Coupe du monde 2022 : "Il ne faut pas mélanger la patrie et la nation. Le football, c'est un attachement à la patrie, aux héros qu'on se choisit", estime Jean Viard
La Coupe du monde 2022 rapproche bien des Français bien de leurs drapeaux. Football et patrie, c'est le décryptage du sociologue Jean Viard, en ce jour de match entre la France et le Danemark.
France-Danemark, le deuxième match des Bleus dans ce Mondial de foot, ce sera à 17 h, en direct sur franceinfo. Il y a presque un rôle cathartique dans ces affrontements sportifs, pendant que la vraie guerre continue en Ukraine et ailleurs dans le monde. L'éclairage du sociologue Jean Viard.
franceinfo : Le Mondial, c'est un moment rare de sentiment d'appartenance à une patrie ?
Jean Viard : Oui à une patrie, mais pas seulement. D'abord à la communauté des humains qui acceptent de jouer ensemble au foot, qu'ils soient blancs, noirs, asiatiques, musulmans, chrétiens ou athées. D'un coup, on est tous à égalité et quelque part, il n'y a pas de racisme ; il y a qui marque les buts et qui n'en marque pas. C'est important dans ce commun de l'humanité. Après, vous avez différentes approches. Regardez ce qui s'est passé, le match de l'Arabie Saoudite qui a gagné contre l'Argentine, ça a été un événement dans tout le monde arabe. Il me semble qu'on a même vu l'émir du Qatar avec un drapeau d'Arabie Saoudite. Quand on connaît les histoires entre les deux pays, c'était pas évident.
On a vu des manifestations au Maroc, en Algérie etc. C'est-à-dire que d'un coup, on se rend compte que c'est la première Coupe du monde dans le monde arabe, et qu'ils en sont terriblement fiers, et qu'ils retrouvent au fond l'unité qu'il y avait à l'époque de Nasser sur la fierté arabe, etc. Après, je pense que ça joue aussi, bien sûr, par nation, par pays. Mais il y a l'humanité, il y a ces communautés-là, surtout quand ce sont des communautés qui ont été dominées, donc quelque part il y a une dimension "revanche", surtout que l'Amérique latine a été, et peut être encore d'ailleurs, un immense monde du foot, donc, pour l'Arabie Saoudite, battre l'Argentine, c'était absolument grandiose.
Y a des rapprochements qui se font entre communautés, qui se reconnaissent entre elles ?
Mais bien entendu. Alors nous, le Danemark et la France cet après-midi, ce n'est pas pareil. C'est deux pays européens, deux pays qui en foot, sont bons, qui jouent depuis longtemps. Le foot, ce qui est fantastique, c'est que partout dans le monde vous avez des gamins qui font un ballon avec quatre vieux pulls, qu'ils serrent avec des ficelles, qui jouent au foot. C'est le sport du peuple, du jeune. On peut jouer partout sur un parking, ou sur un terrain vague, et ça coûte rien, c'est ça qui rapproche dans le foot, énormément.
Alors nous, en Europe, évidemment, il y a longtemps qu'on a professionnalisé l'affaire, ce qui n'est pas le cas partout, donc ce sont différents match dans différents sens. Si la France gagne cet après-midi, ce sera surtout une victoire pour la France. Ce ne sera pas une victoire pour l'Europe puisque c'est deux pays européens.
Pour revenir à notre attachement pour cette équipe de France et il y a encore, si ce n'est un patriotisme, un certain chauvinisme inhérent au fait d'être supporteur d'une équipe. C'est un attachement au drapeau qui a tendance à s'estomper en dehors des compétitions sportives. Qu'est-ce que ça dit ça, cet attachement renouvelé ?
C'est compliqué parce que moi, je crois beaucoup à l'appartenance à une patrie, c'est-à-dire au pays d'où on vient. Je ne suis pas du tout nationaliste. La nation, c'est contre les autres : on était Français contre les Allemands, heureusement, on ne l'est plus. La patrie, c'est différent, c'est : je suis attaché à mon territoire, le territoire de mes parents, de mes pères, de mes mères, donc au fond un attachement à une origine, à une descendance. Je trouve que c'est quelque chose de très beau.
C'est pour ça qu'il ne faut pas mélanger ça, la patrie et la nation. Je crois que c'est deux choses un peu différentes et donc dans le foot, c'est un attachement à la patrie. On a choisi nos héros, en plus, ils viennent généralement des milieux plutôt populaires. C'était déjà vrai avant, avec le vélo, parce que c'est très très dur de devenir un champion de haut niveau. Donc souvent, ce sont effectivement des jeunes de milieux très populaires.
C'est quelque part aussi la jeunesse de France, y compris dans sa diversité d'origines, de couleurs. Rappelez-vous la Coupe du monde du "black, blanc, beur". Ça a été un grand moment d'unité nationale et au fond de recul de la xénophobie. C'est tout ça qu'il faut mettre en avant. Plus on a un commun, moins on pense à s'affronter, et je pense que ça, c'est positif.
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