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Jean Viard : "On n'a plus le corps de force qu'avaient nos parents et nos ancêtres et du coup, on mange 20% de viande de moins qu'il y a 30 ans"

Pour cette nouvelle saison sur franceinfo, nous avons le plaisir de retrouver Jean Viard, écrivain et sociologue, qui va continuer à nous livrer son regard sur la France d'aujourd'hui tous les week ends. 

Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
"La Blonde d'Aquitaine" à Evron, en Mayenne, où se tient jusqu'à dimanche soir le festival de la viande.  (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

Tous les weekends avec le sociologue Jean Viard, on s'arrête sur un événement qui se passe à l'autre bout du monde ou dans un petit village de France, qu'il implique des puissants ou Monsieur et Madame tout le monde. L'important, c'est qu'ils illustrent une question de société. Et nous partons aujourd'hui, Évron en Mayenne, où se tient jusqu'à demain le Festival de la viande.

franceinfo : Ce festival de la viande a été créé en 1966 et c'est aujourd'hui que les projecteurs se tournent vers lui, sur ce métier d'éleveur aussi,  qui fait face au changement ? 

Jean Viard : On est en plein dans un débat de société sur comment on mange, pour faire quoi, avec quel corps ? Et en plus, je trouve que c'est bien de commencer cette chronique en parlant de l'agriculture. Les agriculteurs ont beaucoup souffert cet été, et on a bien vu pendant la pandémie que la souveraineté alimentaire, avec la souveraineté de la santé, ce sont des souveraineté centrales qu'on avait un peu laissées partir. Mais quel est le rapport à la viande ?

En fait, 89% des Français aiment la viande et ils sont à peu près 80% à penser qu'elle est nécessaire à l'équilibre du corps. Mais en même temps, ils sont de plus en plus nombreux à en manger moins. On n'est pas face à une explosion de gens qui ne veulent pas manger de viande, il y en a. Il y a 1 à 2% de végétariens, mais au fond, ça, c'est assez périphérique. Pour l'instant en tout cas. Par contre, il y a un nouveau rapport au corps. On n'a plus le corps de force qu'avaient avant nos parents et nos ancêtres qui portaient des sacs de 60 kilos etc, et on avait l'idée que la viande, c'était le moteur de la force.

Nous, on a un corps différent, qui vit beaucoup plus longtemps donc on veut qu'il soit plus séduisant. On ne le dépense pas physiquement, mais beaucoup plus avec le cerveau, du moins la plupart des gens, donc on va courir, on va marcher, on va nager, on va avoir des tas d'autres activités, et ce projet de corps là, il va entraîner au fond un développement d'une alimentation nouvelle. Au fond, Thierry Marx le dit très bien : Comment on passe du bœuf carottes aux carottes bœuf. c'est une image, mais elle dit bien l'évolution. Et du coup, on mange 20% de viande de moins qu'il y a 30 ans, ce n'est pas qu'il y a moins de gens qui en mangent, c'est qu'on en mange moins.

Donc le problème des agriculteurs, c'est comment ils s'adaptent à cette évolution. Et puis, vous savez que les vaches, ça pollue autant que 15 millions de bagnoles, elles pètent, elles rotent, c'est autant de CO2, donc il y a du gaz et du coup, il y a toute cette question écologique qui arrive. Alors on va faire la vache hybride, c'est la vache qui ne mange pas la même chose, et donc elle diminue de 20% sa production de gaz. Mais ça ne résout pas la question.

Et en plus il y une autre chose qu'il faut dire, c'est qu'arrivent en France des populations méditerranéennes, issues du Maghreb notamment, qui en fait n'ont pas de culture de la viande de vache, qui ont une culture du mouton et une culture de l'agneau, de la chèvre, donc eux ils ont tendance à garder leurs traditions. Dans un couscous, il n'y a pas de vache. C'est le plat préféré des Français le couscous. Alors ça montre aussi que cette culture alimentaire a remplacé le boeuf carottes, il y a tout ça qui est en jeu. 

Des agriculteurs qui doivent aussi repenser leur logiciel de communication, notamment sur les méthodes d'agricutlure et d'élevage ? 

Mais c'est très bien que les agriculteurs se lancent dans la bataille de la communication parce que la communication était occupée par des urbains qui n'ont jamais élevé une vache. Le problème des animaux, c'est qu'ils "tiennent" le territoire. On ne peut pas simplement supprimer une partie de l'élevage. Parce que qu'est-ce qu'on fait des territoires, on a vu avec les forêts ? Il est clair qu'il faut tenir les sols.

La deuxième chose, c'est qu'il faut aussi que ce soit accessible en prix, parce qu'il y a aussi beaucoup de gens qui ne mangent pas de viande, parce que c'est cher. Et n'oubliez pas qu'une grande partie de notre alimentation est faite dans la restauration collective, dans les lycées etc, avec des prix qui ne sont pas les mêmes. Les agriculteurs doivent s'adapter, ils ont déjà fait un gros boulot d'adaptation. 

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