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Regard sur l'info. Comment les nombreux interdits en ces temps de crise sanitaire entravent la vie de nos enfants

Daniel Marcelli, auteur de "Moi je ! De l’éducation à l’individualisme" est l’invité de "Regard sur l’info". Daniel Marcelli est professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et auteur de nombreux ouvrages de références en pédopsychiatrie ainsi que d'essais. La situation est particulièrement délicate pour enfants et parents en ce moment, explique-t-il. 

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Daniel Marcelli : "Les parents d’aujourd’hui ne savent plus très bien où commencent les besoins et où s’arrêtent les désirs. Et dès qu’un désir est exprimé par l’enfant, il faut immédiatement le satisfaire".  Photo d'illustration (CATHERINE DELAHAYE / GETTY IMAGES)

Nous sommes au milieu des vacances de Noël et les parents doivent interdire à leurs enfants de nombreuses activités, en raison de la crise sanitaire. On en parle avec Daniel Marcelli, auteur de Moi je ! De l’éducation à l’individualisme, paru chez Albin Michel.  

franceinfo : Est-ce que pour le psychiatre des enfants et des adolescents que vous êtes, tous ces interdits, c’est une bonne ou une mauvaise chose ?  

Daniel Marcelli : Sur le plan sanitaire, il y a des nécessités. Mais sur les besoins des enfants, de bouger, de s’agiter, sur les besoins liés aux relations sociales, c’est assez ennuyeux, et ça peut être entravant. Sans parler des adolescents dont chacun sait que leur vie sociale avec les copains, leur vie affective, leur vie scolaire c’est important, et tout cela est entravé, sinon amputé…  

Vous m’avez un peu étonné avec cette réponse, parce que je pensais que vous alliez me dire que c’est aussi une bonne chose parce que tous ces interdits vont à l’encontre de l’enfant-roi, qui fait ce qu’il veut. Là, des interdits sont posés…  

Effectivement, l’enfant là est confronté à des limites. Mais c’est tout de même différent. Ici, c’est un peu le même genre d’interdits que le port de la ceinture de sécurité dans la voiture. Les enfants ne s’y opposent pas trop, parce que c’est une obligation qui vient d’en-haut et qui ne vient pas des parents, qui doivent d’ailleurs également s’y soumettre. Ça n’a donc pas le même sens que lorsqu’un parent dit : "Je t’interdis de…", "Je veux que…", où là, on est dans la relation proximale avec le parent.  

Vous montrez dans votre livre que l’individualisme, en cours dans nos sociétés depuis quelques décennies, fait des ravages dans l’éducation des enfants. En quoi ça a changé les rapports entre les parents et leurs enfants, et en quoi est-ce un problème ?  

Nous sommes la première génération dont les femmes, les hommes et enfin les enfants sont élevés dès la naissance comme s’ils étaient des individus. Un individu c’est quelqu’un qui est autonome, qui choisit pour lui-même. Donc, dès les premiers mois, quand l’enfant commence à marcher à quatre pattes, les parents n’ont qu’une idée : stimuler son autonomie, et constamment lui demander : "Qu’est-ce que tu veux mon chéri ?", en somme le mettre devant un choix.

Choisir, ça n’est pas dans les chromosomes, ça n’est pas dans les gênes. Choisir, ça s’apprend progressivement. Parce que choisir, ça implique de renoncer à ce qu’on n’a pas choisi…

Daniel Marcelli, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent

Donc éduquer un enfant, c'est compliqué, c’est lui permettre d’accéder à la capacité de choisir. Les parents d’aujourd’hui ne savent plus très bien où commencent les besoins et où s’arrêtent les désirs. Et dès qu’un désir est exprimé par l’enfant, il faut immédiatement le satisfaire.

Jadis, l’éducation d’un enfant, c’était qu’il soit bien élevé. Aujourd’hui, c’est qu’il soit bien stimulé, qu’il puisse développer son potentiel. Dans ces conditions, ce que j’appelle "le rapport à l’autre" passe désormais après "le rapport à soi".  

En tant que thérapeute, quels sont les problèmes que vous constatez chez les enfants éduqués selon la règle du "Moi, je" ?  

Les pathologies ont énormément changé en 50 ans. À l’époque, c’était les inhibitions, les enfants timides, renfermés, qui avaient peur des adultes. Aujourd’hui, ce qui domine, ce sont les enfants qui "zébulonnent" partout, qui courent dans tous les sens, ce qu’on appelle l’hyperactivité.

On est face à un problème. La plupart des thérapeutes disent : "Il faut lui donner du cadre", mais donner du cadre quand on est seul dans son cabinet, entouré d’une société ou de familles qui n’en ont pas, ce n’est pas évident…La situation est particulièrement délicate en ce moment.

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