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Scandale politique surréaliste au Portugal

Focus sur le Portugal dans "Micro européen" avec Ana Pedro, journaliste correspondante à Paris.
Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'ex-Premier ministre portugais, quitte le palais Belem à Lisbonne, le 9 novembre 2023. Le président Marcelo Rebelo de Sousa dissout aussitôt le Parlement, et appelle à des élections anticipées pour le 10 mars 24. Une semaine plus tard, la justice reconnaissait avoir faussement soupconné Antonio Costa de corruption...Il s'agissait d'un autre ministre, celui de l'Economie, lui aussi nommé Costa... (MARIO CRUZ / AFP)

Le Premier ministre socialiste portugais, Antonio Costa au pouvoir depuis 2015, a démissionné le 7 novembre. Corruptions, écoutes téléphoniques, etc. Sauf qu'une fois qu'il a démissionné, on s'aperçoit que les écoutes téléphoniques sont celles d'un autre Costa, et qui plus est d'un autre ministre...

franceinfo : on découvre en fait que ces écoutes ne venaient pas du Premier ministre, ce n'était pas le bon Costa... 

Ana Navarro-Pedro : C'est exactement cela. Le Portugal est complètement bouleversé. Le 7 novembre, perquisition au cabinet du Premier ministre, sa résidence officielle, peu après le Premier ministre déclare : "Bon, dans ces circonstances, évidemment, je démissionne". Le pays entre dans une phase de doutes. Et puis, une semaine plus tard, la justice, après avoir dit : oui, on a des écoutes téléphoniques qui l’impliquent, déclare une semaine plus tard : "En fait, on s'est trompé de nom, ce n’était pas lui, c'était le ministre de l'Economie, qui s’appelle aussi Costa".

C'est quand même grave d'avoir un ministre, un conseiller du Premier ministre et son directeur de cabinet, impliqués dans un cas de corruption, et surtout de trafic d'influence. D'ailleurs, le nom de ces scandales, s’appelle "le cas des influenceurs" parce qu'en fait, c'était utiliser un trafic d'influences pour des octrois d'exploitation de mines de lithium, entre autres.

Qui est déjà un vrai scandale au Portugal ? 

Oui, voilà, c'est le clou de cette enquête, ainsi que d'autres choses, un data center, la production d'hydrogène vert, mais on s'aperçoit qu'il n’y a vraiment rien contre le Premier ministre. L'enquête maintenant le dira. Mais déjà, la justice, elle-même, est mise en cause. Était-ce seulement de l'incurie, de la stupidité ou voir plus grave. 

Que va-t-il arriver à Antonio Costa, parce qu'on parlait beaucoup de lui comme futur président de l'Union européenne ?

Ii devait succéder à Charles Michel, à la tête du Conseil européen. On croit maintenant que son avenir est entre les mains de la justice portugaise. Il faudra qu'il soit complètement blanchi. Est-ce que les délais de calendrier vont lui permettre ? Il n'en reste pas moins qu'Antonio Costa était cette semaine en Allemagne, il visitait une petite ville où le Parti socialiste portugais, auquel il appartient, a été créé pendant la dictature. Les sociaux-démocrates allemands semblent croire encore qu'il peut avoir un avenir européen.

Et son avenir portugais ?

Pour le Portugal, c'est fini. Le président de la République avait le choix, entre nommer un autre Premier ministre, ou provoquer des élections anticipées. La première option était peut-être plus plausible, puisque ce gouvernement a été élu début 2022, avec une majorité absolue, et la stabilité du pays devrait prévaloir, surtout qu'on arrive en 2024, à 50 ans de démocratie au Portugal.  

Sauf que le président a choisi la deuxième hypothèse, c'est-à-dire de demander des élections anticipées. Et là, il a un jeu trouble. Ce président qui est un président de droite, donc cohabitation au Portugal, n'a jamais abandonné l'idée de faire remonter son camp de droite, conservateur, dans la politique portugaise.

Donc ces sondages, au moment de la dissolution, ont donné un grand avantage à son camp, à son parti, le PSD. Sauf que maintenant, quelque deux semaines plus tard, on voit qu'effectivement le pays va entrer dans une instabilité énorme. Que celui qui peut tirer son épingle du jeu, c'est le parti populiste d'extrême droite.

Le président lui-même, en voyant que son parti ne pourra pas gouverner tout seul, il semble qu'il n'aurait pas exclu une alliance de la droite avec l'extrême droite, (il n'a pas encore confirmé) pour arriver au pouvoir en mars 2024, après les élections anticipées.

Donc le pays va entrer dans une période d'instabilité, alors même que Paul Krugman, Prix Nobel d’Economie, vient de dire que ce qu'Antonio Costa – qui a beaucoup de défauts et qui aurait peut-être dû gérer autrement ce gouvernement – Paul Krugman a dit que ce que ce gouvernement a fait, en coupant la politique d'austérité ultra-sévère suivie par ses prédécesseurs de droite, tout en gardant une certaine stabilité budgétaire réclamée par Bruxelles, en donnant un peu d'oxygène à l'économie portugaise, permettant aux augmentations des retraites et du salaire minimum qui a augmenté de 72% sous son gouvernement, et bien que cela est vraiment un cas d'école;

D'autant plus que, en même temps, le Portugal a remboursé sa dette par anticipation, il continue de la rembourser par anticipation, sa dette extérieure. Donc Paul Krugman dit : "C'est un cas d'école qui mérite d'être étudié, c'est un mystère absolu."  

Et on peut ajouter qu'un ancien Premier ministre a édité ses mémoires, et c'est le président de la République qui a un costume bien refait par cet ancien Premier ministre ?   

Alors c'est une coïncidence absolue, parce que le livre est sorti cette semaine, et évidemment, on ne pouvait pas le prévoir. Mais dans ses mémoires, l'ancien Premier ministre, Francisco Pinto Balsemao dit de l'actuel président de la République, qu'il a beaucoup fréquenté, évidemment – ils sont du même parti et ils ont même gouverné ensemble – il le traite de scorpion traître, il parle de ses stupidités, de ses coups de poignard dans le dos, et de son besoin maladif d'être tout le temps sur le devant de la scène...

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