personnes ont signé une pétition en ligne. Même la télévision d’État s’en est fait l’écho. Et plus de 300 personnes se sont massées samedi 8 juin au soir devant le palais de justice de Moscou. Elles étaient toutes munies de pancartes demandant la libération de Golunov.

La pancarte est le seul moyen à disposition des manifestants en Russie, car elle ne nécessite pas d’autorisation préalable des autorités. Et cette mobilisation a commencé à porter ses fruits puisque la justice a remis Golunov en liberté provisoire. Il est assigné à son domicile dans l’attente d’un procès. 

Le parfum du coup monté

Officiellement, il a été arrêté parce qu’on a trouvé chez lui de la drogue, de la cocaïne et de la méphédrone. En réalité, tout ça ressemble fortement à un coup monté. D’ailleurs, la police a d’abord diffusé des images sur cette découverte de drogue, qui se sont avérées truquées. Elle a été contrainte de publier un démenti.

La véritable raison est sans doute ailleurs : Golunov, qui a 36 ans et travaille pour le site réputé Meduza, dérange les autorités russes. Il y a quelques mois, il avait publié une enquête sur les liens entre un réseau de blanchiment d’argent et des expulsions d’appartements à Moscou.

Et plus récemment, il a reçu des menaces en raison d’une autre enquête portant sur les pompes funèbres et tout un système de corruption où se mélangeraient hauts fonctionnaires, forces de sécurité et gangsters mafieux. Ses confrères sont donc persuadés que cette histoire de drogue est un montage de toutes pièces pour l’envoyer en prison.  

148e rang mondial pour la liberté de la presse

Le tout se produit dans un climat général de dégradation de la liberté de la presse. La Russie figure désormais au 148e rang mondial dans le classement établi par l’ONG Reporters sans frontières. Fin mai, tout le service politique du journal Kommersant a démissionné après le licenciement de deux journalistes qui avaient publié un article très critique sur une proche de Vladimir Poutine.

Les intimidations sont monnaie courante. Les blogueurs indépendants sont régulièrement arrêtés. Les chaînes de télévision ont été mises au pas. Et depuis vingt ans, il ne se passe plus une année sans qu’en moyenne deux journalistes soient assassinés. Sauf que cette fois-ci, le coup monté est peut-être un peu trop gros.  

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