Guerre en Ukraine : les soldats russes envoyés au front viennent en majorité de milieux défavorisés ou de minorités ethniques
Un chercheur indépendant russe a étudié les listes de conscrits morts ou faits prisonniers ces dernières semaines. Et leur profil saute aux yeux.
Inutile de chercher des fils d’oligarques russes dans les listes : vous n’en trouverez pas. Les conscrits envoyés au front viennent de familles pauvres et surtout de minorités ethniques ou religieuses. Kamil Galeev est un chercheur basé à Moscou et qui travaille notamment pour le think tank américain Wilson Center. Ces derniers jours, il a épluché les avis de morts au combat dans la presse locale ou les listes de soldats hospitalisés. Conclusion : on y trouve beaucoup de patronymes musulmans originaires de la république du Daguestan dans le Caucase. Et aussi des Tatars de Crimée, une population d’origine turque souvent reléguée au bas de l’échelle sociale. Ou bien encore des Kazakhs de la région d’Astrakhan, au bord de la mer Caspienne : leur représentation au sein de la troupe est sept fois supérieure à leur part dans la population globale ; il sagit là encore une minorité ethnique.
Ajoutons des jeunes gens originaires de campagnes ou de petites villes de Sibérie, et vous avez une bonne idée du profil de ces conscrits. Ils sont dans leur grande majorité issus de populations défavorisés. Vladimir Poutine, après l’avoir nié, a d’ailleurs fini par admettre, il y a deux semaines, la présence de conscrits, et pas uniquement de militaires de métier, dans les corps d’armée engagés dans la guerre. Et ça explique pourquoi on découvre des visages souvent juvéniles sur les images de soldats faits prisonniers en Ukraine.
Un risque limité de contestation sociale
Pourquoi ce type de recrutement : tout simplement parce que le risque de contestation sociale est très faible au sein de ces populations. On est vraiment en présence, passez-moi l’expression, de "chair à canon". En théorie, en Russie, tous les hommes âgés de 18 à 27 ans doivent effectuer un service militaire d’un an. Et les conscrits représentent à peu près un tiers des effectifs. Mais dans les faits, les familles les plus aisées, en particulier en milieu urbain, se débrouillent souvent pour que les fils échappent à la conscription, via des certificats médicaux ou des attestations d’étude.
À l’inverse, dans les milieux défavorisés et dans les campagnes (13% de la population russe vit sous le seuil de pauvreté), la conscription peut constituer un espoir d’ascension sociale. Et le salaire proposé pour s’engager est très supérieur au salaire minimum. En cas de mort au combat, une indemnisation de 7 millions de roubles, 70 000 euros, est offerte à la famille, selon les décomptes de Kamil Galeev. Cela suffit à faire taire les éventuelles protestations. Sans compter bien sûr la propagande qui glorifie ceux qui sont "morts en héros".
Déclin démographique et inefficacité militaire
Mais tout ça ne peut pas durer éternellement et c’est l’un des points faibles de ce dispositif. La démographie russe est en déclin rapide, le taux de natalité est très faible. Les réservoirs de jeunes soldats ne sont pas inépuisables. L’inconvénient de ces conscrits, c’est aussi que par définition, ils n’ont pas l’expérience de soldats de métiers. Donc leur efficacité militaire sur la ligne de front est beaucoup plus faible.
Enfin, il n’est pas exclu qu’à un moment donné, si le nombre de soldats russes morts continue d’augmenter, il y ait malgré tout de la colère dans les familles. Le pouvoir russe admet déjà un bilan de 1 350 morts dans ses rangs. Cela peut paraitre relativement peu. Mais c’est déjà considérable pour un chiffre officiel. Lors de la guerre en Afghanistan dans les années 80, Moscou avait avancé le chiffre de 15 000 morts. Dix fois plus que le bilan officiel en Ukraine... mais en dix ans de guerre.
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