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Regard sur l'info. La fin du débat démocratique en France ?

Thomas Snégaroff reçoit chaque dimanche un intellectuel qui nous permet de prendre de la hauteur face à une actu de la semaine. Aujourd'hui, Fabrice Humbert, un romancier et un enseignant qui réfléchit à la fin du débat démocratique dans notre pays.

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a affronté verbalement le président français Emmanuel Macron, en septembre 2020, allant jusqu'à s'interroger sur la "santé mentale" de son homologue. Ils se sont reparlés pour la première fois au début du mois de mars 2021.
 (STEPHANIE LECOCQ / POOL / EPA POOL)

Fabrice Humbert est professeur de littérature, enseignant au lycée franco-allemand de Buc dans les Yvelines. Il est l’auteur de plusieurs romans dont L’Origine de la violence pour lequel il obtient le Prix Renaudot du livre de poche en 2010. 

Il vient de publier Les Mots pour le dire. De la haine et de l'insulte en démocratie, dans la collection Tracts, chez Gallimard. Dans cet essai, Fabrice Humbert pointe la responsabilité des politiques dans le triomphe de l'insulte et de l'invective, partout dans l'espace public. 

Un président qui en insulte un autre, celui réplique que "c’est celui qu’il le dit qui l’est"…Telle est l’ambiance de la semaine passée entre les présidents russe et américain. Et on se souvient encore du président turc, Erdogan, évoquant la "santé mentale" du président Macron, en septembre dernier. 

franceinfo : Fabrice Humbert, vous soulignez les insultes et invectives partout dans l’espace public, on est en plein dedans, là ?

Fabrice Humbert : C’est vrai qu’on n'est pas dans le plus noble. Là, c’est Biden/Poutine, Bolsonaro était très fort face à Macron, on peut aussi citer Erdogan. C’est assez lamentable, mais ce n’est pas vraiment ce que je pointe pare que dans le domaine de l’insulte en France, les politiques ne sont pas tellement excessifs. Il y a plutôt ici une espèce de banalisation la parole, d’euphémisation permanente et puis, la ruse linguistique, mais pas trop l’insulte. En France, les hommes politiques sont plutôt tranquilles.

Vous parlez de "dévitalisation" des mots, de la parole politique, que voulez-vous dire par là ?

Les mots manquent de force dans le discours politique, notamment parce qu’on est dans une forme de gestion d’ensemble sans grand projet, et je vois bien qu’aujourd’hui avoir un grand projet, c’est très compliqué. Le fait est qu’après, on se retrouve avec une langue toute molle, toute technocratique, et ce qui est drôle, c’est qu’on essaye de donner de la force à cette langue avec des adjectifs comme "c’est ma première priorité", ou "c’est la première chose que je ferai"…On insiste, parce que ce qu’on dit a très peu de force.

Et par conséquent, dans cet espace laissé vide par des mots vacants, vient se mettre l’insulte, l’injure publique…

Lorsque vous avez des mots politiques qui sont assez faibles et qui n’entraînent pas, il y a du vide. Et ce vide, il doit être rempli alors effectivement, il y a une parole populiste et une parole de l’opinion publique qui peut être extrêmement sévère, toujours aller vers l’excès, et puis ça devient un vaste spectacle et une source de revenus aussi…Il faut toujours aller au plus fort, au plus colérique, au plus polémique, et puis certains en profitent et deviennent de plus en plus radicaux. Mais pour moi, c’est une espèce de fausse radicalité. Depuis quelques années des personnalités se sont imposées en proposant une radicalité toujours accrue. Quand on donne du spectacle, il faut en donner toujours plus parce que, sinon on épuise…

C'est une menace pour notre démocratie, dites-vous... 

Il y a des problèmes de fond qui engagent notre avenir, et qui ne peuvent pas être réglés dans cet étau des mots tout mous, et de la violence incandescente. Je suis absolument persuadé qu’il y a une raison à avoir. Alors, le problème quand je parle de "raison" c’est que ça peut-être très ennuyeux, mais j’y crois. La démocratie, elle est faite pour ça, pour ces débats raisonnables. Et les appels à la haine court-circuitent le débat et amènent à un énervement permanent des consciences, à une hystérie généralisée.

Je suis persuadé que ces annulations de l’autre dans le débat public, le refus d’une parole, le renvoi aux identités, c’est dangereux, parce que ça mine la société dans une espèce d’archipel permanent ou l’autre est toujours l’ennemi.

Fabrice Humbert, Les mots pour le dire. De la haine et de l'insulte en démocratie, Tracts Gallimard, février 2021.

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