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Regard sur l'info. Les leçons féministes d’une crise

Comme chaque semaine, Thomas Snégaroff reçoit l'auteur d'un livre qui éclaire l’actualité. Cette semaine, le rôle joué par les femmes pendant pendant le confinement. Et la place des femmes dans nos sociétés

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Pendant la crise, beaucoup de femmes sont en première ligne dans les hopitaux, mais les hommes restent aux commandes : les politiques, les médecins, les experts... (GETTY IMAGES)

Aux hommes les prises de décisions, la politique, la médecine et aux femmes la caisse des supermarchés et la charge mentale de la famille. Voilà le tableau que les deux auteures de La société des vulnérables : leçons féministes d’une crise publié chez Gallimard dans la collection "Tracts", Najat Vallaud-Belkacem, directrice générale en France de l’ONG ONE et ancienne ministre, et Sandra Laugier, professeure de philosophie à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 

Dans ce texte, les auteures analysent cette répartition des tâches, ce qu’elle dit de notre société, ce que cette crise a engendré et comment en sortir politiquement.  Sandra Laugier, l’une des deux auteures, est notre invitée.  

franceinfo : En préambule, je citerais un film que vous aimez bien : Parasite. Le film du Coréen Bong Joon Ho. Palme d’or à Cannes, Oscars à Hollywood. Avec, dans ce film, une famille pauvre qui se met au service d’une famille de riches. On est loin de la crise sanitaire et pourtant vous y voyez un lien, dans votre texte. Pourquoi ?  

Sandra Laugier : C’est vrai que ce film représente une société dans laquelle une partie d’elle est au service d’une autre partie. Et donc cela représente, symboliquement, une hiérarchie, présente dans le monde entier. Dans ce film, ça prend une forme comique et violente qui va radicaliser cette division. C’est une bonne image, c’est pour cela que ce film a eu un écho dans le monde entier.  

Parce que la crise du Covid-19, ou de la Covid-19 (d’ailleurs vous réfléchissez dans votre livre, au masculin ou au féminin du nom de cette crise) a fait émerger un monde invisible que l’on a vu visible et nécessaire.  

Nous avons vu émerger un monde, tout un ensemble de personnes qui prennent soin des autres. C’est pour cela qu’on emploie le mot de "care", pour définir celles et ceux qui prennent soin de la vie des autres.  

Le sous-titre de votre texte c’est "leçons féministes d’une crise", parce que ces personnes sont surtout des femmes ?  

En effet. On s’est aperçu, à cette occasion, même si c’est quelque chose que les féministes et les spécialistes du travail de "care" savent depuis longtemps. Ils savent bien que la plupart des personnes qui assurent ce quotidien sont des femmes et des personnes d'origine immigrée.. Et c’est parce que ce sont elles qui assurent ce travail, que ce travail est régulièrement dévalorisé voire invisible.   

Et alors, on arrive à un paradoxe dans votre texte : les femmes sont très présentes pendant la crise et absentes dans les réflexions qui la suivent.  Comme si le monde d’aujourd’hui est un monde de femmes et le monde d’après redeviendra un monde d’hommes.   

C’est bien dit ! C’est d’ailleurs cela qui nous a poussé à écrire ce livre. Pendant la crise, sur les écrans de télévision, nous voyions beaucoup de femmes dans les hôpitaux ou derrière les machines à coudre. Il y avait cette forme de mise en avant des femmes. D’une part, nous constations que les hommes étaient aux commandes : les politiques, les médecins etc. La prise de décision restait donc masculine. Maintenant encore, on a la sensation que les hommes ont conservé leur place. Pas de changement. On n'entend qu'eux. C'est choquant.  

Vous écrivez : "En se passant des femmes, on se prive d’un moyen de réussir à surmonter cette crise" Mais pourquoi les femmes seraient-elles plus aptes à surmonter cette crise que les hommes ?   

Tout simplement parce que les femmes assument, historiquement, des tâches où il faut s’occuper des autres. Donc elles ont des compétences particulières, acquises avec le temps. Alors, on ne dit pas qu’elles ont par nature des capacités que les hommes n’ont pas, non. Je dis que, du fait qu’elles ont été cantonnées à la maison pendant de très nombreuses décennies, elles ont appris à prendre soin des autres. Elles ont acquis des compétences. Même si ce mot définit là quelque chose qu'on imagine que tout le monde peut faire : prendre soin des autres. Pour beaucoup, cela définit des métiers "accessibles". Et donc il y a cette dévalorisation qui peut être professionnelle et symbolique de ce travail de "care" qui, par ailleurs, est totalement nécessaire. Cette dévalorisation conduit, bien sûr, à une dévalorisation économique. Toute tâche qui consiste à s’occuper des autres va donc être payée de façon absolument misérable.   

Cette question, et bien d’autres, on les retrouve et on vous lit dans La société des vulnérables, leçons féministes d’une crise, co-écrit avec Najat Vallaud Belkacem. C’est un "Tract" édité chez Gallimard et cela ne coute que 3,90 euros.   

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