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Retraites : "On est dans un point de tension qui est extrêmement dangereux, qui est à côté d'un dérapage qui peut arriver n'importe quand", estime Jean Viard

La contestation sociale contre la réforme des retraites qui dure depuis le mois de janvier a pris depuis cette semaine une tournure plus tendue avec des affrontements et des débordements violents de part et d'autre, des vitrines brisées, des feux de poubelles. Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Maureen Suignard
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
24 mars 2023. A Lyon, rassemblement spontané d'une centaine de personnes contre la réforme des retraites et l'activation du 49.3. Le cortège a été rapidement dispersé par les forces de l'ordre avec l'aide des gaz lacrymogènes au niveau du pont de la Guillotière. (Illustration) (NORBERT GRISAY  / MAXPPP)

On évoque aujourd'hui avec le sociologue Jean Viard, la situation sociale et politique dans notre pays, liée à la contestation de la réforme des retraites, et à la réponse de l'exécutif avec l'adoption du texte par le recours au 49-3, suivie cette semaine de débordements violents, feux de poubelles, dégâts matériels et autres vitrines brisées… Des manifestations qui pourtant, s'étaient déroulées dans le calme et l'union intersyndicale, depuis janvier. 

franceinfo : Jean Viard, ce retour de la violence et des débordements, c'es le fait de Français qui ont le sentiment de ne pas pouvoir être entendus autrement ?  

Jean Viard : Ça fait écho avec les manifestations d'hier pour les méga-bassines, les Black Blocs sont de retour. Au fond, tout était très bien tenu depuis le début, c'était des manifestations très syndicales, très organisées, avec un service d'ordre. Il y avait tous les syndicats, et je pense que même les Black Blocs avaient compris que le but, c'était qu'il n'y ait pas de débordements. Les Black Blocs, ce sont des politiques, l'extrême gauche et l'extrême droite. Il y a aussi l'extrême droite ; à Bordeaux, on soupçonne que ce soit l'extrême droite qui a attaqué la mairie.

Donc effectivement là, il y a le sentiment que ça n'avance pas, qu'il y a eu neuf, dix journées. Donc forcément, il y a une tendance à dire : on va un peu laisser les extrêmes avancer, et c'est ça qui est extrêmement inquiétant. Alors c'est vrai aussi que les Gilets jaunes, à la fin, il n'y avait plus grand monde. Mais ils ont beaucoup cassé. Au début, c'était très populaire. A la fin, c'était beaucoup de Black Blocs ou des assimilés, des militants très déçus et très violents. Et ils ont obtenu 13 milliards. Donc, c'est compliqué.

De même que pour Notre-Dame-des-Landes, ils ont obtenu ce qu'ils voulaient. Le projet du mégacomplexe de loisirs et de commerces EuropaCity a été abandonné. Le problème, c'est que depuis un certain nombre d'années, il y a des mouvements de périphérie, il y a quelques centaines, quelques milliers de jeunes violents, ce n'est pas énorme non plus, mais en même temps, ils sont très violents, et au fond, les autres les regardent avec une certaine sympathie. Et donc ils sortent effectivement, et c'est vrai qu'on est en train de glisser dans quelque chose qu'on ne va pas savoir diriger.

Il y a aussi des milliers de manifestants qui condamnent ces violences, et d'autres manifestants qui dénoncent des violences policières, des arrestations abusives. C'est aussi le cas de la Ligue des droits de l'homme, par exemple. Est-ce que cela peut dissuader les Français de manifester ? C'est le but ou pas ? 

D'abord, tous les gens qu'on arrête sont toujours "très gentils", ils achetaient le pain, et passaient là par hasard ! Donc, c'est toujours compliqué comme ça quand vous tendez un micro à quelqu'un qui sort d'un commissariat, il ne va jamais dire : j'étais venu avec des boules de pétanque. 

On a aussi des images qui circulent sur les réseaux sociaux, avec des manifestants arrêtés et violentés également ? 

Il y a eu des comportements visiblement totalement inadmissibles, c'est tout le problème. On dirait deux bandes de voyous qui s'affrontent, si je peux me permettre. Ça, c'est inadmissible. La police doit être encadrée. C'est vrai aussi que ces motos, c'est un système où il y a deux policiers tout seuls sur une moto, quelque part, il n'y a pas d'officier. Donc je pense que le sentiment d'autorité est moins fort. La police doit encadrer ces gens, et doit les sanctionner très fort. Ce n'est pas un jeu de face à face.

Il y a une violence légitime contre une violence non légitime. La violence légitime a des règles de courtoisie si je puis dire, et ces règles doivent être respectées. Mais après, il ne faut quand même pas mettre les choses tout à fait sur le même plan. Ce n'est pas tout à fait les policiers qui attaquent, même si dans certains cas, ce n'est pas facile effectivement de faire clairement l'analyse. 

Mais pour les manifestations qui ne se déroulent pas dans le calme, ça permet aussi à l'exécutif de se placer dans le camp de l'ordre et de la sécurité ? 

Mais absolument. On peut même se demander si ce n'est pas un peu fait exprès. C'est vrai que l'intervention du président de la République, notamment sa remarque un peu agressive sur Laurent Berger, qui est le leader "calme" du mouvement social, si on peut dire les choses comme ça, il n'est pas le seul, mais c'est celui qui est le plus puissant, bon ça poussait, de fait, aux excès, mais je ne dis pas que c'est fait exprès, et je n'en sais rien, je ne suis pas un grand lecteur de Machiavel, mais c'est vrai que ces phénomènes, on les avait connus.

Moi qui suis de la génération de 68, c'est clair que la montée des violences, des barricades dans Paris, la grande manifestation, De gaulle gagne les élections facilement. Parce qu'en ce moment, moi j'étais à Paris cette semaine, quand vous regardez la télé, la France est à feu et à sang, mais quand vous êtes à Paris, il y a des endroits où c'est comme ça, mais à la télé, ça passe en permanence.

Le problème, c'est qu'on est dans une société d'info en continu, donc les choses sont réelles, je ne peux pas le nier, je crois qu'à Paris, il y avait 1000 personnes qui avaient contribué à casser des choses, à mettre le feu à des poubelles, etc. Mais ce ne sont plus les casseurs d'il y a 20 ans qui étaient des cambrioleurs ; en réalité, ils entraient dans des magasins de vêtements de marque, ils partaient avec des affaires. Là, c'est du cassage politique, s'ils attaquent, c'est plutôt des banques, c'est des biens publics, etc. Donc il faut parfois aussi voir le sens, ce ne sont pas gestes absolument absurdes, mais ça existe, ça traumatise la société, ça détruit l'image de la France à l'étranger. Est-ce que ça va débloquer le dossier ? C'est pas sûr.

Mais c'est vrai qu'effectivement, on est dans un point de tension qui est extrêmement dangereux, qui est à côté d'un dérapage qui peut arriver n'importe quand. Heureusement, il n'y a pas eu de décès, mais il y a des blessés graves, y compris dans la police. Plus sans doute, dans les rangs manifestants. On est en bordure d'un éclatement.

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